Interview VIVANT ! Célia Oneto Bensaid pianiste
La pianiste Célia Oneto Bensaid a apporté une fraîcheur printanière teintée de charme mutin au soleil de plomb qui s’imposait au concert de 10h du Festival International de piano de la Roque d’Anthéron. Elle y a imposé avec maestria et alacrité le seul compositeur contemporain de cette 40ème édition : Philip Glass. Connu pour avoir apporté son génie à tant de musiques de films, de théâtre ou de pop stars comme Bowie, il reste l’ambassadeur d’une musique répétitive et minimaliste ponctuée de micro-variations. Une rigueur et une audace que le compositeur américain partage avec son interprète du jour Célia Oneto Bensaid. Un concert sublime tout en mélodie, douceur, impertinences qui fut un somptueux cadeau pour le jour du 86ème anniversaire de Philip Glass. Célia Oneto Bensaid a choisi un programme lié au théatre avec Metamorphosis, écrit en référence à Kafka et la Trilogy sonata de Glass/Barnes dont le premier opus fut présenté au Festival d’Avignon par Bob Wilson.
Intitulé « Le Temps suspendu » ce choix de pièces de Glass évoque l’espace-temps parallèle dans lequel Glass nous propulse et le confinement dont nous sortons. Un concert qui illustre l’engagement obstiné de cette jeune artiste à faire de la musique dans son époque et au cœur de son actualité. Elle défend aussi avec ferveur la place des femmes dans le milieu de la musique classique.
Photographies : ©Christophe Gremiot
Comment expliquez-vous le succès qu’a connu la musique sur les réseaux sociaux durant le confinement ?
Les comédiens, les danseurs sont dans des arts collectifs alors que pour nous musiciens, notre solitude est notre force, nous sommes habitués à travailler tout seul. Et il y a beaucoup d’instruments qui ont un répertoire que l’on peut partager en solo via les réseaux sociaux par exemple.
Comme il n’y avait pas d’offre culturelle ailleurs que sur internet, il y a eu une forte appétence générale. Cela a pu créer de nouvelles formes d’interactions entre public et artistes.
Le confinement a révélé plus encore que l’âme est nourrie par l’art et comme la musique fait partie des arts très accessibles même depuis chez soi, cela peut expliquer cet engouement.
Avez-vous participé à ces concerts sur Facebook ou instagram ?
Je n’ai pas eu le courage de poster des vidéos tous les jours comme certains. J’en ai réalisé 5 ou 6 en solo ou duos et trios virtuels avec d’autres musiciens ou chanteurs (Alexandre Collard, Natacha Colmez, Kaëlig Boché). J’ai également fait un concert live avec les pianos Yamaha qui me soutiennent dans mon parcours depuis 2015. J’ai perçu une différence entre les vidéos que je préparais à l’avance avec souvent 2 ou 3 essais avant d’être satisfaite (avouons que c’est assez chronophage de s’improviser YouTubeuse sans préparation !) et le live. J’ai senti l’adrénaline comme pour un vrai concert avec du public. Je m’étais apprêtée, j’avais préparé une présentation en anglais et français. Et même derrière l’écran, on ressent une présence ; on voit les gens se connecter et leurs réactions en direct, j’avais mis mon ordinateur en face de moi afin que cela fasse un plan sur les marteaux.
Pour revenir à cet effet d’engouement je pense aussi que les artistes avaient peur de ne plus pouvoir exister. Cette impossibilité d’exercer nos métiers et qui reste encore très limitée a vraiment révélé des angoisses de disparition.
Il faut noter que les artistes sont ceux qui ont été confinés le plus tôt et déconfinés le plus tard. Nous ne servions à rien dans cette situation où il fallait se rendre utile. Un sentiment vraiment déprimant !
Cette mise à mal du statut d’artiste vous a-t-elle fait envisager une éventuelle reconversion ?
Oui. J’ai tenté de m’imaginer non-musicienne. En admettant qu’il y ait encore une place pour des artistes dans le monde après Covid, il va y avoir, je le crains, de grandes restrictions budgétaires qui vont entraîner un effet domino qui va se répercuter à la fois sur les artistes du spectacle vivant, mais également les compositeurs, chorégraphes, plasticiens et peintres qui sont invisibles et plus vulnérables. Personnellement, je ne donne pas de cours, je vis de mes concerts, je suis intermittente, alors forcément je me suis dit « je suis jeune et je ne suis pas une star, s’il y a quelqu’un qui saute ça ne sera pas un grand nom bien établi, mais tout ceux qui comme moi sont en train de se construire ». Et même pour une reconversion ce n’est pas évident, je n’ai qu’un bac S, je joue en professionnel depuis 10 ans …
Actuellement la suppression des tournées internationales met aussi à mal des musiciens réputés qui en travaillant à l’étranger sont rarement intermittents. Leurs pertes financières sont donc aussi considérables et sèches.
Le Covid et cet arrêt brutal de toutes activités culturelles n’ont-t-ils pas destitué l’artiste alors que son statut était déjà très précaire ?
Je peux vous dire que ce n’est pas le moment d’avoir un projet immobilier… ! (Rire).
Mais il y a toujours du bon à tirer de tout. Je trouve qu’il y a certains abus mais qui ne sont pas forcément la conséquence des artistes eux-mêmes mais d’un système en place : le star système. Par exemple, on reproche à certains artistes médiatisés d’être omniprésents au lieu d’incriminer les organisateurs d’un Festival ou les directeurs de lieux de ne vouloir qu’eux ! Quand on y pense, si on les sollicite, ils acceptent, ce sont de grands artistes, et leurs places est sur scène, donc c’est normal. C’est aussi aux programmateurs de trouver un équilibre dans leurs saisons entre des artistes installés et d’autres, moins célèbres. Par ailleurs, je pense qu’il faudrait certainement diminuer les différences de cachets entre artistes, au moins quand c’est dans le cadre d’une structure publique.
Pour cette édition particulière, René Martin (Directeur artistique du Festival international de piano de La Roque-d’Anthéron ndlr) n’a-t-il justement pas pris ce parti de monter la force de la scène française et de présenter lors des concerts du matin la jeune garde des artistes de demain ?
René Martin est incroyable et très admirable pour ça… Évidement par rapport au Covid, sa singularité brille encore plus par son audace de choix d’artistes. Mais, il n’a pas attendu le Covid pour avoir dans sa programmation de grandes stars qui côtoient des jeunes pousses. Et justement les jeunes pousses sont propulsées parce que juste après il y a Volodos, Capuçon, Désert, Chamayou…, ce qui tire le niveau général vers le haut !
Mais surtout, René a réussi à maintenir son festival coûte que coûte et ça, c’est un véritable tour de force. N’ayant pas la possibilité d’inviter nombre d’artistes géniaux vivant à l’étranger, il a centré cette édition autour de l’école française de piano et l’a ainsi mise en avant ! Il aurait pu se contenter de faire 10 grands concerts, alors que là il y a ces 3 concerts répartis sur toute la journée (10H, 17h, 21h) et concentrés sur le lieu unique du Parc Florans, qui est en plein air. René est vraiment un programmateur qui aime les artistes et incontestablement tous les artistes ! Cela est un soutien infaillible pour nous. Nous avons de la chance d’avoir quelqu’un qui ne s’est pas dit « les temps sont durs, je ne vais m’accrocher à des valeurs sûres pour remplir mes salles ».
Est-ce René Martin qui vous a proposé ce programme autour de Philip Glass ?
Lorsque René m’a contactée pour ce concert, je lui ai envoyé trois propositions de programme dont celui autour de Philip Glass qu’il a choisi. Lui avait une vision d’ensemble de tous les programmes de cette édition et c’est lui qui a retenu celui qui, je pense, amenait quelque chose d’original par rapport au reste de la programmation.
J’étais honorée de défendre la musique d’aujourd’hui dans ce festival où je sais qu’il essaie de faire en sorte que toutes les musiques soient représentées pour offrir une proposition culturelle le plus large possible.
Vous avez été trés généreuse et engagée dans vos BIS. Est-ce le moment de toutes les libertés?
Je trouve le moment du bis vraiment délicieux. J’aime choisir de jouer des pièces qui ouvrent le spectre artistique tout en ayant un lien avec le programme du concert. Lundi dernier ainsi, j’ai d’abord voulu donner à entendre un compositeur contemporain de Glass : Ligeti dont j’ai joué sa 10eme étude « Der Zauberlehrling » (l’apprenti-sorcier), puis pour refaire un lien avec les Etats-Unis, le Mapple Leaf Rag de Scott Joplin, (peut-être le compositeur noir le plus célèbre, toujours aujourd’hui !), une pièce d’une jeune compositrice française Camille Pépin (oui, oui, les femmes peuvent composer et ce n’est pas un phénomène du 21è siècle !), Number 1, qui est inspirée de la toile éponyme du peintre américain Jackson Pollock et puis en dernier (car on approchait de midi, et la faim montait !) : la Tartine de Beurre de Mozart.
Vous allez vous produire au Festival Présences Féminines de Toulon en Octobre. Que pensez-vous de la place des compositrices dans le répertoire ?
Je commencerai par parler de mon parcours personnel : je n’ai tout simplement jamais été amenée à étudier d’œuvres de compositrices lors de ma longue scolarité. Aucun professeur n’a eu cette idée. Dans mes cours d’histoire de la musique ou d’analyse, c’est la même chose, j’ai pu étudier nombre d’œuvres de compositeurs et jamais de compositrices ! Quand je pense à tous les examens et concours avec des morceaux imposés que j’ai pu passer sans jamais de compositrice, je trouve juste ça fou ! J’ai découvert donc ce répertoire il y a 4 ans, grâce à Claire Bodin, la directrice de Présences Féminines.
J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on ressort ces œuvres et elles sont plus programmées. Mais les pourcentages d’œuvres de femmes jouées restent quasi nuls en France. De nouvelles initiatives vont dans le bon sens : la création du festival Rosa Bonheur par Lou Brault et Héloïse Luzzati ou encore les chroniques régulières d’Aliette de Laleu sur France Musique aident ce répertoire à enfin pouvoir prendre la place qu’il mérite ! Les interprètes ont autant de responsabilité que les programmateurs pour veiller à cela !
Quel est le projet que vous avez en commun avec votre sœur Olivia Dalric qui est comédienne ?
Après une première tournée de 80 dates avec notre création « Cendrillon, avec ma sœur », spectacle tout public, mis en scène par Alexandre Ethève, autour du ballet éponyme de Prokofiev et de la version du conte des frères Grimm, tournée qui nous a menées à la fois en suisse (TKM de Lausanne), mais à la Philharmonie de Paris ou encore sur la scène nationale de Château-Gontier, nous sommes en création depuis juin de notre prochain spectacle « West, le jour où je suis devenue Maria » encore plus ambitieux. Cette fois-ci, nous sommes toujours mises en scènes par Alexandre, mais nous avons la chance d’être chorégraphiées par Jean-Claude Galotta et avons pu faire une commande de texte à Kevin Keiss. La musique sera essentiellement autour des danses de West Side Story et la création aura lieu (on croise les doigts pour que rien ne change avec le contexte actuel !) en novembre au TKM de Lausanne ! Une aventure très excitante !
Propos recueillis par Marie Anezin
http://www.festival-piano.com/fr/accueil/bienvenue.html