[VU] OFF19 : Final Cut de Myriam Saduis

25 juillet 2019 /// Les retours - VU #OFF
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« Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait » Marguerite Duras. Alors Myriam Saduis, amoureuse de l’écriture de cette grande dame nous le dira-t-elle après, se raconte comme si elle redécouvrait en l’écrivant, en se racontant sur scène, ce qu’elle avait à raconter, c’est-à-dire qui elle est. Il est 18h10 et nous sommes déjà en suspend jusqu’au Final Cut de Myriam Saduis à la Manufacture en intramuros.
Un petit bureau avec beaucoup de tiroirs, bien cachés, parade à jardin. C’est le seul élément sur scène que Myriam Saduis rejoint rapidement, comme pressée, lorsque le Noir du plateau se brise.

Quand ma mère est morte,…

 « Quand ma mère est morte… » . Témoignage personnel. Récit. Direct. Présence. Rétrospectives. Intensité du réel. Mais lequel ?

Ma mère est née en 1938 sous le protectorat de Tunisie. Celui que Jules Ferry, le 28 juillet 1885, positionne dans l’espace de droits des races supérieures. A 18 ans, en 1955, cette jeune femme qui n’a pas fait d’études rencontre un homme plus âgé (il a 30 ans). C’est déjà un homme d’affaire. Jusqu’ici, ça ressemble vraiment à du Duras. Vous ne trouvez pas ?

L’Algérie est française et le sera jusqu’à 1962. La Tunisie deviendra indépendante plus tôt, en 1956, à l’exception de la base contrôlée de Bizerte. Peu de temps donc après leur rencontre. Des projections sur l’écran en fond de scène de documents photographiques ou filmés précieux aident à planter l’époque, aident à comprendre. C’est juste. Ni trop, ni trop peu.

La famille maternelle d’origine italienne quitte la Tunisie pour Dijon en 1958. C’est par correspondance épistolaire que leur amour va se développer jusqu’à la majorité au 19 juillet 1959. Elle rejoint alors l’homme qu’elle aime. Myriam, celle qu’on voit devant nous sur scène, naîtra de cet amour. « Ma mère était italienne. Mon père était Tunisien. Ma mère était européenne. Mon père était Arabe. On entend tout de suite quelque chose, non ? » .

D’un geste discret, comme si nous spectateurs n’étions pas là, Myriam adresse un coucou à la photo.

Trois ans plus tard. C’est la séparation. L’amour est apatride mais des frontières se créent. Myriam ne reverra plus jamais son père. Myriam s’est levée. Elle caresse l’écran. L’absence est là. À 5 ans, elle apprend à lire et l’enquête commence. Constante. Urgente. Déterminée.
Elle retrouve le négatif d’une photo de son père. D’un geste discret, comme si nous spectateurs n’étions pas là, Myriam adresse un coucou à la photo. Eh oui, c’est du réel. Eh oui, la scène donne à voir plus que ce que l’écriture peut dire.

Rétrospective sur l’enquête. Myriam revisite l’intranquillité dans laquelle vit sa mère. Elle réentend les chansons de Barbara que sa mère fredonne. Elle dévisage ses essayages de robes. Elle se réexamine aussi. Elle interroge sa propre compulsion d’objets, scrute ses tics le langage, décrypte ses gestes rituels.  « Évidemment, j’ai une psychanalyse pendant 12 ans, trois fois par semaine » . Et on devine que ça a été douloureux.

« Je n’ai jamais revu mon père mais il a fait signe deux fois » . Le premier. À 11 ans, une femme sonne à la porte et annonce « ton père veut te revoir » . Sa mère s’y opposera de toute sa force allant jusqu’à franciser le nom de famille tel que la loi du 25 octobre 1972, toujours en cours, l’autorise. Saduis est une fabrication issue de Saâdaoui. Les livres, ceux de Duras encore, sont des identités remarquables pour Myriam. Le second. Un soir de février. « Ton père est venu » . Sa mère l’expulsera de la maison. Elle portera plainte, bénéficiera du contexte conciliant anti-arabe pour l’expulser même de France où il vit pourtant depuis 16 ans ! Myriam fait une tentative de suicide. Myriam fugue à 18 ans. Myriam se tait. Myriam sur scène enlève sa perruque. Myriam devient comédienne et le théâtre joue son rôle. Myriam rejoue ou revit un extrait de l’acte III de La Mouette de Tchekhov. Pierre Verplancken lui donne la réplique et elle décompose le rejet du « petit bourgeois de Kiev », le père disparu. Elle le comprend désormais. Quelques temps après, son père est mort.

Sa mère est arrivée au cœur des ténèbres. Elle est internée d’office. Son intranquillité masquait à qui ne savait le voir, à qui ne pouvait le voir, à qui ne voulait le voir, des délires paranoïaques, la maladie mentale. Son cœur a vite et mystérieusement lâché. Elle est morte.

… Je suis allée sur la tombe de mon père.

Quand ma mère est morte…, j’ai pu aller sur la tombe de mon père avec mon fils. A Tunis, on lui a dit tendrement : ça fait 40 ans qu’on t’attend. Myriam est revenue à Tunis. Sur la photo projetée en fond de scène, le zoom se resserre lentement, petit à petit, mais moins vite que notre regard de spectateurs qui ont entendu, ont écouté, ont compris, sur un couple uni, souriant  en haut d’un paquebot chargé qui quitte Tunis. On les discerne de plus en plus, de mieux en mieux. Mais le zoom ne s’arrête pas. Il continue sur le coin de ciel entre eux deux. Père et mère s’écartent pour ce coin de ciel qui perce entre eux deux et rempli petit à petit l’écran. Final Cut.   

Merci Myriam.

Daniel Le Beuan
Visuel : Myriam Saduis dans Final Cut ©Marie-Françoise Plissart

Générique

Final cut de la Compagnie Défilé, a été vu à La Manufacture durant le Festival Off d’Avignon.
Écrit et mis en scène par Myriam Saduis Interprétation Myriam Saduis et Pierre Verplancken

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