[ITW] Frédéric Roels pour La Bohème : “ce qui fait contraste rend la tragédie plus cruelle”

Le directeur de l’Opéra Grand Avignon Frédéric Roels reprend ce week-end à Avignon, La Bohème de Puccini, production créée en 2019 avec Claire Servais. Il met à jour les ressorts comiques de cet opéra tragique. Interview. 

Vous reprenez l’opéra La Bohème de Puccini que vous aviez créé en 2019 pour l’Opéra Confluences. Pourquoi reprendre cet opéra sur la scène de l’Opéra Grand Avignon ?
C’est une mise en scène qui m’avait été demandée par Pierre Guiral (ndlr directeur de l’Opéra Grand Avignon de 2015 à 2020) pour l’Opéra Confluences. Elle a été conçue pour ce lieu particulier qui n’a pas de cintre. Sa conception était liée au contexte dans le cadre où il était présenté. C’est une mise en scène que j’avais cosignée avec Claire Servais. C’est un grand classique de Puccini et j’avais une envie de retravailler dessus.
L’entrée d’un nouveau coproducteur dans la boucle a permis cela. L’Opéra in Balet Ljubljana (Slovénie) s’intéressait à une production de « La Bohème » et nous avons décidé de remettre ensemble ce spectacle sur le métier, et j’ai remonté la production l’année dernière. 
Je trouve intéressant d’avoir la même production, décors et costumes, dans un cadre différent qui est l’Opéra rénové.

Effectivement, puisque vous avez gommé tout élément spectaculaire de décor.
Et cela change un peu la donne en termes de perception dans le décorum de la scène. Je pense que cela renforce le principe de simplicité et de nudité que nous avions voulu pour ce spectacle-là.
Le plateau m’apparaît très nu par rapport au décor de la salle. Le plateau est assez vide mais il est gradiné afin de lui apporter le relief nécessaire. Nous avons utilisé uniquement les accessoires dont nous avions besoin pour le jeu. C’est un parti pris de mettre en évidence l’histoire au travers du jeu et d’une forme de distanciation un peu brechtienne qui de mon avis, par contraste avec le côté doré-rouge de la salle et les petits angelots, met bien en relation un monde où l’essentiel est déjà très cher avec un monde plus bourgeois et plus chaleureux depuis la salle. J’aime beaucoup ce contraste. 

Quand on pense à l’opéra « La Bohème », nous pensons tragique, tragédie. Lorsqu’on lit votre note d’intention, vous écrivez que vous renforcez “les éléments d’humour qui subsistent dans l’opéra de Puccini”. 
J’essaie du moins et je pense que c’est une dimension importante. Effectivement, ce n’est jamais paru dans les productions de La Bohème que j’ai vues, c’est toujours l’élément tragique qui domine et c’est normal. Mais c’est en lisant le livre d’Henri Murger, « Scènes de la vie de Bohème« , dont Puccini s’est inspiré pour son opéra que cette dimension drôle m’est apparue très forte. Chez Murger, c’est évident car c’est une succession d’histoires plus burlesques les unes que les autres dans un contexte où les gens meurent de faim, peinent à survivre car ils n’ont pas de feu pour chauffer leurs maisons, appartements. Toutes ces histoires font apparaître la vanité de l’existence avec une forme d’humour qui est une manière de prendre le tragique de la vie avec une certaine distance et de s’en sortir. En lisant Murger, j’ai compris combien Puccini l’avait voulu des scènes de comédie que l’on retrouve au début de l’acte I et de l’acte IV, et également dans la scène entre Musetta (Charlotte Bonnet) et Alcindoro (Yuri Kissin) dans l’acte II. Il y a un ressort comique très bien traité par Puccini et j’espère que nous arrivons à lui rendre justice et rendre ces scènes drôles. C’est ce qui fait contraste et rend la tragédie plus cruelle à la fin.   

Vous disiez que vous aviez vu des mises en scène de « La Bohème » et où ce ressort comique était très peu éprouvé. Comment l’homme de théâtre, que vous êtes également, avez travaillé pour la direction des chanteurs ?
Je suis un metteur en scène qui ne fait pas beaucoup de comédies et c’est un exercice un peu nouveau pour moi. Je le prends comme un opéra un peu formateur même si j’ai déjà fait pas mal de mises en scène. Je n’ai pas fait beaucoup d’opéra-bouffon ou ce genre de choses. Ce n’est donc pas ma nature première mais j’ai essayé de m’y atteler avec attention. Je pense qu’un des ressorts principaux qui fait la réussite de l’humour, c’est l’extrême précision des gestes et des rythmes. J’ai beaucoup insisté avec les chanteurs sur le fait de ne jamais surjouer les choses, de les jouer avec le plus de naturel possible dans les situations drôles parce que je trouve que ça rend l’humour beaucoup plus percutant que si on théâtralise à l’excès ou si on fait un truc un peu clownesque. Donc on a beaucoup travaillé sur cette justesse de l’intention et ce côté très premier degré de chaque intention qui dans une situation drôle devrait être j’espère provoquer du rire.

En 2019, Claire Servais cosignait avec vous la mise en scène de La Bohème. Aujourd’hui, vous lui dédiez cette production. 
Claire Servais est une personne qui a énormément compté dans mon parcours artistique. J’ai été son assistant dans mes tous débuts, j’ai été son dramaturge plusieurs fois. Je lui ai proposé des projets comme metteuse en scène dans les fonctions que j’ai occupées précédemment. Cette Bohème était notre dernière collaboration. Elle est décédée depuis et je vis ce spectacle aussi comme un hommage à cette personne extraordinaire qu’elle a été dans mon parcours.

Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Crédit photo : Studio Delestrade (La Bohème 2019) – Frédéric Roels © Barbara Buchmann

Générique

La Bohème de Puccini à voir à l’Opéra Grand Avignon les 28 février, 2 et 4 mars 2025
Direction musicale Federico Santi / Mise en scène Frédéric Roels / Décors-Costumes Lionel Lesire / Lumières Arnaud Viala / Assistanat à la mise en scène Nathalie Gendrot / Études musicales Thomas Palmer / Chef de Chœur Alan Woodbridge / Responsable de la Maîtrise Florence Goyon-Pogemberg

Interprètes : Gabrielle Philiponet, Diego Godoy, Charlotte Bonnet, Geoffroy Salvas, Mikhael Piccone, Dmitrii Grigorev, Yuri Kissin

Chœur de l’Opéra Grand Avignon – Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon – Orchestre national Avignon-Provence