VIVANT ! Interview Bêtes de foire – Elsa De Witte et Laurent Cabrol

4 mai 2020 /// Les interviews - VIVANT !
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Bêtes de foire est au Festival Villeneuve-en-scène. Retrouvez l’interview de Marie Anezin réalisée l’année dernière.

Elsa De Witte et Laurent Cabrol viennent respectivement du théâtre de rue et du cirque (Laurent est co-fondateur du cirque Trottola). Ensemble, ils inventent un insaisissable univers intimiste qui parle à tous.
Bêtes de foire, le spectacle éponyme de leur compagnie, s’inscrit dans leur démarche globale tournée vers le vivre ensemble, la simplicité, la diversité des disciplines, l’inventivité… un spectacle maison et cousu main à dimension humaine. 
Uniques, les Bêtes de foire sont un petit mirage étoilé dans le paysage quelquefois aride du spectacle vivant. Sous leur petit chapiteau rouge ils allaient nous faire rêver tout l’été, avant que le Covid 19 ne nous prive de la fête. Un chapiteau auquel Elsa et Laurent tiennent plus que tout, autant que nous aimons leur positive débordante énergie teintée de poésie lunaire burlesque.

Bêtes de foire devait se produire au : Festival Méliscènes, Auray ; Les Jacobins, Dinan; Ici et là, Indre; Ile de Ré; Arête ton Cirque, Paimpont; Avant-Scène, Cognac; Graines de Rue, Bessines; festival Villeneuve-en-Scène, Avignon; festival La Strada, Gratz; Sziget Festival, Budapest

(Découvrez ici la compagnie Bêtes de foire dans l’interview de Marie Anezin pour le livre anniversaire Les 20 ans des élancées Scénes et Cinés).

D’annulations en annulations


Comment allez-vous après l’annonce de l’annulation du Off d’Avignon 2020 et du festival Villeneuve en scène où votre spectacle Bêtes de foire était programmée ?
C’est une suite d’annulation depuis mars… un ouragan.
Avignon c’est le coup final.
Mais bon, on essaye de relativiser, d’éviter de se regarder le nombril, beaucoup de gens autour sont dans des situations si précaires.

Votre spectacle Bêtes de foire est un duo, enfin un trio avec votre chien Sokha. Avec un petit chapiteau (en extérieur ou modifiable en salle) vous avez opté pour une structure légère avec une petite jauge. L’adaptabilité, l’artisanat, la récupération, le mélange des genres sont au cœur de votre création… N’est-ce pas le spectacle idéal de demain ?
Idéal, nous ne le pensons pas… il faut des structures minimalistes mais il faut aussi des structures plus lourdes.
L’idéal pour demain c’est la diversité !


Comment, en raison du Covid 19, cette annulation du festival Off et l’arrêt de toutes manifestations culturelles auxquelles vous deviez participer cet été impactent-elles votre compagnie ? Et votre avenir ?
Nous avons annulé-reporté 55 spectacles de mars à fin août.
Vu que les répercussions d’Avignon se font sur la saison d’après, cela risque d’être compliqué pour la saison 21-22. Nous verrons bien…

Quelle réponse le festival Villeneuve en scène vous a-t-il apporté ? Serez-vous reprogrammés en 2021 ?
Villeneuve a été très chic, il a apporté une même solution pour tout le groupe, Tous dans la même galère, on se retrouve en 2021 et on se le fait ensemble ce festival !

… faire attention aux petites structures, qui sont souvent en quasi-autonomie, mais qui là ne vont pas pouvoir résister et risquent de sombrer.

Cette situation exceptionnelle de pandémie ne met-elle pas en relief un système, déjà soumis à polémique, celui des programmations qui se décident une ou deux années à l’avance ?
Par notre légèreté de structure, nous nous retrouvons autant dans des énormes festivals ou des petits, des scènes nationales, des centres  culturels… et chaque structure utilise des systèmes complètement différents.
Le fait de programmer 1 ou 2 ans en avance peut fermer à la spontanéité mais rassure certaines compagnies ou certains lieux. De même pour le public, qui a son petit calendrier sur le frigo avec ses places réservées pour toute une saison, ça tranquillise les abonnés, très peu d’imprévu… Fini le chapiteau qui s’installe, affiche dans la soirée et qui est rempli le lendemain… ça chamboule trop le quotidien.
Suite à cette pandémie, nous espérons que l’on pourra vivre un peu le présent, arrêter de courir… Fatigués d’être reçu par des structures qui vous accueillent à peine car elles sont déjà dans la prod de la prochaine saison…

©Philippe Laurençon

Qu’attendez-vous de la part des institutions qui vous accompagnent habituellement ?
De faire attention aux petites structures, qui sont souvent en quasi-autonomie, mais qui là ne vont pas pouvoir résister et risquent de sombrer.
De ne pas forcément tout miser sur la création à tout prix, dans une frénésie boulimique de « on veut du nouveau », toujours de la consommation…

Quelles solutions de rechange envisagez-vous pour palier à l’extraordinaire visibilité (public, programmateurs, institutions) qu’offre le Festival d’Avignon ou les festivals d’été dans lesquels vous deviez être présents ?
Il n’y a pas vraiment de solution…juste de la patience, nous serons là l’année prochaine.
Nous étions en contact avec beaucoup de programmateurs Français et Étranger qui devaient voir notre spectacle à cette occasion, ils sont au courant de la situation, nous nous sommes donné rendez-vous en Avignon à l’été 2021…

Quel spectacle vivant pour demain

La compagnie XY, Royal de luxe …ont mis en ligne certains de leurs spectacles en captation durant le confinement. Que pensez-vous de ce mode de diffusion ?
Ce n’est pas pour nous, sous notre petit chapiteau on fait de l’artisanat, il y a une ambiance très intimiste, une odeur, on s’observe, on s’échange des regards, on est mal assis, un peu serré, mais on est là et bien là pour passer ce temps ensemble.
On pourrait imaginer à la rigueur de diffuser dans une salle de cinéma, mais sur un écran de tablette ou de smartphone, consommer entre deux séries Netflix, un spectacle, non merci…on trouve ça triste.

« Tant qu’il y a de la lutte il y a de l’espoir, tant qu’il y a de la vie il y du combat, tant que l’on se bat c’est qu’on est debout, tant qu’on est debout on lâchera pas… » on lâche rien…
NOUS ON LÂCHE RIEN !

©Grégoire-Ch. Vanwolleghem

Envisagez-vous de l’utiliser à l’avenir comme mode de communication pour vendre vos spectacles ?
Non merci.

La vidéo et le cinéma ont ponctuellement participé aux créations circassiennes alors que la danse, le théâtre, la musique s’y sont largement développés. Le cirque devra-il, par obligation, accepter cette nouvelle alliance avec les arts visuels ?  
Ce n’est pas une obligation, c’est un choix artistique et technique….

Pensez-vous que nous devrions craindre que des habitudes prises durant le confinement perdurent, dans le sens où le public, craintif de la transmission du virus, délaissent les lieux culturels au profit du visionnage de spectacles sur des plateformes de SVoD, spécialisées dans le spectacle vivant comme Opsis TV ?
Cela ne peut pas fonctionner ! le théâtre itinérant ou le cirque ce n’est pas une boîte noire, il n’y pas d’un côté le public et de l’autre le spectacle, on est tous ensemble, nous sommes tous à fois spectateurs et acteurs.
C’est une expérience particulière, unique. Cela ne fonctionne pas à travers un écran !
Les jours de déprime on se dit que le spectacle vivant est révolu, qu’on est des dinosaures, que les jeunes préfèrent être sur leur canapé à regarder des séries pour 10 balles par mois et puis d’autres jours on y croit…
Les gens qui allaient aux spectacles retourneront aux spectacles, cela prendra peut-être un peu de temps mais ils reviendront…
« Tant qu’il y a de la lutte il y a de l’espoir, tant qu’il y a de la vie il y du combat, tant que l’on se bat c’est qu’on est debout, tant qu’on est debout on lâchera pas… » on lâche rien…
NOUS ON LÂCHE RIEN !

L’art c’est : inventer, réinventer, proposer, expérimenter…pensez-vous que cette période de crise va encore plus fragiliser la culture ou générer une force nouvelle, un souffle d’inventivité dans la contrainte ; être un booster d’énergie créative ?
Peut-on même rêver que cela puisse libérer les impertinences et que nous vivions une autre aire semblable à ce qui s’est passée avec l’émergence du
Théâtre de rue à partir de 68 ?
Peut-être… notre seul souci, c’est que tout ce qui ressort artistiquement de cette période (pour l’instant du moins…) ce sont des productions sur support numérique, confinement oblige… et c’est justement là où, nous, on ne s’y retrouve pas puisque notre ligne de conduite est plutôt tournée sur un anti-écran, un non-smartphone, un ralentissement du temps et un rapport physique et particulier avec notre public.
Nous avons envie d’être optimistes mais il va falloir vraiment une énergie collective pour lutter contre les peurs, la surveillance massive…Nous osons espérer que les impertinences se libèrent mais ce n’est plus la même société qu’en 68, l’individualisme prime…

Avez-vous envie de lancer quelques pistes de réflexion sur l’avenir du spectacle vivant et plus particulièrement du cirque en chapiteau ?  
Si vous n’êtes pas invité par un théâtre ou un festival le cirque en chapiteau souffre du manque de lieu pour pouvoir s’implanter près d’un centre-ville.
Les villes nous ont fermé leur centre, et nous ouvrent de pauvres places en zones commerciales, sous prétexte de planter quelques arbres ou une fontaine sur la place en question.
Il faut que les mairies fassent le pas d’ouvrir de nouvelles places pour le théâtre itinérant, et les cirques sans animaux sauvages.

©Lionel Pesqué

Propos recueillis par Marie Anezin
Visuel haute de page : ©Vincent Muteau

La page fb de la Compagnie Bêtes de foire
Le site de la Compagnie Bêtes de foire


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