ITW : Jean-Michel Rabeux pour Aglaé
La dernière création Jean-Michel Rabeux met en scène Claude Degliame dans le rôle d’Aglaé, pute marseillaise. Interview.
Quel a été le déclencheur pour l’écriture d’Aglaé ?
Jean-Michel Rabeux : Tout est parti d’un reportage que nous avions vu, avec Claude Degliame, sur les travailleurs du sexe. Ce reportage nous avait beaucoup surpris, par certains aspects, car nous avions des idées préconçues sur la question et tout d’un coup, on avait droit à autre chose, à un autre regard. Suite à cela, nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de récolter des paroles de prostituées pour en faire quelque chose.
Et vous rencontrez celle que l’on nomme Aglaé ?
Jean-Michel Rabeux : Par l’intermédiaire de mon assistant, Geoffrey Coppini. Il avait une personne de sa famille hospitalisée qui partageait sa chambre avec une prostituée. Nous sommes restés le premier jour 4h avec elle, nous y sommes retournés le deuxième jour. Elle était méfiante au début et s’est mise à raconter sa vie par la suite. C’est une rencontre impressionnante.
Aglaé, le spectacle, est née il y une semaine et demie, mais la personne qui a inspiré ce personnage a 70 ans. Qui est-elle ?
Jean-Michel Rabeux : Aglaé ne s’appelle pas Aglaé, n’est ni de Sarcelles… Est-elle même vraiment de Marseille ? Ce qui est sûr est qu’elle avait 70 ans quand on l’a rencontrée et le temps que tout se fasse, elle a aujourd’hui 73, voir même 74 ans. Quand je parle d’une rencontre impressionnante, elle l’est par la même pensée humaine que nous avons en commun, tout en étant de milieux totalement différents, car nous ne connaissions rien au milieu du commerce du sexe.
Est-ce que la pièce Aglaé pourrait s’apparenter à du documentaire-théâtre ?
Jean-Michel Rabeux : Non, et ce pour plusieurs raisons. Nous n’avons rien copié, ni notre rencontre, ni la personne. Claude Degliame a comme oblitéré le personnage d’Aglaé pour ne pas être dans la copie. De toute façon, tu ne peux pas la copier, car elle est unique. Il fallait par contre qu’elle trouve en elle, la fantaisie, la sorte d’intelligence et la théâtralité du personnage. Il fallait qu’elle trouve cela, qu’elle aille chercher en elle-même pour trouver cela. Ça a été le plus gros du travail pour elle.
Le texte provient d’interview que vous avez mené avec Aglaé. Comment avez-vous construit ce texte ?
Jean-Michel Rabeux : Au théâtre, nous sommes peu habitués à la langue parlée. En général, c’est du théâtre très écrit, poétique. Lorsque je retranscrivais les bandes, je me disais : comment je vais faire avec tous les euh et les bah ? J’ai pas mal bossé pour retranscrire, classer, mettre en ordre ses paroles avec toujours le désir de lui être fidèle, dans ses mots et sa pensée. Claude Degliame a travaillé pour trouver un parler qui n’en est pas un, tout en l’étant pour le public.
Ensuite, cette femme a des anecdotes incroyables à raconter et ces anecdotes font sens. Elle parle peu sur la professionnalisation de la prostitution, mais elle est ferme sur ses positions. Mais, ce n’est pas ce sujet qui nous intéressait d’aborder. Ici, le spectacle porte sur l’humain. Ce qui me stupéfie, c’est que cette femme qui est inculte, a une intelligence de la vie, des hommes et des rapports humains.
Elle était très attentive à ce que l’on comprenne ce qu’elle voulait nous dire sur son métier, sur sa fierté de le faire, à l’endroit où elle était pour le faire, ce qu’elle pense de la professionnalisation, du milieu, des macs. Ce que l’on pense de ce qu’elle vit elle, elle s’en fout. Elle a une liberté. Elle le dit d’ailleurs : Moi libre toujours. Ni dieu, ni maître.
Est ce que vous auriez envie de lui montrer le spectacle ?
Jean-Michel Rabeux : Oui, on en aurait envie et encore plus depuis qu’il y a eu le contact avec le public. Mais nous avons fait un pacte au départ, elle nous racontait tout et elle ne voulait plus rien savoir. Il y a eu aussi le fait de ne pas révéler qui elle est. On a eu des demandes pour des rencontres avec des journalistes, mais elle ne veut pas et ça se respecte. En plus, Aglaé est malade.
Elle a eu de nos nouvelles, elle sait que nous sommes contents du texte. Geoffrey a transmis ces paroles. Il nous reste le souvenir d’une rencontre forte.
Vous en parlez avec une énorme tendresse ?
Jean-Michel Rabeux : Ah oui !
Est ce que vous vous servez de la figure “monstrueuse” de la prostituée pour raconter la comédie humaine ?
Jean-Michel Rabeux : Vous savez le théâtre montre des monstres : Macbeth, Phèdre… Elle aussi en fait partie, car elle ne vit pas comme la quasi majorité de la population. Elle est d’une certaine façon répudiée, car elle ne peut pas dire à tout le monde son métier. Les prostitué.e.s hommes et femmes sont au banc de la société. J’ai beaucoup d’estime pour ceux qui affrontent la société, qui gardent leur humour, le plaisir à vivre.
Créer ce spectacle dans notre société actuelle, qui est de plus en plus fermée, puritaine, prend quel sens ?
Jean-Michel Rabeux : C’est pour ça qu’on le fait aussi. Il y a cette liberté qu’a Aglaé. Mais cette liberté est celle du crime puisque ce qu’elle fait est criminel, car interdit par la loi. Par tous les bouts, la loi essaie d’interdire la prostitution. Et les hommes font ça dans le secret, même elle par rapport à ses petits enfants. C’est dire comme ça pèse lourd.
Cette femme nous a intéressé car elle se lève seule contre ça. Elle pense, réfléchit, elle contre-propose des modes de fonctionnement humains. Elle a deux haines : la loi et le milieu.
Ça débat de ces aspects car elle nous en a parlé. Mais dans ce débat, on fait le tour de cette personne, comment elle est avec les clients, avec elle même, avec son désir, son amour, ses amitiés… Et surtout comment elle est humaine en fracassant les modes de vie qui sont les nôtres.
Est-ce que vous vous êtes auto-censuré dans l’écriture du texte ?
Jean-Michel Rabeux : J’ai enlevé du cru. En tant qu’homme de théâtre, je sais le cru qui peut passer et celui qui ne passe pas. On ne voulait pas jouer sur la provocation. On voulait faire comprendre, aux personnes qui sont innocentes de ces pensées, qu’il y a un être humain en face d’eux aimant et délicat, qui a, certes, des pratiques à l’opposé de celles que nous avons. On a beaucoup pensé à la délicatesse, car Aglaé est délicate.
Cela fait une semaine que Claude Degliame fait vivre Aglaé. Comment se sent-elle avec elle ?
Jean-Michel Rabeux : A son premier salut public, Claude a pleuré, elle pensait beaucoup à elle. Le soir de la première, elle m’a confié qu’elle aurait aimé qu’Aglaé soit là.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Crédit photo : Alain Richard
Interview réalisée le 8 décembre 2016 au Théâtre Les Salins – SN de Martigues
Aglaé, texte et mise en scène Jean-Michel Rabeux d’après « Les mots d’Aglaé »
avec Claude Degliame – lumières, Jean-Claude Fonkenel – assistant à la mise en scène, Vincent Brunol
Jusqu’au 30 décembre 2018 au Théâtre du Rond-Point Paris. Renseignements ici.