Impression#1 : Les Damnés, m.e.s Ivo van Hove

7 juillet 2016 /// IN
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Francis Braun n’est pas sorti indemne de l’ouverture de la 70ème édition du Festival d’Avignon. Les Damnés, le billet.

On ne ressort pas indemne de la Cour d’honneur. Les Damnés nous ont assassinés. Ivo van Hove, à la fois, cinéaste et metteur en scène, peintre et écrivain, nous a emmené dans l’horreur de la compromission. Aux entrailles de la fascination d’un immonde pouvoir… il nous a entraîné vers une atrocité aujourd’hui si familière.
Dans un décor de coulisses de théâtre ou les comédiens s’habillent, se reposent ou attendent, la Comédie Française joue ce soir l’histoire universelle.
On oublie tout classicisme qui parfois les isole, ils sont là, incarnés, immenses sur le plateau, regards droit vers nous, debout effrontés.
Ils nous prennent à partie sans mot dire. Leur regard nous demande ce que nous aurions fait à ce moment là.
Pourquoi dès les premiers instants, on sait que ce sera sans faille.

Il y a déjà sous nos yeux tous les détails de ce qui va arriver. Tout est en place avant que ce soit joué et on sait d’avance que le jeu sera noir, d’un noir goudronné, léger comme du goudron, plombé comme des plumes dans un mistral levant.
Cinéma et théâtre confondu. On pense à Visconti. On pense au film. On pense à tous les metteurs en scène qui s’aident avec la vidéo. On se souvient d’Ostermeier, de Katie Mitchell et de bien d’autres, mais ce soir, miracle du metteur en scène, la vidéo devient théâtre, le théâtre devient cinéma. La caméra devient peintre. Elle sera psychanalyste, elle rentrera au creux de leur regard, elle sera Patrice Chéreau dans le corps des hommes, elle sera scalpel des corps assassinés.

Ivo van Hove joue sur tous les plans. Il place la réalité sur des plans juxtaposés. Il démultiplie sa vision . Le son même et la diction prennent un écho différent selon celui qui parle en hurlant ou celui qui murmure son désarroi.
Le son parfois ainsi se dédouble comme sont aussi parfois les images filmées ou juxtaposées.

Cette famille est une troupe incarnée. Et cette incarnation par la Comédie Française est une vision magique. Ils sont inouïs.
Didier Sandre regard fixe, lèvres serrées et larmes qui dégoulinent, est irremplaçable. Immense gris et noir taché de rouge, cravate écarlate…
Christophe Montenez incroyable par sa folie et son désespoir nous émeut comme un Prince de Homburg….Loic Corbery magnifique, Guillaume Gallienne qui sort de lui même pour devenir un autre Guillaume… ils sont tous, les uns après les autres, les immondes cadavres filmés dans leur cercueils.
Voilà les premières impressions ce matin à 6 heures 30. Je reviens vers vous plus tard. Il y a tant à dire encore…

Entracte

….dites moi qui sera le plus fort, celui dont les manigances seront les plus efficaces. Qui sera sauvé de ce nœud de vipères familial ? Qui se sauvera de cette violence récurrente et de ce sang au goût de bière ?
Monsieur Van Hove, qui allez-vous désigner pour être le premier à s’allonger, pas encore défunt, mais luttant, étouffant dans ces cercueils alignés sur la rive droite de la scène ?

Qui étouffera de douleur sanguinaire dans ces boites accueillantes ?
Qui s’en échappera ?

Ils iront tous, sauf Martin qui tirera sur la foule et Elizabeth qui, en sauvant ses enfants, partira à Dachau.
Un a un, ils seront filmés dans un instant insoutenable de souffrance, dans une cruelle agonie claustrophobe.
Von Aschenbach continuera sa route. Martin (je le répète ce magnifique comédien qu’est Christophe Montenez) ne s’en sortira pas indemne.

Les Damnés, m.e.s Ivo van Hove. Cour d'Honneur - Juillet 2016 @FBRAUN

Les Damnés, m.e.s Ivo van Hove. Cour d’Honneur – Juillet 2016 @FBRAUN

Fusil à la main, nu après s’être enduit des cendres des autres, il brandira son arme sur ceux qui sont en face. Sur qui ?… Sur nous, sur eux, sur l’innocence, sur ces faux coupables… sur ces terrasses, sur cette musique.
Bien sûr, on y pense. On pense à cette damnation, à cette peur, à cette immonde réalité…
On pense, en le voyant, à cette peur d’hier, à cette peur quotidienne, à cette peur de demain. Le chaos de ces Damnés peut être le chaos de nous tous. Ce chaos qui est là, dans cette Cour ensanglantée.
Ivo van Hove a voulu nous plonger dans le chaos, nous faire peur…
Il y est arrivé, nous plongeant dans un effroi terrible.
Silence après tant de bruit.

Francis Braun

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