Les atomes artistiques de l’Agence de Fabrication Perpétuelle (Avignon)

22 octobre 2016 /// Les interviews
0 0 votes
Évaluation de l'article

Interview d’une partie de l’équipe de l’Agence de Fabrication Perpétuelle pour l’installation-exposition-performance Les enfants du désert (chimères), à découvrir du 28 octobre au 5 novembre, aux Ateliers d’Amphoux (Avignon). Jonathan Bénisty, musicien, Carole Bordes, danseuse, Johann Fournier, agitateur, et Laetitia Mazzoleni, auteure et metteuse en scène de la compagnie, vous expliquent tout.

L’exposition L’homme dans lequel habite une forêt (article ici) m’avait fait découvrir l’univers de l’Agence de Fabrication Perpétuelle. Son univers pluridisciplinaire déplaçait ainsi la perception du public tout en inventant une nouvelle forme de spectacle. L’année dernière, Le Spleen-Les Origines prolongeait cette expérience.
Leur nouvelle proposition est un nouveau pari, celui d’une installation-exposition-performance intitulée Les enfants du désert (chimères) dans laquelle le public sera invité à circuler dès le 28 octobre, aux Ateliers d’Amphoux. Pour m’éclairer sur le sujet, le rendez-vous était pris avec Jonathan Bénisty, musicien, Carole Bordes, danseuse, Johann Fournier, agitateur, et de Laetitia Mazzoleni, auteure et metteuse en scène de l’Agence de Fabrication Perpétuelle. Interview.

Vous fêtez les 10 ans de la compagnie et débutez cette saison avec une exposition-performance-installation. Quel sens cela a-t-il ?
Laetitia Mazzoleni : C’est représentatif du travail que l’on fait actuellement et que l’on souhaite continuer à mener. Au bout de 10 ans de théâtre, faire du théâtre pur ne nous intéresse plus. Quand on est sur une création, on imagine tout et on demande aux comédiens et techniciens de le faire. Alors, on a commencé à s’associer à différents artistes pour élaborer nos créations. Et là, être dépossédé partiellement de la partie artistique est déroutant et en même temps passionnant parce qu’on s’inspire de ce que les autres font. On est surpris, ça nous fait aller plus loin. Les enfants du désert (chimères) est une espèce de quintessence, nous sommes 10 sur le projet : plasticiens, comédiens, auteurs, danseurs, photographes. On multiplie les genres. C’est un peu ce que la compagnie a envie d’être maintenant.

©Johann Fournier

©Johann Fournier

Ce qui explique que sur le flyer de l’exposition soit inscrit que l’oeuvre est collective. On lit aussi qu’elle est impulsée par Johann Fournier.
Jonathan Bénisty : Johann est le point commun entre tous les artistes et toutes les œuvres sur cette installation-exposition-performance. Il est intervenu de près ou de loin dans tout ce qui est proposé. Et même si il y a plein de choses qui dépasse sa fabrication, c’est vraiment lui le point central.

Comment est née l’idée de cette exposition ?
Laetitia Mazzoleni : Depuis que Noam Cadestin (ndlr metteur en scène de l’AFP) a découvert les Ateliers d’Amphoux (Avignon), il rêve de faire une déambulation dans ce lieu qui a un côté labyrinthe. Il voulait faire une déambulation dans tous les espaces possibles, qui ne sont pas visibles au public. Il y avait cette idée au départ. Ensuite, Johann Fournier et Sébastien « Sébum » Piron (musicien) nous ont contacté pour travailler sur l’exposition L’homme dans lequel habite une forêt. Il y avait l’envie de continuer cette aventure.
Johann Fournier : Effectivement. Cette nouvelle proposition nous rapproche de l’idée de Forêt, parce que c’est comme ça que ça a commencé. Cette exposition a été une belle aventure et Noam nous a exposé son idée de déambulation dans les Ateliers d’Amphoux. Nous nous sommes dit que nous allions reprendre le même processus créatif qui inclut différents médiums : Jonathan Bénisty et Sébastien « Sébum » Piron pour la musique, Carole Bordes, Nacim Battou et Nabil Hemaïzia pour la danse, Laetitia Mazzoleni pour le texte et le jeu avec Noam Cadestin, Nathalie Drevet pour les arts plastiques, Damien Gandolfo pour une installation et moi-même.
Laetitia Mazzoleni : On retrouve l’équipe de Forêt, plus des personnes avec lesquelles Noam avait envie de travailler.

Le titre Les enfants du désert a un sous-titre, entre parenthèses, qui est Chimères. Pourquoi cela ?
Jonathan Bénisty : L’idée de départ était la construction d’une chimère. Au fur et à mesure de discussions et de construction de sens, l’idée du désert s’est imposée. Cette idée est beaucoup pus large que l’idée de la chimère. Chimères est l’impulsion du départ et les enfants du désert sont le concept à l’arrivée. Mais en même temps, on fait une chimère.

Quelles sont les directions, les contraintes artistiques qui ont été données à chaque artiste pour créer sa partie ?
Johann Fournier : Je souhaitais créer un contre-point de L’homme dans lequel habite une forêt qui était plein de propositions diverses. Ici l’idée est que tout s’imbrique. D’un point de vue créatif, c’était de mettre en avant le fait que le créateur fait des choix face à toutes les possibilités qui lui sont offertes dans son acte. Ce choix est de l’ordre de l’éclaircissement.
Laetitia Mazzoleni : Et puisque tout ceci se fait sous l’impulsion de Johann, c’est lui qui valide les propositions. On a une liberté par rapport au thème. On s’inspire de ce que les autres font pour faire évoluer notre propre proposition. Mais avant de confirmer notre proposition, on pose la question à Johann.
Johann Fournier : L’idée dans ce projet est d’éviter le contre-sens. Il y a une réelle vérification du sens. J’ai beaucoup discuté avec Jonathan Bénisty sur l’aspect nucléaire du projet, c’est-à-dire que chacun peut être le centre de la création de l’autre, et que ça se multiplie comme ça, à l’infini.

Un peu comme des atomes…
Johann Fournier : Voilà, exactement.
Jonathan Bénisty : C’est ça aussi l’idée du désert : qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien, et comment tout se recrée à partir du rien. Et sans vouloir trahir ta pensée Johann, le désert est la fin de tout mais le champ des possibles où tout peut recommencer, à partir du noyau justement, des particules élémentaires. Pour nous, cela se traduit comme ceci : quelles sont les particules élémentaires qui vont faire de la musique, de la danse, etc. et c’est sur cette base que l’on a tous travaillé. Et après la matière de chacun peut servir de matière aux autres pour donner une oeuvre collective. Et le noyau est le travail de Johann, dans le sens où on était tous centrer autour de lui.
Carole Bordes : Ce qui m’a intéressée, dans le projet, est que tout le monde parte de la même consigne. Pour moi, j’ai exploité l’idée du mouvement premier. J’ai travaillé sur la respiration et chercher une circulation dans tout ce qui nous rend vivant.
Johann Fournier : Pour moi, le premier atome était la parole. Et ensuite, tout ce qui a pu se greffer vit à partir de l’atome mais en totale autonomie.

Pour l’écriture de la partition musicale, par exemple, est-ce que vous avez l’impression de repousser vos limites ?
Jonathan Bénisty : je ne sais si je repousse mes limites… Oui, quelque part oui, parce que pour mon travail de musicien sur cette expo, je fais de la musique qui n’en ai pas.

C’est un peu dur de s’imaginer cela…
Jonathan Bénisty : En fait j’en sais rien, on va bien voir. Victor Hugo disait que : la musique, c’est du bruit qui pense. J’en suis absolument là. On n’est pas sur une forme musicale orchestrale, même si il y en a un petit peu. Dans ce cas là, oui, les limites sont repoussées.

Et pour la danse ?
Carole Bordes : Pour ma part, je vais toujours prendre le risque de ne pas rester sur mes acquis. Donc oui, en l’occurrence, ce mouvement respiré qui manque de virtuosité au départ, certainement. De ce mouvement premier, qui peut-être n’est pas intéressant, tout vient de là et on arrive a le trouver intéressant. Je pense que l’on crée à partir de presque rien.
Laetitia Mazzoleni : Pour aller sur cette notion de limites, je pense que l’on ne repousse pas les limites car cela voudrait dire que l’on continue dans le sens de ce que l’on fait et que l’on va plus loin, alors que là on va ailleurs. On teste quelque chose que nous n’aurions pas tester si Johann n’avait pas proposé ce projet.
Jonathan Bénisty : On se recentre sur un sujet et l’exercice est passionnant. Je me retrouve à faire deux installations d’objets, qui n’ont rien a voir avec la musique mais du son émane de ces objets. Et c’est très intéressant. Alors est ce que j’ai repoussé mes limites, je ne sais pas, mais j’ai ouvert mes horizons et ça j’en suis ravi. Comme Carole qui a fait une vidéo qui sera exposée, c’est différent de ce qu’elle a pu faire jusqu’à présent.

Vous êtes entrain de bousculer tous les codes de la représentation, d’une exposition, d’une installation. J’ai l’impression qu’il y a de la prouesse dans tout cela, avec un cadre qui évolue sans cesse…
Jonathan Bénisty : Pour les formes performatives, oui cela évoluera tout au long de l’exposition, mais il y a une partie fixe qui ne bougera pas.
Johann Fournier : Mais c’est vrai que cela laisse cette possibilité permanente de réagencement. Par exemple, lorsque Jonathan me parle de sa création, alors que j’ai fini la mienne, je réintègre de ses éléments dans mon désert, de même lorsque Carole me parle de sa vidéo sur le mouvement premier, j’interviens dessus car ça a du sens pour moi.

Vous êtes 10 sur le projet, 10 entités différentes. On sent une véritable cohésion entre vous.
Carole Bordes : Pour ma part, je connais très bien Johann et Jonathan, avec lequel je travaille beaucoup. J’ai découvert le travail de Nabil dernièrement. Il y a une grande confiance dans le travail que l’on fait.
Jonathan Bénisty : oui, c’est chouette d’avoir confiance.

Si il fallait définir la compagnie Agence de Fabrication Perpétuelle, on la définirait comment ?
Laetitia Mazzoleni : Nous sommes une bande d’enfants de 2 ans qui nous amusons. Rires.
Johann Fournier : Les enfants du désert, justement.

Les enfants du désert (chimères) est à découvrir du 28 octobre au 5 novembre aux Ateliers d’Amphoux – Avignon.
Avec : Jonathan Bénisty, Carole Bordes, Noam Cadestin, Nathalie Drevet, Johann Fournier, Damien Gandolfo, Nabil Hemaïzia, Nacim Battou, Laetitia Mazzoleni, Sébatien « Sébum » Piron.
Du lundi au vendredi, de 16h à 21h et le samedi et dimanche, de 13h à 21h.
Tarif plein : 5 euros / Tarif réduit : 3 euros

La page FB de la Compagnie : ici


Pour rendre justice à Jonathan Bénisty, je me devais de citer les anecdotes ou paroles de chansons dites lors de l’interview :
A propos du temps de création, il cite Picasso qui avait peint un tableau en 2h et qui demandait une grosse somme d’argent à un acheteur :
Pour deux heures de travail, vous voulez deux cent mille francs ?
Non, je les veux pour une vie d’expérience.
A propos du désert, le refrain de la chanson de Jean Patrick Capdevielle : Quand tu es dans le désert depuis trop longtemps, tu te demandes à qui ça sert toutes les règles un peu truquées du jeu qu’on veut te faire jouer les yeux bandés
Il citera aussi Maître Gims, en fin d’interview, et son fameux : J’aimerai devenir la chaise sur laquelle elle s’assoit.
Toutes les citations et anecdotes ont été vérifiées. Voilà qui est fait.

Laurent Boubousson

0 0 votes
Évaluation de l'article
Subscribe
Me notifier des
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
Partager
0
Would love your thoughts, please comment.x