ITW : Michèle Noiret pour Palimpseste Solo/Duo
Michèle Noiret présentera, avec David Drouard, Palimpseste Solo/Duo, du 19 au 21 mai au Théâtre National de Bruxelles, pièce créée au Théâtre de Chaillot (Paris) en septembre dernier. C’est un moment précieux que le public vivra puisque le duo sera accompagné sur scène par le pianiste Thomas Besnard et la clarinettiste Hannah Morgan, pour la première fois. Interview avec cette grande chorégraphe, toujours trop rare.
C’est en 2015 durant le festival d’Avignon que Michèle Noiret avait présenté, avec David Drouard, Palimpseste#1, étape de travail de ce qui allait devenir Palimpseste Solo/Duo, pièce hommage au compositeur Kharleinz Stockhausen. A l’occasion des dates bruxelloises, entretien de fond avec l’une des figures majeures de la danse contemporaine.
Pourrions-nous définir votre travail chorégraphique par son côté quasi obsessionnel pour la précision du geste ?
Ma danse est assez différente d’un spectacle à l’autre, en fonction du propos et de sa forme. Mais il est vrai que je suis perfectionniste dans mon travail. J’essaie d’être le plus lisible possible. Pour moi, plus un geste est précis, clair et lisible, plus il peut trouver sa liberté. Si nous prenons l’exemple de Palimpseste Solo/Duo, sur la composition du Tierkreis (signes du zodiaque) du compositeur Karlheinz Stockhausen, cette quête de lisibilité et le travail très ciselé permettent de nous détacher et d’être assez libres dans nos interprétations parce que le geste est complètement intégré à nos corps. Le geste n’est plus figé ou n’est plus esclave de la musique et d’une forme. C’est ce que j’aime lorsque je suis sur scène, retrouver une liberté, qui repose sur un gros travail en amont, afin de faire surgir toutes les couches possibles dans l’interprétation.
Vous avez rencontré le compositeur Kharleinz Stockhausen et avez travaillé avec lui à la sortie de Mudra, école de Maurice Béjart. Pouvez-vous nous raconter votre travail avec lui ?
J’ai appris le système de notation que Stockhausen a inventé, en sortant de l’école Mudra à 18 ans. Ce système permet une lecture de la musique sur le corps. C’était quelque chose de très contraignant, de très complexe et compliqué car il s’agit d’une polyphonie dans le corps : les mains étaient séparées, l’une suivait la trompette, l’autre le chant du ténor, les pieds, le piano… J’ai travaillé durant 13 ans avec Stockhausen et j’ai fait 3 pièces avec ce système de notation, dont 2 importantes : un solo et une pièce de 20 minutes avec des musiciens sur scène.
Cette rencontre m’a profondément marquée, mais je m’en suis aussi beaucoup détachée car ce n’était pas ma vision de la danse. Il n’y avait pas la liberté que je cherchais pour la création de mes pièces.
J’ai eu envie de rendre un hommage au compositeur, en 1997, en créant Solo Stockhausen, sur la musique Tierkreis. Je n’utilise pas la notation du compositeur mais sa musique agit comme une réminiscence : des gestes reviennent et me traversent comme une espèce de mémoire. C’est un dialogue avec celle-ci.
Aujourd’hui, vous vous apprêtez donc à transmettre tout ce savoir à David Drouard.
J’ai expliqué le système de notation à David, mais l’intention est de ne pas lui passer tout le travail de Stockhausen, mais plutôt celle de lui transmettre mon solo. Dans cette idée de transmission, j’ai travaillé avec le CNDC d’Angers ainsi qu’une danseuse de l’Opéra de Paris. Je transmets mon solo à celles et ceux qui sont curieux mais nullement la notation de Stockhausen.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer Palimpseste Solo/Duo, alors qu’au départ, il n’y avait que l’idée de la transmission ?
Au départ, lorsque nous avons présenté à Avignon, Palimpseste#1, l’idée était bien celle de transmettre uniquement le solo, soit les 6 premiers signes, tels que que je les danse. David Drouard s’est montré très curieux du solo, sur tout mon travail avec Stockhausen, ainsi que sur la partition, étant musicien lui-même. C’est ce qui m’a motivée à me dire que c’était la personne à laquelle je devais transmettre ce solo créé en 1997. Nous avons commencé à travailler et nous avions un réel plaisir à échanger. M’est venue l’idée de reprendre le solo mais aussi de faire une création sur les 6 signes qui suivent. J’avais déjà utilisé la partition de Tierkreis, dans Twelve Seasons, une pièce de groupe en 2001, avec des musiciens sur scène. Mais ici, se joue autre chose. En plus de la complicité que nous avons, ce qui est intéressant de voir est comment la présence masculine et le langage de David peuvent se retrouver dans cette pièce plus tard, lorsque je ne danserai plus ce solo. Ce Palimpseste se prolonge et se continuera avec sa présence dans les années qui viennent.
Pour les dates de représentation au Théâtre National de Bruxelles, le pianiste Thomas Besnard et la clarinettiste Hannah Morgan seront avec nous sur le plateau. C’est une première pour cette création.
Vous avez également créé avec David, L’Escalier rouge, en 2016. Est-ce qu’il pourrait être votre alter-ego en danse ?
J’ai rencontré David à travers un remplacement pour ma pièce Hors-champ, en 2013. Il était le remplaçant d’une personne qui n’a pas pu suivre la tournée. Il s’est très vite fondu dans ce travail qui relevait de la danse-cinéma. Ensuite, il y a eu cette envie de faire L’escalier rouge avec toujours l’idée de la danse-cinéma et de savoir comment cela allait se passer. David est-il mon alter-ego ? Peut-être, mais je ne sais pas de quelle facette, car je pense être moi-même assez multiple.
Dans votre travail, l’image tient une place importante. Que vous apporte-t-elle ?
J’ai commencé à travailler avec l’image très tôt. Ce qui m’anime dans mon travail, ce n’est ni d’inventer des mouvements, ni d’être dans la démonstration technique, mais de matérialiser une vie intérieure. Cela est la première chose qui me motive dans la création.
Bien avant que l’utilisation de l’image soit à la mode, je me suis filmée pour me rendre compte de ce qui se passait sur mon visage quand j’étais habitée par une émotion particulière et comment cela influençait mon mouvement. Il était évident que d’avoir des plans différents permettait de montrer des aspects du mouvement que le public ne voyait pas forcément, étant assis face au danseur. J’ai alors ouvert l’espace scénique sur différentes perspectives, comme lorsque vous êtes dans un musée et que vous tournez autour d’un objet.
Lorsque je ne travaille pas avec des caméras, comme pour Solo/Duo, ce rapport à l’image m’influence par rapport à l’espace, par rapport à la présence.
Ce travail d’image me nourrit encore aujourd’hui, comme peuvent le démontrer mes deux dernières création Hors-champ et Radioscopies, qui sont pour moi un long et un court-métrage scénique. Je les nomme ainsi parce que danse-cinéma est réducteur. Pour ces deux créations, l’idée était d’arriver à trouver toutes les techniques de cinéma qui pouvaient être intéressantes pour le spectacle vivant.
J’ai nourri et développé mon travail chorégraphique, ma gestuelle, ma recherche de comment matérialiser les présences et toutes ces vies intérieures depuis Les Plis de la nuit, la toute première fois où j’ai utilisé l’image, jusqu’à Hors-champ.
Vous avez trouvé la façon d’utiliser l’image sans qu’elle n’écrase ce qui se passe sur le plateau.
Pendant des années, j’ai travaillé les images en fonction de ce qui se passait sur le plateau, telle une déclinaison. Cela enrichit l’action et me permet de chercher à inventer un vocabulaire qui nourrit la danse et l’image et sans que cela ne se juxtapose.
Si on regarde les créations depuis le début de la compagnie, en 1986, on en compte 32. Quelles sont les créations qui vous tiennent à cœur ?
Quand je regarde tout mon parcours, je me rends compte que chaque création est un passage vers la suivante, et que chacune possède une chose qui va se développer dans la suivante, comme si un fil se déroulait. Il y a peut-être des créations qui sont plus marquantes. En partant d’aujourd’hui, je dirais que Hors-champ (2013) a été une étape très importante dans mon travail. Avec Demain (2009), j’ai créé un solo pour le grand plateau du Théâtre National afin de voir comment, seule en scène, le corps peut habiter un grand plateau. Ensuite, la première création au Théâtre National de Bruxelles qui a été Les arpenteurs (2007) avec les Percussions de Strasbourg sur scène avec une musique originale créée par François Paris. Il y a eu une pièce comme Chambre Blanche (2006) qui relate l’histoire de 4 femmes et de leurs différentes facettes, un travail purement chorégraphique où je développe la vie intérieure des personnages chorégraphiques, comme je les appelle. Si je reviens encore plus en arrière, il y a eu In Between (2000), un travail assez expérimental de recherche qui mettait en avant une gestuelle chorégraphique assez poussée en lien avec des outils interactifs son et image, sur les 4 éléments l’eau, la terre, l’air et le feu. Un travail qui était préparatoire à la pièce Twelve Seasons (2001), où j’ai mis en scène le Tierkreis de Stockhausen pour des musiciens. Encore plus en arrière, Les plis de la nuit (1996), Tollund (1994) et puis Vertèbre (1989) qui était un des premiers solos que j’ai énormément tourné. C’est difficile de sortir une pièce. Il y a certainement d’autres pièces qui sont importantes, qui m’ont marquée, mais en survolant les choses, voici ma réponse.
Votre actualité est Palimpseste Solo/Duo. Quelle sera la suite ?
J’arrive à une étape importante dans mon travail. Depuis 11 ans, j’étais artiste associée au Théâtre National de Bruxelles. Suite à un changement de direction, les cartes sont redistribuées. Beaucoup de choses changent, sont incertaines. Peut-être que j’arrive à un moment où je dois prendre de la distance pour savoir où j’en suis et vers quoi je vais. Je pense qu’il est important de se poser ce genre de questions. C’est une période très particulière pour l’ensemble du monde et je pense qu’un créateur se trouve aussi un peu influencé par tout ce qui se passe dans la société aujourd’hui, et par tous ces questionnements. Ce dont je suis sûre est que les envies de création, les projets et la recherche m’animent toujours autant. L’envie de danser et de réinventer ma gestuelle est très forte, aussi.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Palimpseste Solo/Duo & musiciens, au Théâtre National de Bruxelles, du 19 au 21 mai 2017.
à retrouver au Théâtre des quatre saisons, à Gradignan, le 13 mars 2018 et à L’Espal, au Mans, le 15 mai 2018.
La version Palimpseste Solo/Duo, au Lux Scène nationale de Valence, le 28 novembre 2017, et au De SPil, Roeselare (Belgique), le 29 mars 2018.