[ITW] Nosfell, au cœur du corps des songes

17 janvier 2020 /// Les interviews - Les retours
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Pour celles et ceux qui pouvaient en douter, Nosfell est réellement un artiste accompli. Avec Le corps des songes, le chanteur-musicien et homme de scène présente un conte cruel pour un moment étrange, magique à la beauté plastique indéniable. Interview et retour.

La création

Quel a été l’élément déclencheur pour la création de ce spectacle autour du langage Klokobetz ?
La chanson fantôme, qui se trouve sur Echo Zulu mon dernier album, est la seule qui me soit venue dans cette langue pendant que j’écrivais. À son écoute, un jeune fan typographe, Jérémy Barrault, est entré en contact avec moi. La langue l’intéressait et il a souhaité travailler avec moi sur une typographie.
Au début, je n’y croyais pas trop et très vite je l’ai pris très au sérieux. Pour répondre à sa demande, j’ai recherché dans mes modestes archives, mes propres carnets, comment j’en étais arrivé à la formuler. Je me suis pris au jeu de la transmission alors que je n’avais jamais été dans cette situation par rapport à cette langue.
De cette démarche découle un voyage qui s’est fait sur deux tableaux.

Quels sont-ils ?
Le premier est l’existence de ce journal intime écrit de loin en loin. J’ai fait une enquête sur ces écritures que j’ai mis bout à bout. Ce ne sont ni des poèmes, ni des chansons mais avec des velléités de morceaux de mémoires murmurées. Lorsque je redécouvre tout cela, je me rends compte qu’il y a cette histoire avec mon père d’un côté, et de l’autre, celle de ce trauma que je vis en tant qu’enfant, dont je n’arrive pas à parler à mon père, lui même se trouvant, à cette époque, dans une crise mystique très forte et très violente.
Le second est autour de la recherche graphique. Ce sont des preuves de création venant de l’indicible, du code. C’est une façade pour raconter tout en restant caché, n’ayant pas d’écoute au sein de la famille
Le corps des songes est l’expression de ce voyage-là. Je suis très attaché à l’aspect initiatique et au rituel dans ce voyage. Le spectacle que j’aimerai proposer est une proposition plus tangible de cet univers, de cet imaginaire présenté comme un entresol entre le rêve et la réalité.

Dévoiler l’intime

Ce qui est troublant pour le public est votre réelle mise à nu. Vous nous permettez d’accéder à une vérité tout en étant dans un espace onirique ?
Il y a effectivement une recherche qui est de l’ordre de la vérité. C’est une recherche éternelle qui reste introuvable. Par exemple, pendant très longtemps après ce trauma, j’étais dans l’impossibilité de parler et de dénoncer ce garçon, qui avait une emprise très violente à mon égard et qui m’imposait de rester toujours dans le secret en me menaçant. Je pensais même au bout d’un moment que cela ne m’était pas arrivé. Le corps des songes est le résultat d’un travail de résistance à la vérité, et en même temps une recherche de résilience en acceptant cette vérité en vue de s’accepter soi-même. C’est pour cela qu’une mise à nu était nécessaire.

Comment avez-vous travaillé à sa construction narrative ?
Le travail avec Tünde Deak, à la dramaturgie, a été de construire un millefeuille narratif avec des percées de réalité. Je ne voulais surtout pas sombrer dans l’impudeur, même si nous pouvions en être à la frontière. Si Le corps des songes peut avoir des aspects ésotériques, mystiques, je souhaitais que cela reste humain et que le territoire, représenté au sol, dans lequel je me fonds, ait une vertu narrative afin que chacun puisse se l’approprier.

Une chanson de Dominique A

Il y a une phrase que l’on retient dans votre chanson Nuit des forêts que vous interprétez, et qui résonne longtemps après, c’est : « Les ruines dont je suis bâti ». Cette chanson a été écrite par Dominique A. Pouvez-vous nous en parler ?
Dominique A souhaitait que l’on signe le texte tous les deux parce que je lui avais fait une note d’intention détaillé pour lui parler de ce sujet délicat. Il a tout de suite accepté même avant que je lui soumette cette note. Cela a donné lieu à un échange très délicat pendant un an, un an et demi, pour donner naissance à ce texte. Il a été sensible à une phrase qui me paraissait anodine, qui est : « Aujourd’hui, mes ruines me pèsent ». Et lui, il a transformé ceci en Les ruines dont je suis bâti. Cela est une bonne lecture.

Même si la musique et le chant sont omniprésents dans votre spectacle, envisagez-vous la sortie d’un prochain album ?
J’ai un album en français que j’aimerai beaucoup enregistré. Dominique A a été très généreux et m’a offert 6 textes pour le spectacle. Je n’en ai retenu qu’un seul. J’aimerai beaucoup travaillé sur ces textes. J’ai ce désir-là, mais je n’ai pas envie de le produire moi-même parce que c’est beaucoup de stress. Je vais attendre de rencontrer la bonne personne pour débuter cette aventure.
Actuellement, je profite pleinement de la tournée du Corps des songes. Je travaille sur une proposition plus performative, dédiée à un public plus jeune recentrée sur le costume, sur ce que le costume peut avoir de ludique, d’effrayant. Je vais orienter mes recherches sur le rapport que les enfants entretiennent avec l’effroi. Il y a ces intuitions-là que je vais mettre en place.

En résidence à ICI-CCN de Montpellier Occitanie

Pour finir, vous présenterez le 21 janvier, une sortie de résidence performée Ad hoc, avec Jérémy Barrault, qui est un travail autour de l’écriture du klokobetz. Comment cela va-t-il se dérouler ?
Nous avons beaucoup de matériaux. Nous sommes partis sur l’idée d’une conférence autour de la recherche d’un langage précis topographique. Nous travaillons sur des cartes, sur les origines du langage, de comment cela résonne dans une intimité et résonne dans les frontières de nos histoires. L’idée est de rester libre pour ce moment afin d’expérimenter tout cela pour le vivre pleinement.

Le [VU] Une plongée au cœur du corps des songes

Le corps des songes plonge son public dans un pays et un temps reculé, celui de l’enfance, là où l’esprit a cette faculté de créer des contrées imaginaires pour mieux s’évader ou appréhender les oiseaux de mauvais augures rencontrés au court d’une vie, si courte soit-elle.
Nosfell se raconte dans cette fantaisie lyrique. Il est cet homme perché sur des chaussures dignes de créatures rencontrées chez Tolkien. Sauvage et étrange, il est lui, son double et l’autre. Il interprète le monde imaginaire et réel de son enfance.

Le chanteur, musicien et interprète passe allègrement du français au klokobetz, langage inventé de toute pièce pour dire l’impossible. Il invite son public dans sa chambre, au moment des colloques nocturnes avec son père durant lesquels l’odeur du père fatigué se fait sentir.
Puis il y a ce qui se passe derrière les buissons, sur le chemin du retour de l’école. Il y a la violence imagée que Nosfell transcende avec sa musique et ses chants. Ses mots dépassent sa contrée et trouvent des échos dans les situations vécues par bon nombre d’enfants aujourd’hui.

Le corps des songes est un parcours initiatique dans des territoires jusqu’ici insoupçonnés avec ses codes, ses frontières, sa mythologie et ses fantômes. Nadia Lauro signe une scénographie hypnotisante et les costumes d’Éric Martin transforment l’interprète en un lutin tour à tour malin et malicieux.

Nosfell est d’une beauté hypnotisante dans cette mise à nu. Il se confond avec ce territoire, le sable recouvrant son corps au fur et à mesure de son récit. L’imaginaire se confond avec le réel, et il est à l’image de ce qu’il nous donne à voir, un moment d’une intime confidence sans fard.

Propos recueillis et retour par Laurent Bourbousson
Photo : 1 et 2 ©Camille Graule et 3 ©Manu Wino

Dates et générique

Le corps des songes a été vu à ICI-CCN Montpellier Occitanie le 9 janvier 2020. À voir au 104 à Paris, 17 et 18 janvier, au Mextaxu à Pantin, au Théâtre Paul Eluard, Bezons, au Manège – scène national de Reims.

Sortie de résidence AD HOC, le 21 janvier à ICI-CCN Montpellier Occitanie. Renseignements ici.

Conception, écriture, performance, composition musicale Nosfell | « Süanij (dans la forêt du songe) » composé et orchestré par Nosfell et Frédéric Gastard | « Ici le sable » écrit et composé par Donia Berriri | Concept et réalisation scénographie Nadia Lauro | Co-auteurs des textes des chansons Dominique A et Xavier Machault | Regard chorégraphique François Chaignaud | Dramaturgie Tünde Deak | Regard extérieur-assistanat Clémence Galliard, Anne Lenglet | Création son Nicolas Delbart | Création lumière Yannick Fouassier | Régie son Maxime Drouot | Régie générale, plateau et lumière Chloé Bouju | Conception costumes Éric Martin | Réalisation costumes Marion Egner | Développement typographique Jérémy Barrault

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