La femme de ma vie, l’histoire de la création d’une pièce de théâtre – 3

19 mai 2018 /// Les interviews
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Gilles Bannier est le réalisateur à qui l’on doit les séries Paris, Tunnel (saison 2), Engrenages, Reporters… mais aussi le film Arrêtez-moi là avec Reda Kateb. Il est aujourd’hui metteur en scène de La femme de ma vie. C’est à Avignon, à l’Hôtel d’Europe que nous le retrouvons, accompagné d’Émilie Perraudeau. Rencontre.


Gilles, vous êtes connu comme réalisateur. D’où est venue l’envie de passer à la mise en scène ?
Gilles Bannier : C’est Robert Plagnol qui m’a demandé de l’accompagner pour présenter le texte, au public, lors de la lecture qui a eu lieu dans le Show-room Paul Smith à Paris. Je lui ai rappelé que j’étais réalisateur de films et non metteur en scène de théâtre. Nous avions déjà travaillé ensemble sur la série Reporters, il y a une dizaine d’années. Il m’a fait lire le texte de La femme de ma vie que j’ai beaucoup aimé.
Au départ de l’aventure, je ne me sens pas légitime pour signer la mise en scène. Puis, je me dis que ce n’est qu’une lecture et que nous allons le faire dans un lieu qui n’est pas un théâtre. Cela déculpabilise ma posture et je me plonge dans un univers, qui n’est pas le mien, comme cela. Nous avons travaillé pendant plusieurs semaines, ce qui est beaucoup pour une lecture. Devant les bons retours, nous nous disons qu’il faut passer à la forme spectacle.
Étant très occupé par mes tournages, Robert me planifie des séances de travail dans mes rares moments de libre et, pendant ce temps, il tente de convaincre des directeurs de lieux d’accompagner le projet. Mais comme vous le savez, le théâtre en France étant partagé entre le théâtre subventionnée et le théâtre privé, ceux du privé nous répondent que le texte est trop décalé et qu’il serait mieux dans le théâtre subventionné et inversement. La forme et le texte étant si particuliers, les directeurs ont un peu peur. À force d’obstination, Robert décide de faire cela à Avignon et de produire la pièce.
J’ai été convaincu de venir ici car la création se fait dans un lieu qui n’est pas conventionnel, puisque nous nous retrouvons dans un hôtel.  

Vous avez employé le verbe déculpabiliser, c’est assez fort ?
G.B. : Oui, je ressentais la culpabilité de ne pas être légitime. Je pense que cela était plus une crainte qu’une culpabilité. Ça me permet d’aller en douceur vers ce qui me questionnait depuis quelque temps, le théâtre.

Cela vous donne envie de vous lancer dans la mise en scène ?
G.B. : Oui follement, j’ai envie de persévérer. Il faut que je crée les opportunités en France car je vis à Londres.

Vous êtes assisté d’Emilie Perraudeau, au plateau. Emilie est présente depuis le début de la semaine et vous êtes arrivé en milieu de semaine. Comment votre collaboration s’est-elle passée ?
G.B. : Avec Robert, nous avons rencontré Emilie à Londres. Elle écrit et crée des spectacles également.
Pour La femme de ma vie, nous n’avons pas du tout suivi les règles conventionnelles. Emilie est arrivée avant moi, et moi après tout le monde.
E. P. : Tout le début de semaine a été de travailler l’espace avec Robert, afin de faire des propositions à Gilles. Je suis son troisième oeil.

C’est la première fois que vous travaillez ensemble ?
Émilie Perraudeau. : Oui, c’est notre première collaboration.

Vous êtes également metteuse en scène. Comment evisagez-vous le métier d’assistante ?
É. P. : Je monte, effectivement, des pièces francophones à Londres. J’aime beaucoup le métier d’assistante car on apprend énormément. Toutes les personnes sur la création ont un parcours impressionnant et l’équipe étant petite, nous créons tous ensemble. On part de zéro. Il y a un côté british dans la façon de travailler.

C’est-à-dire ?
É. P. : En Angleterre, on a un terme qui est divised theater : on part de rien et on crée tout, tous ensemble. C’est ce que l’on fait ici. On a un texte et on crée autour. C’est de la création collective.

Comment vous incluez-vous dans ce collectif, Gilles ?
G. B. : Aujourd’hui, j’ai travaillé sur le son avec Michel Winogradoff. Il considère le son au théâtre qui n’est pas très éloigné de comment nous le traitons au cinéma. On échange et chacun apporte l’eau à son moulin. Franck Thévenon a mis en place des lumières très simples et naturalistes que nous allons affiner. Je me base sur l’acquis pour poursuivre.

Robert Plagnol Vous avez dirigé Robert Plagnol sur la série Reporters. Pour La femme de ma vie, vous l’avez dirigé comme un réalisateur ou un metteur en scène ? Votre regard diffère-t-il avec celui d’Emilie ?
G. B. : C’est difficile de répondre car je ne me vois pas faire.
É. P. : Nous avons effectivement un regard différent. Je suis plus théâtrale et on mêle les deux visions. Il y a cette étrangeté du cinéma qui se mêle à la scène. Il ne faut pas oublier non plus qu’Andrew Payne écrit pour le cinéma et la télévision. Il y a ce rythme présent dans ce monologue.
G. B. : J’utilise ma réflexion, ce que je pense du texte et ce que Robert me propose de son interprétation du texte. Je suis plus qu’un metteur en scène, je suis un accompagnateur et, en même temps, j’imprime sans le vouloir ma vision de cinéaste. Je m’attache à l’histoire que l’on raconte. Le langage cinématographique est de trouver le bon rythme. Ici aussi. Donc, je m’attache au rythme, à la distance entre le personnage, l’acteur et le public, le gros plan, le plan moyen, le plan large, sans me le formuler. J’adapte ma vision et mon sens du récit cinématographique à celui de la scène.

Gilles, quel regard portez-vous sur Robert Plagnol ?
G.B. : Robert est un acteur qui est libre et très imprévisible. Je sais très bien qu’il va tout éclater le soir le représentation car il a cette faculté d’adapter son jeu par rapport au public.
Il y a des intuitions très fortes. Quand vous avez un seul acteur à diriger et que tout se passe en confiance, cela se passe de façon limpide.

Vous n’auriez pas traité la pièce de la même façon, dans rapport à la scène, si celle-ci avait été créée dans un théâtre ?
G.B. : Oui, c’est décomplexé ici. Il n’y a pas de règle. La seule étant celle que les gens écoutent, que ça ait du sens et une logique.

Cela doit vous faire bizarre de vous retrouver avec une équipe restreinte vous qui êtes habitués d’avoir beaucoup de personnes autour de vous ?
G.B. : C’est un bonheur. Sur mon dernier projet, l’équipe était composée de 120 personnes. Une petite équipe, c’est la liberté. Les ordres ne s’étiolent pas dans la nuit. Pour moi, être ici est une récréation sublime.

Vous vivez tous les deux en Angleterre. Comment la création théâtrale se passe-t-elle outre-Manche ?
É. P. : Ah, c’est beaucoup plus facile qu’en France. Je suis arrivée en 2008 à Londres. J’ai quitté Paris en me disant que je n’arriverai pas à avoir une compagnie. Aujourd’hui, je produis des pièces dans des petits et moyens lieux et j’arrive à rentrer dans mes frais. Je travaille en français car il y a une demande.
Tous les ans, il y a le Voila Europe ! Festival auquel on participe, et après j’essaie de faire une autre production. Nous avons également lancé le stand-up à Londres et nous donnons des cours.
En Angleterre, il y a une liberté pour faire les choses. Par contre, nous n’avons pas de subvention mais j’arrive à avoir le soutien de l’Institut français aujourd’hui. Il faut aussi rappeler que le mécénat fonctionne bien.

Gilles, quels sont vos projets, vous qui avez envie de refaire de la mise en scène ?
G. B. : Je viens de terminer le tournage de la saison 2 de Tin Star avec Tim Roth et Christina Hendricks, au Canada.
Le prochain projet auquel je participe est une série qui s’appelle World on fire, qui se déroule durant la Seconde guerre mondiale. La série porte sur l’invasion de la Pologne par l’Allemagne vue par des jeunes gens polonais, allemands, à Paris. C’est un projet très ambitieux. Je développe également des projets d’écriture avec les anglais. Donc, le théâtre attendra.

Propos recueillis par Laurent Bourbousson

La femme de ma vie d’Andrew Payne, mise en scène de Gilles Bannier, avec Robert Plagnol, scénographie Broo, lumières Franck Thévenon, création sonore Michel Winogradoff, musiques Amélie Nilles, assistante Emilie Perraudeau. Première samedi 19 mai à l’Hôtel d’Europe, puis du 6 au 29 juillet à 18h15, à l’Hôtel d’Europe.
Les lectures : Robert Plagnol accompagnera Pascal Lacoste pour Cockpit (le 25) et lira Quitter Paris (le 23) et Se Taire (le 25) d’Andrew Payne.
Retrouver les interviews de Brigitte Veyne et de Robert Plagnol. À venir ; Franck Thévenon et Broo – Michel Winogradoff

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