Interview : Fabrice Melquiot

17 novembre 2017 /// Les interviews
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Fabrice Melquiot ©Jeanne Roualet

Fabrice Melquiot a revisité un de ses textes pour Laetitia Mazzoleni (Compagnie Agence de Fabrication Perpétuelle). À l’occasion de la création de Mu, dont la première a lieu le vendredi 17 novembre au Théâtre Transversal (Avignon), l’auteur répond aux questions d’Ouvert aux publics.

Il y a un mystère concernant ce texte. Il s’agit d’un inédit que vous avez envoyé à Laetitia Mazzoleni suite à un échange de mails. Quel est l’élément qui vous a motivé à le partager ?
Une première version de Mu a été créée dans le cadre du festival Antigel à Genève. Il s’intitulait alors La forêt ne dort pas. Le texte était écrit à l’invitation d’Eric Linder, directeur du festival et compagnon de jeu. Le dispositif invitait les spectateurs à cheminer dans le Bois de la Bâtie, sous la pluie, parfois la neige, en plein vent, la nuit. Chacun était équipé d’un casque audio ; j’avais enregistré en voix off sur une musique d’Eric. Les spectateurs se déplaçaient en cortège à travers le bois. Régulièrement, des apparitions, des surgissements, venaient troubler la marche, l’enrichir, l’empêcher. Un danseur sous un arbre. Une voiture abandonnée, dont l’habitacle était remplie de fumée. Des enfants cachés dans les buissons. On marchait dans le texte, comme sur ce chemin commun. C’était une très belle expérience. Quand nous avons commencé à échanger avec Laetitia, j’ai repensé à ce texte. Je l’ai relu. Et j’ai eu envie de le revisiter, comme je le fais pour beaucoup de pièces qui restent des chantiers en cours, où je reviens piocher et pelleter.

Mu est-il un texte plus personnel que les autres ?
Comment pourrait-on écrire un texte qui ne soit pas personnel ? Et puis comment lire ce mot-là ? Toute l’écriture est affaire d’intimité offerte, et toute l’intimité est modelée par l’autre, les autres, la communauté. Je ne peux être moi que parce que je suis les autres, par postulat, par choix, par conviction. Ce qui importe c’est en s’embrassant soi-même d’ouvrir les bras assez grand pour embrasser le monde entier. C’est une ambition à la fois modeste et irréaliste.

Qu’attendez-vous, en particulier ou en général, des mises en scène de vos textes ?
Le moment le plus enthousiasmant, pour moi c’est très rarement la représentation. Le plus souvent, c’est un calvaire, franchement. Même quand ça se déroule bien. D’ailleurs, je ne sais pas ce que ça veut dire : quand ça se déroule bien. Parce que ce moment nous échappe. En tant qu’auteur, on n’y est déjà plus, je crois. Assis parmi les spectateurs, on n’est pas à sa place. On se ronge les sangs, on est tenté de zieuter les voisins, on a peur de l’accident, l’acteur bafouille et on savonne avec lui. On n’est plus en travail, on ne jouit pas des moyens du regard. Il faudrait qu’on soit assis à côté du pompier, dans la coulisse. Qu’on puisse tendre une bouteille d’eau à l’acteur qui sort de scène, l’aider à changer de costume. Un minimum, quoi. Ce qui me réjouit, c’est ce qui mène à tout ça. Quand le désir s’énonce, s’habite, prend acte. Un.e metteur.e en scène qui se déclare, la rêverie d’un.e certain.e acteur.trice pour jouer tel personnage, les premières esquisses scénographiques, les premiers croquis de costumes. Les intentions, les promesses, les prémisses. Je crois que c’est ça qui fait l’essentiel de ma joie d’auteur. Parce que c’est (encore) habitable. Peu à peu, le processus de création met l’auteur à distance ; il est là par le texte. Ce qui est résolument sain et nécessaire. On est devenu les mots qu’on donne.

Quel rapport entretenez-vous avec l’écriture ?
J’ai un rapport vorace à l’écriture. Je publie depuis 1998. J’ai écrit soixante pièces de théâtre en vingt ans. Trois recueils de poèmes. Un récit. Des romans graphiques, avec des illustrateurs. On m’accole souvent l’adjectif prolifique ; il est pratique, ambigu à souhait, c’est un bon raccourci. Pour certains, une telle vitalité est suspecte. Mais ce que ça veut dire, c’est que je travaille, je travaille beaucoup. Personne ne m’y oblige, quel luxe. J’exerce le métier que j’ai choisi, qui m’a sauvé de bien des embarras ; l’écriture m’apprend à mieux être dans les choses, être dans les choses comme en moi-même et dans les autres comme en soi. Ce que nous avons perdu le plus, c’est le sens de la joie, dit Pippo Delbono. Ma joie passe par là. Ce ne sera peut-être pas toujours le cas. Mais pour l’heure, je n’en perds pas le sens.

Vous êtes un homme de théâtre, également. Serait-il imaginable de vous penser uniquement en tant que metteur en scène ?
J’ai mis en scène certains de mes textes. Chaque création obéissait à un contexte particulier et était portée par l’amitié, le désir d’amitié, l’envie d’entretenir un dialogue amical donc intransigeant avec des gens choisis. L’écriture est mon premier sport ; elle le sera toujours. Mais ce sont tous les mystères qui habitent (et abritent) le lieu théâtral qui m’intéressent. Les mystères, mais aussi l’artisanat, les savoir-faire, les exigences, les contingences, les contraintes. C’est pourquoi j’ai souhaité diriger un théâtre (Am Stram Gram à Genève), l’animer, le réinventer, avec son équipe, avec les artistes et les citoyens qui en fondent et supportent le projet. Par ailleurs, j’aime profondément accompagner les acteurs.trices au plateau. Les danseurs aussi. Les acrobates. Dans ce champ exploratoire sans limite qu’est le jeu, au sens le plus ouvert du terme. Homme de théâtre, ça veut dire quoi ? Qu’on passe du temps dans les théâtres et dans la question même du théâtre, posée à la Cité. La question du théâtre aujourd’hui, dans ce monde-là, pour ces gens-là, pour les autres qui n’y viennent pas, pour ceux que ça impressionne, pour ceux que ça débecte, pour ceux qui ignorent qu’une vie les y attend, voire plusieurs. La présence de ces bâtiments dans les villes d’aujourd’hui, dans des villages ou dans de grands nulle part. Comme cette présence continue de m’interroger, je continue d’être ce type dans des théâtres, qui cherche des réponses qu’il ne trouvera évidemment pas, et c’est ce qui fonde le doute, donc la joie, parce qu’il y a une espèce de joie inouïe à n’être sûr de rien.

Vous allez travailler sur l’adaptation dramaturgique de la chorégraphie Monchichi de la compagnie Wang Ramirez pour le jeune public. Qu’est-ce qui anime l’auteur à se confronter à l’écriture du mouvement ?
Depuis plusieurs années, je collabore avec des chorégraphes ou des circassien.ne.s : Marion Lévy, Jean-Baptiste André, Ambra Senatore… La danse ou le cirque sont des arts frères du théâtre ; la scène doit toujours se revendiquer comme espace d’inclusion, de rapprochement, lieu d’alliances exemplaire, entre des disciplines, des artistes, entre des mondes. Un mouvement, ça s’écrit, ça s’investit, ça s’habite. Affaire de rythme, de couleur, d’intensité, de sens ; avec des danseur.se.s, on peut parler longueur de phrase, narration, dialogue, lien. Un auteur de théâtre ne produit pas que des mots ; il écrit du silence, il écrit depuis les corps, vers les corps. Écrire, c’est très physique. On n’a pas le corps avachi sur sa chaise, mais entièrement ouvert, tendu, en alerte, en suspens.

Propos recueillis par Laurent Bourbousson

Mu, un texte de Fabrice Melquiot / Interprétation Nicolas Gèny / Scènographie Johan Fournier / Musique Sebum / Lumières Sébastien Piron.
Les 17, 18, nov. à 20h et le 19 à 15h au Théâtre Transversal (Avignon). Renseignements ici.
Le site de Fabrice Melquiot * et du théâtre Am Stram Gram à Genève **.

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