Interview : Eva Doumbia pour le festival Massilia Afropéa
Les 28, 29 et 30 octobre, le festival Massilia Afropéa vous donne rendez-vous à la Friche Belle de Mai (Marseille) pour 3 jours de découvertes de la jeune création féminine afropéenne. Eva Doumbia, auteure-metteure en scène de la Cie la Part du Pauvre, est à l’origine du projet. Interview.
Eva Doumbia est un artiste militante. Son engagement dans l’association Décoloniser les arts (pour voir de ce qui l’en retourne, le blog de l’association ici) illustre son travail de terrain et ses positions, qui peuvent lui valoir certaines attaques. A la veille du festival Massilia Afropéa, Eva Doumbia a répondu à mes questions.
On connaît ton engagement auprès de l’association Décoloniser les arts. Quels moyens avez-vous en votre possession pour faire évoluer les mentalités ? Est-ce que les mentalités ont commencé à changer ?
Eva Doumbia : Alors le premier moyen, c’est le collectif. Nous décidons tout collectivement et avons adopté un fonctionnement horizontal. Notre force est faite de notre diversité, de nos différences, nous sommes composées de femmes et d’hommes aux parcours artistiques, aux pratiques, aux disciplines, aux origines différentes. Aux accusations de «communautarisme», nous avons une réponse : nous mettre les uns à côté des autres ! Je ne sais pas si les mentalités changent, mais une prise de conscience est en cours. Mais ce n’est qu’un début.
Pour quelles raisons avoir créé ce festival ?
Eva Doumbia : J’avais été invitée en 2015 au Carreau du Temple, à Paris, pour une carte blanche autour d’Afropéennes, d’après Léonora Miano. AfricaParis (c’est le nom de l’événement), croisait création artistique, conférences et un marché dédié à la mode et beauté afro. Nous avons reçu 12000 visiteurs en un week-end. Travaillant à Marseille, il est évident qu’un tel événement devait y être proposé. J’ai contacté la Friche qui a accepté.
Tu es attachée au terme Afropéen. Quelle résonance à ce terme pour toi ?
Eva Doumbia : C’est un terme ouvert. Il permet toutes sortes de combinaisons.
Comment s’est construite la programmation du festival ?
Eva Doumbia : Au départ il y avait d’autres partenaires qui n’ont finalement pas suivi. L’événement devait durer une semaine et multipliait les propositions. On s’est retrouvé la Friche, Boucle d’Ébène et ma compagnie, seuls. Nous avons favorisé l’émergence, la mise en lumière trop peu connus. Boucle d’Ébène, qui est une structure événementielle organise tous les deux ans au 104 un gros événement nappy (natural and happy). Elles se sont attachées à organiser la partie salon, les conférences sur l’estime de soi. Moi j’ai travaillé à la programmation, en concertation avec la Friche.
Que dire aux personnes qui diront que ce festival est un festival de l’entre-soi, celui des afropéennes ?
Eva Doumbia : D’abord, qu’ils viennent voir. Ensuite, s’il y a bien un monde de l’entre-soi, c’est bien celui de la culture française, bien plus communautariste que je ne le suis. L’afropéanité implique une vision ouverte du monde, faite de créolisation, de rencontres, d’échange. Pour tout dire, ma crainte première est que nous n’arrivions pas à toucher la première communauté afropéenne phocéenne, qui est celle des marseillais d’origine comorienne. Il y a un véritable blocage avec les lieux culturels. Les habitants des alentours viennent à la Friche faire du skate, jouer pour les plus petits, mais n’ont pas encore le réflexe d’assister au spectacle. Concernant le salon/marché, on risque pour cette première édition de se retrouver confronter au fait que la conscience de la dangerosité de certains produits défrisants ou éclaircissants (pour la peau), que cette conscience n’a pas atteint les classes les plus populaires parmi les afropéens marseillais. En réalité nous avons manqué de moyens et de partenaires pour préparer. Nous souhaitions proposer des ateliers en amont, dans certains quartiers. Tous nos dossiers ont été rejetés : ils ne comportaient pas certains mots magique comme «vivre ensemble» ou «déradicalisation». Personnellement, je pense que tout commence par l’estime de soi.
Est-ce que Eva Doumbia rêve d’un monde dans lequel tout un chacun serait représenter ?
Eva Doumbia : Qui n’en rêve pas ?
Au fil de la programmation :
Côtés rencontres : L’appartenance Afropéenne avec Maryse Condé, Jean-Luc Raharimanana et Silex, le 29 oct. – Rokhaya Diallo, le 30 oct.
Côtés spectacles : Mercy/Home, le 29 oct. – Habiter la frontière (retrouvez le suivi de création ici, là et le Vu), le 29 oct. – My body is a cage, le 29 oct. – L’estomac dans la peau (déconseillé aux moins de 15 ans), le 29 oct. – Communauté, le 30 oct. – A cause d’un moment, le 30 oct. – Arable, le 30 oct. –Monstres d’amour (déconseillé aux moins de 15 ans), le 30 oct.
Pour le jeune public : un goûter afro par l’artiste culinaire Gagny Sissoko (pour les 5-10 ans), le 29 oct. – un rencontre autour de la question : Est-ce que « noir » est un gros mot ? pour le jeune public (à partir de 5 ans), le 30 oct.
L’ensemble du programme : ici
Eva Doumbia sur Ouvert aux publics : son Boudoir du Off pour La vie sans fards de Maryse Condé.
Laurent Bourbousson