Rencontre : Ana Abril pour Invisibles Provisoires

11 janvier 2017 /// Les interviews
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C’est en plein mois de décembre, autour d’un thé, que la rencontre avec Ana Abril a eu lieu. Les adjectifs pétillante et survoltée pourraient très bien définir cette metteuse en scène qui présente Invisibles Provisoires au Théâtre des Halles, ce vendredi 13 janvier à 20h00.

Je croyais être en retard, sont ses premiers mots. Ana Abril donne l’impression de courir après le temps. A moins que cela ne soit pas qu’une impression. Après avoir choisi une table dans le café de l’Utopia Manutention, la discussion commence. Lorsque je lui dis jeune metteuse en scène, elle rétorque aussitôt : J’ai 50 ans, je ne suis pas jeune. Mais lorsque j’argumente que sa compagnie Vertiges Parallèles l’est et que ça fait d’elle une jeune metteuse en scène, elle acquiesce.
Les spectateurs des théâtres d’Avignon ont déjà croisé Ana. Elle a travaillé avec Jean-François Matignon, Agnès Régolo et Michèle Addala, pour ne citer qu’eux. D’ailleurs elle poursuit son travail avec cette dernière. On peut la voir dans La parabole des papillons. En Espagne, Ana Abril a pratiqué, par goût, la danse, la musique et le chant. C’est certainement cela qui la fait tendre vers le côté performatif lorsqu’elle se retrouve être fédératrice de projets, comme elle aime se définir.
Il est vrai que le teaser de son spectacle (à découvrir en bas de page) lorgne du côté de l’interdisciplinarité. Sur le plateau, ce sont deux comédiens (Régis Rossotto, Florent Terrier), une musicienne (Léa Lachat) et une danseuse (Marine Cheravola ), à laquelle elle a ordonné de ne pas danser, qui partagent l’espace de jeu. Je croyais qu’elle allait me tuer lorsque je lui ai dit cela !, dit-elle dans un éclat de rire.

L’idée de travailler sur Invisibles Provisoires est venue à ce moment précis, celui durant lequel tout semblait lui échapper. Il fallait que je prenne du recul par rapport à des événements qui se passaient dans ma vie. Je me suis posée et j’ai observé le chaos ambiant, l’humain avec sa gourmandise insatiable qui peut rendre bête et la part d’ombre que chacun a et qui est très intéressante à explorer.
La voici qu’elle se lance dans l’écriture d’impressions sur son propre vécu, sur l’errance, sur la crise en Espagne. Mais elle reconnaît les limites de cet exercice. C’est pour cette raison qu’elle entreprend un grand et large travail de lectures, ayant pour fil conducteur le chaos. Ce qui est grand et large devient fastidieux lorsqu’il faut tout assembler.
Ana Abril a puisé chez Jacques Rebotier, Joël Pommerat, Rodrigo Garcia, Jean-Pierre Burlet, Javier Abril et Olivia Rosenthal. Elle reconnait que cela a été un vrai parcours de combattant pour obtenir les droits. Dès que tu empruntes des morceaux de textes à plus de 2 auteurs, cela devient plus compliqué et c’est justifié. Le département de la SACD, qui s’en occupe, veille à ce que le propos du texte, que tu composes, ne dénature pas l’écrit original. Jacques Rebotier n’a pas souhaité que son monologue soit coupé, Rodrigo Garcia m’a donné carte blanche, pour Joël Pommerat, j’ai dû renseigner tous les co-auteurs (Marie Piemontese, Jean-Claude Perrin, Lionel Codino, Saadia Bentaieb, Agnès Berthon, Ruth Olaizola, Hervé Blanc) car c’est la particularité de son écriture, celle faite au plateau. C’est pour Olivia Rosenthal, que cela a été plus compliqué, car au début de notre travail, je n’avais toujours pas d’accord pour l’utilisation de son texte. La maison d’édition Gallimard a dit oui lorsque j’ai présenté Invisibles provisoires au Festival Off, cette année.
Invisibles Provisoires est une pièce organique. Elle qui souhaiterait travailler à même le plateau avec les corps et les voix, pour voir comment toutes ces choses peuvent cohabiter ensemble, met la matière au centre de son propos. Cette pièce raconte l’histoire de figures qui peuplent cet espace, mais pas de façon manichéenne, car tout est nuance dans notre monde, dit-elle.
Cette envie d’assembler des textes semblerait être sa marque de fabrique car pour son prochain projet, c’est encore ce vers quoi elle tend. Elle s’adressera au jeune public, mais pas trop jeune, et plus j’y pense, plus je me dis que ce sera plutôt aux adolescents et adultes, confie-t-elle. Peut-être est-ce dans cet assemblage de textes qu’elle trouve suffisamment de place pour exprimer sa créativité. Elle ne serait pas contre de monter des textes d’auteurs norvégiens, Jon Fosse par exemple, car ce sont les seuls, pour Ana, à laisser tout l’espace nécessaire aux metteurs en scène pour se glisser dans les textes afin de les créer assez librement.

Pour elle, si l’envie de mettre en scène se fait ressentir, elle n’est pas prête à laisser tomber la comédienne qu’elle est. Ce qui est insupportable, c’est d’être soumise au désir des autres. En tant que comédienne, il faut toujours dégager du désir… C’est douloureux pour moi de répondre à cette question. J’ai très envie de mettre en scène, mais j’ai très envie d’être sur le plateau. J’affirme aujourd’hui que je veux être les deux. Et c’est certainement pour cette raison qu’elle se retrouve sur le plateau de sa première création Invisibles provisoires.

Invisibles Provisoires est à découvrir ce vendredi 13 janvier 2017 à 20h00, au Théâtre des Halles (tdh) – Scène d’avignon.
Texte de Javier Abril, Jean-Pierre Burlet, Rodrigo Garcia, Joël Pommerat, Jacques Rebotier et Olivia Rosenthal
Adaptation et mise en scène Ana Abril
Lumière Michèle Milivojevic, régie son Léa Lachat
Avec Ana Abril, Marine Cheravola (danseuse), Léa Lachat (musicienne), Régis Rossotto (interprète), Florent Terrier (interprète) et la participation de Georgina Vall-Abril

Laurent Bourbousson

Photo : ©Delphine Michelangeli

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