[VU] Nuit magique avec la Comédie-Française et Le soulier de satin

29 juillet 2025 /// Festival d'Avignon - IN - Les retours
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Le Soulier de satin, un texte et des propos

Il y a, en premier lieu, le texte de cette pièce de théâtre, immontable tant par sa durée que par les effets de mise en scène et la multiplicité de personnages.

L’argument me demanderiez-vous ? Il est en somme tout simple en apparence. Nous sommes à l’époque de la Renaissance, au temps des conquistadors. Avec pour toile de fond l’histoire d’un amour impossible entre Doña Prouhèze et le capitaine Don Rodrigue, Le Soulier de satin traite du divin, du mystique, de la cosmogonie, des enjeux sociaux, du désir, en résumé de tout ce qui anime la société depuis qu’elle est.

L’histoire se développe sur quatre journées, fameuses parties empruntées au théâtre espagnol, très actif durant le Siècle d’or espagnol, entendons par là-même au temps des conquêtes et de la flamboyance du royaume d’Espagne.

Balayons expressément l’idée que le texte de Paul Claudel serait daté. Si par certains côtés, il semble l’être, il est toutefois intemporel par les questions et réflexions qui y sont soulevées. Et bien que cela puisse être impossible à imaginer, le public va rire de bon cœur par les situations comiques et l’ironie traverse ces quatre journées de part en part avec panache.

Ce moment unique qui va advenir

La troupe du « Français » convie donc le public à un marathon, à ce moment unique : celui de passer une nuit ensemble à travers les continents que portent la terre.

Le public découvre dans un premier temps, les merveilleux costumes dessinés par Christian Lacroix qui témoignent d’un travail de recherche minutieux comme peut le faire le couturier et designer à chacune de ses créations.

Les spectateurs sont accueillis avec de larges sourires par les interprètes qui entrent en ordre dispersé sur scène tout le temps de son installation du public dans la majestueuse Cour d’Honneur. Il règne, le jour de cette dernière, une certaine atmosphère. Si on prend en compte que c’est la dernière pièce que l’on voit de la 79e édition du Festival d’Avignon dans la cour d’honneur, on a en tête que c’est également, après le succès parisien, la dernière de cette mise en scène d’Eric Ruf, quittant ses fonctions d’administrateur général de la Comédie-Française le 4 août prochain.

Ainsi fait, la pièce débute et frappe d’emblée par le ton jovial qui se dégage. En musique, le préambule place le contexte et guide le spectateur dans cette traversée qu’il s’apprête à faire.

Une mise en scène de théâtre de tréteaux

Il règne, tout le long de la pièce, l’idée qu’Eric Ruf a emprunté tous les codes du théâtre de tréteaux pour faire de son Soulier de satin, ce moment de théâtre unique où tout semble d’une simplicité absolue. Navires d’époque, banquet fatal, malles de voyage, prennent place sur la grande scène de la Cour d’Honneur au fur et à mesure des scènes. Et le public navigue ainsi avec aisance d’un continent à l’autre, de journée en journée, avec cette idée qui ne le quitte pas, d’assister ici et maintenant à une prouesse théâtrale hors-norme.

La mise en scène laisse entendre pleinement le texte, s’attachant à mettre en exergue des paroles qui font mouche et qui résonnent avec notre époque et notre soif intarissable de découvertes et de conquêtes.

Et que dire de la troupe de comédiens portant ce texte avec élégance et raffinement, se jouant des situations que le vent cause lors de cette représentation.

Une troupe savoureuse

Si les interprètes sont toutes et tous à la hauteur de leurs différents rôles, on retient particulièrement Marina Hands, magistrale en Doña Prouhèze ; Florence Viala, qui campe autant une Marie Stuart à couper le souffle qu’une adorable annoncière ; Suliane Brahim, convaincante en Doña Sept-Épées ; Laurent Stocker, admirable endossant bon nombre de rôles ; Serge Bagdassarian, irrésistible dans ses interprétations – on retiendra la mémorable scène qui voit sa fraise se transformer en un chien rageur le soir de la représentation ; Sefa Yeboah, qui illumine la scène en Ange ; Christophe Montenez, qui fait grandir le personnage de Camille – l’amoureux transi de Doña Prouhèze – tout le long de la pièce ; Baptiste Chabauty, en un Rodrigue convaincant. Didier Sandre et de Danièle Lebrun sont resplendissants dans leur interprétation.

On retient également Edith Proust frappée d’un certain mysticisme, dialoguant avec les étoiles ; Coraly Zahonero en bohémienne, ainsi que Alain Lenglet dans son adresse à Dieu.

L’inventivité d’Eric Ruf multiplie les effets entre le public et la scène, maintient le spectateur en éveil, créant ainsi le jour en pleine nuit ! Vertigineux et exaltant, Le Soulier de satin, version 2025, restera gravé à jamais dans les mémoires. Merci pour cette nuit magique.

Laurent Bourbousson
Crédit photo : ©Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Le Soulier de satin a été vu le vendredi 25 juillet 2025 dans le cadre de la 79e édition du Festival d’Avignon.

Générique

Avec la troupe de la Comédie-Française Alain Lenglet, Florence Viala, Coraly Zahonero, Laurent Stocker, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Suliane Brahim, Didier Sandre, Christophe Montenez, Marina Hands, Danièle Lebrun, Birane Ba, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty, Edith Proust et Fanny Barthod, Rachel Collignon, Gabriel Draper* et Vincent Leterme, Aurélia Bonaque Ferrat*, Ingrid Schoenlaub, Anna Woloszyn / De Paul Claudel / Version scénique, mise en scène et scénographie Éric Ruf / Costumes Christian Lacroix  / Lumière Bertrand Couderc / Direction musicale Vincent Leterme / Son Samuel Robineau* / Travail chorégraphique Glysleïn Lefever / Collaboration artistique Léonidas Strapatsakis / Assistanat à la mise en scène Alison Hornus, Ruth Orthmann, Aristeo Tordesillas* / Assistanat aux costumes Jean-Philippe Pons, Jennifer Morangier, Aurélia Bonaque Ferrat* / Assistanat à la scénographie Anaïs Levieil*
* de l’académie de la Comédie-Française 

Production Comédie-Française 
Spectacle créé le 21 décembre 2024 à la Comédie-Française, salle Richelieu  
Les costumes ont été réalisés dans les ateliers de la Comédie-Française 
Avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet, grande ambassadrice de la création artistique 

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