Emmanuel Serafini, directeur du CDC Les Hivernales d’Avignon

24 novembre 2014 /// Les interviews
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Rencontre avec Emmanuel Serafini autour des trois lettres qui l’animent, de sa fonction de directeur, de sa relation avec les artistes et de programmation.

CDC Les Hivernales… Pourrais-tu nous dire ce que signifient ces trois lettres ?

CDC n’est pas la Caisse des Dépôts et Consignations, ce que l’on pourrait croire – rires. Mais le CDC des Hivernales se traduit par Centre de Développement Chorégraphique. De tous les labels créés par le Ministère de la Culture et de la Communication, c’est certainement celui que je préfère. Lorsque j’ai candidaté au poste de directeur, j’ai défendu ces 3 lettres : C pour le centre – être au centre de, diffuser -, D pour le développement – autour de projets, de festivals, et même aider au développement de l’artiste – et enfin le dernier C pour chorégraphique – à partir des danses, les académiques (contemporaine et classique) et les non-académiques (hip-hop, orientale, folklorique…). Oui, c’est cela un centre de développement des danses !
Ce qui est formidable, avec cet outil, c’est que mon équipe et moi-même sommes chargés de développer des actions autour des danses. Ceci est une de nos missions, missions établies par la circulaire du 30 août 2010 (1).

Reprendre la direction des Hivernales après Amélie Grand, comment l’envisage-t-on ?

Déjà, il faut rendre hommage au travail formidable qu’Amélie Grand et son équipe ont mené durant toutes ces années. Le passé prestigieux acquis grâce à la longévité extraordinaire du festival Les Hivernales est emblématique. Mais en même temps, le festival est la force et la faiblesse du CDC car pour beaucoup, les hivernales se résument à 7 jours de festival l’hiver et 15 jours de festival l’été. Avec les directives de la circulaire, nos missions sont consignées : nous réaffirmons notre place de diffusion et développons d’autres actions envers les publics. Les anciennes actions mises en place par Amélie Grand nous ont servi de socle et nous avons recomposé avec l’existant. Il était hors de question de faire table rase du passé mais plutôt modifier l’intérieur et apporter des réajustements pour permettre au CDC de sortir de son déficit.

Effectivement, à ton arrivée, un bruit courait autour de la situation financière désastreuse des Hivernales…

Lorsque j’ai été nommé à la direction du CDC, en 2009, la situation économique était très fragile. Il y avait un déficit chronique de la structure. Les pouvoirs publics ne faisaient rien et encore une fois, l’équipe d’Amélie Grand a tout fait pour éviter l’effondrement et chaque dépense a été faite en direction de l’artistique. A mon arrivée, les demandes de la part des pouvoirs publics sont claires : il faut licencier. Or, cela va l’encontre des missions car pour développer, il faut une équipe solide. Donc, mon premier travail est de garder une équipe, ce que j’arrive à faire. Il a fallut se battre, se renouveler pour montrer notre existence, pour sortir de notre délicate situation. Fin 2013, grâce aux efforts de l’équipe, grâce aux efforts des artistes qui se sont investis dans des projets et qui n’ont pas été tout à fait rémunérés à la hauteur de leurs demandes, la structure est sortie de la mauvaise impasse. Redresser une structure, cela prend du temps et ce temps est incompressible.

Tu dis : Nous développons des actions envers les publics. Quelles sont ces actions et surtout quels sont les publics visés?

Lors des ateliers pour le dispositif La danse c'est classe !

Lors des ateliers pour le dispositif La danse c’est classe !

Lorsque j’ai pris mes fonctions, je me suis rendu à l’évidence que pour le public des hivernales, le cdc se résumait aux festivals puis plus rien. Nous avons entrepris un travail autour des publics à capter : celui de l’université, des lycéens, des collégiens et des primaires aussi. Le volet Education artistique est important. Nous avons pensé et créé les dispositifs Temps danse et La danse c’est classe ! pour les maternelles. Ils émanent d’un projet collectif apporté au CDC par Régine Bramnik, directrice de l’Ecole Persil (Avignon). Ces dispositifs sont rendus visibles au début du mois de juin, au moment de la restitution des travaux chorégraphiques des classes participantes.
Ensuite, il a le public adulte. Nous avons créé le fameux Lundi au Soleil. Fameux car c’est un moment atypique. On voit des choses que l’on ne reverra certainement plus. L’objectif de ces rencontres pour le chorégraphe est d’expliciter au mieux son processus de création au public. Je ne dis pas que c’est participatif, mais cela permet au public de dire ce qu’il ressent. Je pense que nous avons réussi à créer une connivence avec le public.
Ensuite, il nous faut diffuser les relations avec le public et cela se gagne avec les différentes collaborations que nous avons avec les scènes d’Avignon les entités culturelles avignonnaises et d’autres festivals que les nôtres. Et là, je m’inscris dans la lignée d’Amélie Grand qui disait que les Hivernales étaient comme les branches d’un arbre, elles poussent là où il y a de la lumière. Pour moi, c’est une volonté de survie.

(1) : Circulaire label réseau 31 août 2010

Tu as évoqué, toute à l’heure, les deux festivals du CDC. Comment s’établissent leurs programmations ?

Visuel : Democracy de Maud Le Pladec par Konstantin Lipatov - Festival Les Hivernales 2015

Visuel : Democracy de Maud Le Pladec par Konstantin Lipatov – Festival Les Hivernales 2015

Pour le festival d’hiver, je définie la ligne artistique et je fais les propositions aux partenaires du festival. Ce sont des co-réalisations. Cela est différent avec le Théâtre des Doms car ce sont eux qui font la proposition.

Pour le festival de l’été, si je suivais la logique économique de la structure, je ne pourrais pas avoir une programmation. Alors, faute de moyens dédiés réellement au fonctionnement du CDC à l’année, on fait comme tous les autres lieux d’Avignon : on loue nos créneaux horaires et là, je ne choisis pas réellement les spectacles. Les seules compagnies choisies de la programmation sont celles de la région PACA. Toutes ces compagnies doivent être capables de résister au festival d’Avignon avec tout ce que cela demande (diffusion, réseaux…). Au CDC, on ne peut pas être véritablement le lieu de l’émergence, ni être le lieu expérimental comme on espérerait l’être l’été, parce que l’on ne ferait pas de recettes et ce temps fort est essentiellement financé par les recettes (38% du budget en 2014 !).

Cet été, une des compagnie de PACA retenue était CUBe Association – Christian Ubl – pour Shake It Out et I’m from Austria, like Wölfi !

Pour que le lecteur comprenne bien, il faut reprendre tout le déroulé pour arriver à la résolution finale de ce programme. Avant toute chose, les propositions qui sont retenues pour le festival d’été sont vues et validées par moi-même. Avec Christian Ubl, qui était invité aux Hivernales pour le parcours Bagouet en 2013, et pour lequel je le remercie, il y a une confiance qui s’est établie avec la promesse du créneau de l’été pour rendre son travail plus visible. En 2013, il n’avait aucune pièce chorégraphique à proposer. Il travaillait sur Shake it out.
J’avais vu son solo I’m from Austria, like Wölfi ! qui posait les pistes de la création à venir, Shake it out. Et j’étais confiant car je trouve que ce solo est une belle carte de visite : il y a son humour, son écriture chorégraphique…
En février 2014, je suis allé voir Shake It out lors de sa création au Pavillon Noir (Aix-en-Provence). Pour moi, la dernière partie n’était pas totalement aboutie et je savais qu’aucune reprise n’était possible pour retravailler cette fin. Amené tel quel, ce tableau ne correspondait pas réellement à la ligne artistique que je souhaite défendre au CDC. J’ai alors demandé à Christian Ubl de présenter son solo avec les deux premiers mouvements de Shake It Out. Ce qui a été fait et ce qui a permis à la compagnie d’avoir une exposition de son travail sur 10 jours consécutifs, ce qui n’est pas négligeable. Mais encore une fois, ceci ne remet pas en cause la confiance que l’on donne à l’artiste ni à sa capacité de créer.

La ligne artistique du CDC Les Hivernales se cale donc sur le climat d’hostilité que peuvent susciter certaines propositions…

Et surtout pour éviter de me recevoir des baffes dans la gueule ! Mais on doit être lucide par rapport à ça, et tant que je serai à la direction du CDC, surtout dans le climat politique et sociétal dans lequel on est, où tout est sujet à discussion, j’ai une responsabilité qui est d’assurer l’emploi des salariés, la respectabilité de mon lieu et la pérennité de cet outil. Je fais en sorte d’être sensible à des signes et cela est ma liberté. Alors est-ce que c’est de la censure ?… Mais on fait tous cela. Si on sait que des scènes vont être choquantes pour un certain public actif sur son territoire et qu’il existe différents moyens de toucher le public, alors oui, on peut choisir autre chose. Dans l’avenir, je pense que l’on n’aura pas d’autre choix que d’agir ainsi par rapport au climat que l’on traverse.

Si on prend l’exemple de Golgotha picnic, la pièce de Rodrigo Garcia qui subit des annulations de programmation, on s’aperçoit que cela est du à une poignée de personnes ?

Les différents directeurs, qui prennent le risque de programmer cette proposition, ont la capacité de réagir et politiquement et médiatiquement. Je ne suis pas Ribbes pour avoir une horde de journalistes devant le CDC et des fourgons de policiers pour assurer une date – rires. Ce qui est certain, c’est que lorsque j’établie ma programmation, je réponds à plusieurs questions : si je présente cette oeuvre, est-ce que mon équipe est assez forte pour lutter contre les boucliers qui vont se lever, est ce que moi-même je suis d’accord avec cette esthétique sur le plateau du CDC, quel sens ça a pour moi… Mais ce n’est pas pour une seule raison que l’on renonce à quelque chose. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte notamment les éléments qui contribuent au fait que l’on ne peut pas aller à cet endroit là, que l’on ne peut pas défendre cette chose et on a encore la capacité de choisir autre chose, ce n’est pas l’offre qui manque, j’allais dire tant mieux…

Dans ton discours, on sent pointer l’administrateur de compagnie que tu as été. N’est-ce pas difficile de se retrouver programmateur et de n’apporter qu’un regard lointain sur la création ?

Quand j’étais administrateur de compagnie (18 ans !), ce qui correspondrait plutôt à un travail de producteur délégué dans le cinéma, je donnais mon avis sur la création, j’intervenais directement auprès du metteur en scène, du chorégraphe, on m’écoutait ou pas, mais je me disais qu’en allant chercher d’éventuels partenaires, je devais faire preuve de lucidité quand à la création en devenir. Ma position « d’administrateur », qui n’est pas , encore une fois, le meilleur mot pour définir mon travail dans une compagnie, n’était donc pas de remplir des bordereaux d’URSSAF ou de TVA, mais bien de participer au processus créatif… J’étais, d’ailleurs, le premier, avant les interprètes, avant les co-producteurs, à savoir de quoi allait parler les spectacles de Pascal Rambert ou Fattoumi-Lamoureux…
Aujourd’hui, en tant que directeur du CDC les Hivernales et lorsque je commande une oeuvre à un artiste, je n’ai pas le temps de suivre le processus de création. En règle générale, lorsque l’on accueille un artiste, il arrive en fin de création. C’est alors difficile d’arriver et de dire : « bon tout ce que tu as fait ne tient pas ». Il m’arrive alors de donner quelques petites indications sur des détails, mais intervenir sur la matière pure, ce n’est pas possible. Et c’est impossible de le faire à mon endroit. Ma position n’a pas tellement changé mais je suis moins responsable des créations, il y a au sein des compagnies que nous accueillons des gens qui sont en charge de cet aspect du travail…

La toute dernière question : quelle a été la positon du CDC cet été par rapport à la grève des intermittents ?

Nous avons eu le temps de sensibiliser l’équipe du CDC au sujet puisque le mouvement a débuté au Printemps des comédiens à Montpellier. Nous savions aussi les résultats de l’annulation du festival d’été en 2003, lorsque Amélie Grand avait décidé de fermer les portes des Hivernales. Ma position a été la suivante : en tant que directeur, je ne faisais pas grève et j’ai laissé le choix à mes salariés. La situation avec mes permittents a, elle aussi, été clarifiée. Ensuite, pour les compagnies, je me suis adressé aux chorégraphes des compagnies qui ont le statut de fait d’employeurs et eux seuls faisaient le lien avec leurs salariés – danseurs et techniciens. Chaque compagnie a pu choisir sa position. Personnellement, j’ai décidé de ne pas fermer le théâtre.
On s’aperçoit que le secteur du spectacle vivant navigue dans le maelstrom de la profession entre intermittent et directeur de compagnies. Et il serait temps de clarifier la position de chacun, mais cela est un autre sujet.

Pour un portrait plus intime, Tripalium sur Culture Box.

Propos recueillis par Laurent Bourbousson.

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