Le Quintette Astreos, cinq singularités pour une démarche commune

23 septembre 2019 /// Les interviews - Les retours
0 0 votes
Évaluation de l'article

Juste avant leur prochain concert, le 26 Septembre au festival Musiques aux Mines, sur le site de Mines ParisTech, dressons le portrait du nouveau Quintette sur lequel il faut désormais compter : l’atypique quintette Astreos.

Revenons pour cela sur leur magnétique concert du 15 août, au Festival International de la Roque d’Anthéron. Présents pour la deuxième année consécutive dans le dispositif des Ensembles en résidence , encadré par Claire Désert, les Astreos confirment la maxime de leur mentor Raphaël Pidoux du Trio Wanderer : « l’important n’est pas de venir jouer dans un lieu illustre mais d’y être réinvité !»
Quatre voix s’accordent pour tenter de percer le mystère du succès des Astreos, son altiste Jean Sautereau, son pianiste Clément Rataud et deux de leurs maîtres : la célèbre pianiste Claire Désert et l’incontournable violoncelliste Raphaël Pidoux.

Ensemble

Cette formule des Ensembles en résidence du Festival International de la Roque d’Anthéron, réunit, chaque année, les jeunes ensembles extrêmement prometteurs du moment. Pépinière indiscutable de nouveaux talents de demain, elle leur offre l’opportunité de rencontrer des artistes de renoms (cette année le Trio Wanderer, Lise Berthaud, Emmanuel Strosser, Olivier Charlier, Claire Désert…) par le biais de Master class, tout en se produisant en concerts gratuits dans toute la région. Une sorte d’université d’été aux sons des cigales. Nombre d’artistes prestigieux s’y sont révélés.
Les Astreos sont cinq copains. Arthur Decaris (violon), Gaspard Maeder Lapointe (violon), Albéric Boullenois (violoncelle), Jean Sautereau (alto) et Clément Rataud (piano) pratiquent le quintette à l’année en parallèle de leur étude au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), lieu où ils se sont rencontrés. Leur moyenne d’âge ne dépasse pas 23 ans et pourtant leur parcours de chambriste ou de soliste est plus qu’impressionnant (triple lauréat du Concours International Léopold Bellan…). Déjà les deux pieds dans le milieu professionnel, ils collectionnent les collaborations prestigieuses (Christian Ivaldi, le Quatuor Ébène, le Quatuor Modigliani, Gérard Caussé, Yovan Markovitch, Emmanuel Strosser, Olivier Charlier…).
La transversalité est leur credo, jouant et évoluant comme les cinq doigts indissociables d’une main ! Fait unique dans cette discipline.

Lors de la tournée Sur les routes de Provence du concert de clôture, les Astreos séduisent le public par la beauté de leurs envolées musicales, la symbiose de leur formation et une interprétation de Brahms qui flirte avec celles de leurs professeurs. © Nicolas Dobranowski

Malgré l’habitude d’un seul passage en résidence afin de multiplier les chances de chacun, Claire Désert a accepté de reconduire la participation des Astreos : «  Quand un ensemble perdure – car être un ensemble constitué n’est déjà pas simple – , qu’il a cette motivation-là , et que l’on sent les germes de quelque chose qui peut aller plus loin, alors on les refait venir avec plaisir ». Sourire.
Le Trio Wanderer fait également appel à eux pour certains concerts. Car leur mentor, le violoncelliste international Raphael Pidoux, croit très fort en eux : « Ils sont très doués instrumentalement, et le fait qu’ils émettent le désir de vouloir se consacrer si jeune à la musique de chambre en ensemble, en plus à cinq, est rare. À ce titre, et parce qu’ils s’en donnent vraiment les moyens, il faut les pousser. En plus, ils sont hypers attachants et ont la bonne idée de fonctionner à géométrie variable, en ayant aussi du répertoire de trio ou quatuor à cordes… », « ce qui ne peut que régénérer leur quintette, donner un choix plus large aux programmateurs et d’autres possibilités d’évoluer pour eux », renchérit Claire Désert.
Après s’être illustré avec Schumann, Dvorák et Brahms, les Astreos ont rapidement ouvert leur répertoire à la musique du 20e siècle avec Vierne, Bartok, le célèbre quintette de Chostakovitch et Fauré qu’ils interpréteront jeudi prochain, à Paris, au Festival « Musiques aux Mines » .
Mais si Raphaël Pidoux les encourage et pose sur eux le regard bienveillant d’un grand frère qui est passé par là, il veille aussi à leur éviter les écueils d’une ascension trop rapide et les dangers d’une trop grande dispersion. Ils partagent, ensemble, humilité, exigence et don de soi dans le travail, délaissant les « paillettes ».

D’une seule voix

Le Quintette Astreos n’a rien de classique, à part la musique qu’il interprète.
Sortant de l’habituelle configuration du quintette avec piano (un quatuor à cordes plus un piano), ils cherchent collectivement à créer un son unique, somme de tous leurs instruments, où cordes et piano ne forment qu’une seule voix.
Pour cela, ils ont inventé un placement scénique en forme d’arche, les instruments à cordes de part et d’autre du piano. Cette disposition défend une intégration totale du piano, facilite la circulation du son et les échanges visuels. Le tout générant une connivence musicale novatrice.
Selon Claire Désert, « envisager le quintette avec cinq trajectoires particulières plutôt que deux, quatuor et piano, leur donne une liberté de ton un peu plus grande. Le rapport avec le pianiste peut être, pour chacun, individuel. »
Les Astreos fonctionnent tel un collectif théâtral, sans chef, ni metteur en scène. Au sein du groupe, tout est discuté, réfléchi, négocié, ça chauffe du coté de WhatsApp et ça bouillonne en répétition. N’importe quel membre du groupe peut, tour à tour, en sortir pour donner un avis extérieur sur ce qu’ils sont en train de jouer. Cette approche collégiale fait de ce quintette un lieu de démocratie qui marie les différences, un exemple de « vivre ensemble » non seulement instrumental mais humain.

©CSAKKAN

Un travail d’équipe

Jean Sautereau parle d’une équipe à cinq, presque un mini orchestre : « Nous essayons d’être les meilleurs dans nos disciplines respectives afin de servir et faire évoluer le groupe. Une équipe qui travaille avec ses singularités. Il y a la partition qui est l’œuvre, que l’on veut transmettre, mais les qualités de chacun la diversifient en produisant une plus large palette sonore, plus intéressante qu’en aplatissant toutes les aptitudes de chacun ».
Un parti-pris qu’entérine Raphaël Pidoux : « Avoir un niveau technique très homogène donne une plus-value certaine dans la qualité de l’interprétation musicale ! Meilleure est la technique, au mieux ils pourront s’exprimer ! Dans ce répertoire de musique de chambre, la cohésion est importante, voire indispensable »
Mettre dans son répertoire ce chef d’œuvre musical, le Quintette pour piano et cordes en fa mineur opus 34, 1er et 3ème mouvements (Allegro non troppo et Sherzo Allegro), relève de tous les dangers. Et d’une joie, puisque les quintettes sont des formes, comme le souligne Jean Sautereau, qui ne comptent que des partitions exceptionnelles.
À la Roque d’Anthéron, sans complexes, les Astreos capte la gravité, la puissance de l’ambiguïté de Brahms, auxquels ils injectent toute leur passion et leur dextérité. Ils l’interprètent au millimètre, composant entre polyphonie et tonalités diverses. Ils offrent, à un public subjugué, cet accord parfait entre la forte présence du piano et le lyrisme des cordes, comme si implicitement ils rejoignaient le compositeur allemand dans ses premières hésitations d’écriture entre un quatuor à cordes et un duo de piano. Tout cela dans une pulsion de vie qui nous donnait envie de scander le tempo avec eux. 

Un collectif qui fait corps

Sur scène, le Quintette Astreos dégage quelque chose de très organique. Ils font corps avec leur instrument respectif, comme certains musiciens, mais plus encore avec le groupe. Une unité dans la diversité qui finit par donner cette image assez irréelle d’un ballet. À la fin du développement de l’Allegro, leurs silhouettes ondulent dans un même mouvement de tête, soutenu par un identique élan, la musique devenant geste au-delà du son, entité. Leur interprétation dégage une émotion qui prend au ventre et va fouiller l’âme humaine comme la musique de Brahms met la chair de poule.
Il suffit de questionner Clément Rataud, par ailleurs danseur, pour comprendre cette alchimie, ce corpus musical : «Tous ces mouvements nous ne les écrivons pas, nous en parlons à peine en répétition, même si nous n’hésitons pas à nous dire ce qui ne va pas. Ça ne se travaille pas précisément car si cela n’arrive pas naturellement nous sommes alors dans un autre registre plus proche du show et cela peut entacher la pureté du message musical. Je ne regarde presque pas la partition pour rester attentif aux autres, être à fleur de peau, guetter leurs changements de postures et réagir en conséquence »
Ils sont tous extrêmement expressifs lorsqu’ils jouent, musiciens et interprètes, laissant filtrer leurs personnalités sans laisser percer leur ego. Claire Désert aime ce côté extraverti.
Pour Clément et Jean, au risque de citer à nouveau leur professeur Raphaël Pidoux : « l’important est de servir la musique, le compositeur et l’œuvre à transmettre et non de se servir de la musique. »

« Être musicien est un tout. Ce n’est pas jouer et réfléchir à rien d’autre. Il faut être humain. » 

Raphaël Pidoux

Tous singuliers

Ce qui interpellent et séduit en premier lieu ce sont leurs personnalités singulières.
Astreos est un ensemble qui met en relief ses individualités, qui elles-mêmes nourrissent le groupe, affichant clairement leur indéniable désir de décloisonner et casser les frontières des arts. Pour couronner le tout, ils additionnent tous types de records !

Le 1er violon, Arthur Decaris, est un « violoniste de compet » comme s’amusent à le nommer ses partenaires, tant pour ses qualités d’interprétation que son passé encore récent de nageur de compétition. Il a un mental d’acier et a gagné le prix Arthur Grumiaux en 2017, en Belgique. Il a, sur scène, une très belle prestance, une élégance raffinée. Multipliant les registres, en octobre prochain au Théatre du jeu de Paume d’Aix-en-Provence, il servira la musique de Marc-Olivier Dupin dans le spectacle Le petit Prince sur la bande dessinée éponyme de Joann Sfar.

Le jeune pianiste Clément Rataud a, quant à lui, réussi l’exploit unique de toute l’histoire du Conservatoire National parisien : obtenir conjointement un Master de danse et de piano. Une rage émanant d’un parcours à la « Billy Elliot » qui se mêle à une grande curiosité. C’est le choc de la rencontre avec la musique du Sacre du printemps, dans le film Fantasia de Disney qui, à cinq ans, fixe son choix sur le piano. De 13 à 17 ans, il tourne avec Virula, un opéra rock. Actuellement, enseignant au sein du Conservatoire de Bagnolet, il allie danse et piano dans des projets avec diverses compagnies, notamment une en 2020 avec l’Afrique. Il souhaiterait également, avec les Astreos, passer du quintette à un quatuor dansé, qui le placerait tantôt au piano, tantôt au plateau.

Alberic Boullenois, violoncelliste, tire son originalité de l’étendue de son répertoire. Bien que fortement ancré dans la musique de chambre, rien ne le prédisposait à devenir un spécialiste de la musique baroque et des instruments anciens, pas plus que d’y ajouter un registre plus moderne. En premier lieu, avec l’ensemble Proxima Centauri, à Bordeaux, et l’ensemble Le Concert Idéal dirigé par Marianne Picketti, qui mêle musique baroque et création contemporaine. Jouant également avec l’orchestre de Caen, l’ensemble les Siècles, l’ensemble Baroque la Diane Française de Stéphanie-Marie Degand et l’Orchestre de l’Opéra de Paris, il semble utiliser ses mélanges de genres comme un moteur de créativité.

Ensembles en résidences ©Christophe Gremiot

L’altiste Jean Sautereau semble tout droit sorti d’un tableau de Chagall, avec sa posture de « violon sur le toit », fougueux, l’alto posé très haut sur son épaule, ce qui révèle implicitement ses cours avec une professeur russe. «J’ai eu une chance inouïe de tomber sur des professeurs comme elle ou Isabelle Lequien qui m’ont fait persévérer et progresser dans mon envie de jouer de l’Alto. J’ai eu mon premier prix à 11 ans et le dernier, la semaine dernière à St Jean de Luz, le Prix Maurice Ravel décerné par Jean-François Heisser et le prix des mélomane Côtes basques. »
Pour ce petit garçon qui voulait jouer d’un instrument à corde, qui sonne suffisamment grave et assez aigu pour que sa grand-mère puisse entendre tous les sons, recevoir à Gstaad, en février ; le prix Hoffman (1er au concours national des jeunes altistes) des mains de Renaud Capuçon, est déjà une consécration.

Le second violon, Gaspard Maeder Lapointe, un féru de musique de chambre a succédé à Geoffrey Holbé. Né dans une famille de musiciens, il a, depuis son plus jeune âge, côtoyé et apprit des grands virtuoses aux esthétiques variées, allant de la musique Renaissance à la contemporaine.
Passionné de vin, il se spécialise au travers d’une formation internationale et met ses connaissances au service du groupe : « la musique et le vin c’est une question de dégustation. Il faut découvrir, faire son expérience en connaissant ses goûts ». Le quintette a d’ailleurs des projets de « concert-dégustation ».

Nés sous une bonne étoile…

Ils répondent évidement d’une même voix à la question du choix du nom de leur quintette : « Nous avons choisi Astreos pour son universalité, il est facile à retenir et il se prononce de la même manière dans toutes les langues. De plus, c’est une sonorité qui nous plaît. Dans la Mythologie grecque Astreos est « L’étoilé ». C’est une belle corrélation entre l’astronomie et la musique puisque tous deux sont à la fois source de savoir et de liberté ! ».
Est-ce cette soif de liberté qui rend les Astreos aussi aventureux, plaçant le risque dans la performance tout autant que dans la régularité d’une qualité et la constance d’un investissement ?

Les Astreos fourmillent de projets pour leur quintette qui s’entrecoupent ou se complètent avec leurs compétences ou passions parallèles.
À l’avenir, ils souhaitent intégrer l’ECMA (institution de musique de chambre en Europe) tandis que le CNSM de Paris est prêt à les nommer pour une première session cette année.
Jean-Marc Phillips, des Wanderer, est partant pour jouer avec eux le Concert de Chausson, ce qui représente pour ce jeune quintette une vraie opportunité.
En ce qui concerne les concerts, ils cherchent encore des opportunités de lieux ou de festivals.

Pour Raphaël Pidoux, qui les accompagne dans leur ascension, « le plus important pour eux maintenant est de faire de la musique, de travailler, de s’enrichir, de vivre des expériences hautement professionnelles, ce qui sera un atout pour leur carrière de musicien et d’humain ». Car pour lui : « Être musicien est un tout. Ce n’est pas jouer et réfléchir à rien d’autre. Il faut être humain. Les Astreos ont cette forme de générosité. Ils sont proches de la réalité et de la vie »
Humains et engagés, les Astreos le sont ! C’est passionnément qu’ils accompagnent le public vers la musique de chambre, y ajoutant une dose de fantaisie dans leur interprétation, glissant de la dramaturgie entre deux partitions, un souffle de fraîcheur dans l’exigence du répertoire. Disposés à démocratiser l’accès à la musique, ils s’essaient à donner une autre dynamique à la musique de chambre.

Si la réussite d’un quintette reste un mystère, par son approche singulière, le Quintette Astreos nous met dans la lumière.
« La technique seule ne suffit pas…Sans mystère il n’y a pas de vraie musique !  Je n’ai pas la clef et je n’ai pas du tout envie de l’avoir » souligne Jean Sautereau .

Selon le vieil adage du jamais 2 sans 3, le Quintette Astreos figurera-t-il parmi les 40 artistes pour 40 pianos qui fêterons en 2020 les 40 ans du Festival international de piano de la Roque d’Anthéron ?
Pour notre plus grand plaisir, nous leur souhaitons !
Pour patienter, vous pouvez assister à leur concert du 26 septembre à Paris, leur interprétation de Brahms et de Fauré, cette fois encore, risque d’en faire chavirer plus d’un.e.!

Marie Anezin

Date à venir : dans le cadre de la 4ème édition du festival Musique aux Mines, le jeudi 26 septembre 2019. Programme : G. Fauré : quintette no. 1 en ré mineur, Op. 89 et J. Brahms : quintette en fa mineur, Op. 34. Renseignements : ici.


0 0 votes
Évaluation de l'article
Subscribe
Me notifier des
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
Partager
0
Would love your thoughts, please comment.x