[VU] Indestructible, des récits à la chaîne

Manon Worms et Hakim Bah s’emparent du livre « L’établi » de Robert Linhart paru en 1978 et cosignent Indestructible, une pièce faite de récits à la chaîne.

« Au départ, un livre : L’établi. Robert Linhart, intellectuel d’extrême gauche, y raconte comment il est parti comme beaucoup de camarades dans la période de Mai 68 travailler dans une usine de Citroën à Paris, pour côtoyer des ouvrir·ères·s et organiser la révolution » peut-on lire en guise d’introduction de la note d’intention écrite par les coauteurs d’Indestructible.

Avec pour base ce récit, dans lequel il est question de l’échec du combat politique face au travail à la chaîne et à l’exploitation humaine, Manon Worms et Hakim Bah convient le public à croiser deux trajectoires, celle de Bakary, jeune homme malien immigré en France travaillant à Sochaux dans une usine Peugeot, et de Cathy, lesbienne et étudiante à Normale Sup Ulm établie dans la même usine. Tous deux vont unir leurs forces pour faire révolution, l’un et l’autre portant leur combat : l’amélioration des conditions ouvrières et la reconnaissance des minorités.

L’entrée en matière d’Indestructible est fort intéressante et met en lumière la trajectoire de Bakary depuis le Mali. Elle raconte l’indépendance de son pays, les dictatures successives et la pauvreté qui se voit partout. Il dit aussi l’espoir de gagner de l’argent lorsqu’il se raconte que la France recrute dans ses usines automobiles et offre logement pour faire venir le plus grand nombre de travailleurs immigrés. C’est ainsi que Bakary débarque sur les docks à Marseille, et de galères en galères se retrouve à Sochaux.

Un assemblage difficile

Sur le papier, l’idée est bonne mais sur le plateau, le public assiste à un enchaînement de récits dont la mécanique patine. Les pièces détachées du récit, c’est ainsi qu’en parlent les coauteurs, ne s’imbriquent pas aussi facilement que l’on pouvait espérer. À trop vouloir en dire, les thématiques nombreuses sont énoncées et traitées à vitesse grand V. Que dirait-on alors dans ce cas, du rapport dominant/dominé, des luttes ouvrières, de l’avilissement ressenti par ces travailleurs, de la liberté sexuelle, si ce n’est de simples banalités ?

Si l’ensemble est et demeure un bel objet théâtral plastique et esthétique – nous passerons sur la chorégraphie du travail à la chaîne, l’émotion et l’adhésion que doivent susciter les combats portés par chaque protagoniste n’arrivent pas jusqu’au public sauf lorsque des images d’archives de travailleurs immigrés racontent leur quotidien.

Indestructible enfonce malheureusement les portes déjà grandes ouvertes de la réflexion sur les problématiques abordées et la dernière scène dit la nécessité de se soulever et de poursuivre ces combats, car ceux d’hier sont également ceux d’aujourd’hui, au cas où nous ne l’aurions pas bien compris. Merci pour la leçon.

Laurent Bourbousson
Crédit photo : © Robin Friend 2018 courtesy Loose Joints

Indestructible a été vu à la Scène Nationale La Garance, le 28 novembre 2024. À voir au Théâtre des Célestins – Lyon, du 8 au 18 janvier 2025, au Théâtre de la Cité Internationale – Paris, du 27 janvier au 8 février 2025

Générique

Écriture et conception Manon Worms et Hakim Bah / Avec Assane Timbo, Katell Jan, Adil Laboudi, Émilien Audibert, Julie Moulier et Olivier Werner / Scénographie et costumes Clara Hubert et Ninon Lechevallier / Vidéo Jean Doroszczuk / Son Marion Cros / Lumière et régie générale Gabriele Smiriglia

Production Compagnie Paupières Mobiles (Paris 19eme) et Compagnie Krasna (Marseille), avec l’accompagnement de En Votre Compagnie

Coproduction Ateliers Médicis, La Garance – Scène Nationale de Cavaillon, Théâtre de la Cité internationale à Paris, Les Célestins – théâtre de Lyon, en cours…

Avec le soutien de l’Institut français à Paris (dans le cadre du programme Des mots à la Scène), de Montévidéo- Centre d’art à Marseille, la Cité internationale des arts à Paris