VU : Looking for lulu
Sabrina Bus et Natascha Rudolf s’emparent de l’oeuvre de Frank Wedekind, La boîte de Pandore, pour dresser une carte des expansions amoureuses de Lulu, femme insaisissable. Un spectacle à défendre et à voir. Retour.
Ils sont là, entrent, sortent du plateau, attendent, font comme si nous n’étions pas là. Ils, ce sont les protagonistes. Leur espace de jeu sera l’échiquier, celui de la vie où l’on sonde l’âme humaine dans ce qu’il y a de plus pur et de plus vil.
Brice Beaugier, Sabrina Bus, Benoît Hamelin, Alexandre Jazédé et Olivier Boudrand donnent corps aux personnages de La Boîte de Pandore de Frank Wedekind. Ils vivent passionnément cette folle aventure sur le plateau et ne laisseront aucun répit au spectateur qui vivra autant intensement sinon plus ces 2h. L’habileté de la mise en scène et la direction interfèrent sur la perception que le spectateur peut avoir sur ce moment de théâtre. Le tout attise sa curiosité, dans un premier temps, le déconcerte par l’enchaînement des situations, pour le laisser médusé par le feu d’artifice final. Le spectateur est ainsi mis à rudes épreuves par Lulu, celle qui nous échappe autant qu’elle ne s’échappe à elle-même.
Elle est celle que l’on prénomme Nellie, Mignon ou encore Rouleau de printemps. Lulu a cette faculté de se transformer au gré de ses épisodes de vie tout en faisant éclater la brillance du personnage qu’elle a décidé d’interprêter pour sa vie.
Il s’agit bien d’épisodes de vie que cette pièce relate. Si cela débute dans le cadre d’une vie paisible auprès du Docteur Gold, la fin se fera dans les bas fonds de l’âme humaine, là où l’on joue avec la vie, où Lulu jouera avec la sienne.
Les différentes étapes de la décadence dans laquelle se jette Lulu sont en partie causés par les hommes de sa vie. Le père, joué par Benoît Hamelin, est cet être puant, assouvissant sa supériorité sur sa fille. Sans le nommer, l’inceste transpire dans leurs échanges. Elle lui sera obéissante jusqu’au bout, jusqu’à sa perte. Schöning, inquiétant Brice Beaugier, est celui qui la connaît depuis l’âge de ses 13 ans. Il l’a aidé à sortir du mauvais pas dans lequel elle se vautrait. Faisant figure d’amant éternel, il deviendra son mari laissant partir ainsi le souffle de l’attirance mutuelle. Le fils de Schöning, Alwa, interprêté par Alexandre Jazédé, est ce fils cherchant à se faire un nom. Il se raccroche à la vie comme il peut et voit en Lulu, la femme assouvissant son côté fétichiste. On lui doit le surnom dont est affabulée Lulu : rouleau de printemps. Et enfin Schwartz, Olivier Boudrand candide et courtois à souhait, le seul être fragile dont Lulu se jouera et par lequel débutera une accelleration vers la perte.
La carte des expansions amoureuses se dessinent au fur et à mesure de la pièce. Si le début semble installer un vaudeville sans porte, avec bon nombre d’amants et de maris qui entrent et sortent du plateau nu, les trajectoires des personnages explosent le cadre de ce registre. Se construit alors une pièce qui juxtapose différents moments de vie, se répondant les uns aux autres, sur le cadre d’un canevas piégeant tous ceux qui s’y installent.
Sabrina Bus et Natascha Rudolf offrent des images fortes et marquantes. La scène entre Schwartz et Nellie/Lulu, lorsqu’il lui poudre le corps, avec les paillettes virevoltantes autour d’elle donnant à sa muse l’image d’une Ève, sur son escabeau, semblant léviter avec une pomme à la main, ou celle du père et de la fille, lorsque ce dernier lui glisse la main entre les jambes, ou encore celle du rouleau de printemps, jeu fétichiste auquel s’adonne Alwa et Lulu.
La lumière bleutée de la scène finale procure un étrange vertige. Lulu est-elle visitée par ses amants-fantômes la poussant à la mort ? Prostituée, recherchant la chaleur d’être aimée, la fin sera celle qui la délivrera de ses démons, celle d’une expérience de trop, un jeu de trop, laissant exploser une certaine déviance sexuelle des rapports.
Lulu est effectivement l’histoire de cette femme inconsolable d’être aimé, de cette femme perdue dans sa course folle. Reviennet alors en tête ces deux phrases dites par le père de Lulu : « Ton sort est d’être sacrifiée ? » et « Tu jouis de toi-même au dessus de ta vie ».
Wedekind dépeignait les travers de la classe sociale bourgeoise, Sabrina Bus et Natascha Rudolf ancrent définitivement Lulu dans notre époque questionnant ainsi, à travers ces épisodes de vie, la place de la femme dans un monde d’hommes, sa position sociale, économique, sa force d’être à travers les regards des hommes qui en feront quelque soit leur attitude, une femme objet.
Looking for Lulu d’après La boîte de Pandore de Frank Wedekind
Mise en scène et scénographie : Natascha Rudolf
Création son et lumière : Yann Richard
Costumes : Sophie Carteron
Avec : Brice Beaugier, Olivier Boudrand, Sabrina Bus, Benoît Hamelin, Alexandre Jazédé.
A été vu le 23 septembre 2016 au Théâtre des Halles.
Laurent Bourbousson