[ITW] ANGELIN PRELJOCAJ POUR REQUIEM(S)

16 mai 2024 /// Les interviews
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Angelin Preljocaj crée les 17 et 18 mai, au Grand Théâtre de Provence, REQUIEM(S). Avec 19 interprètes au plateau, il entend créer une mosaïque des sentiments liés à la perte d’un proche. Interview. 

Le Ballet Preljocaj, des danseurs permanents

Laurent Bourbousson : Lorsque l’on parle de vos créations, nous avons tendance à oublier que l’on parle de votre ballet avec ses interprètes permanents, qui est votre compagnie.

A. Preljocaj : En effet, la compagnie travaille dans ce lieu magnifique qui est le Pavillon Noir (à Aix-en-Provence ndlr) qui réunit 30 danseurs permanents. Dans ce lieu, se trouve également le Ballet Junior, avec ses 30 danseurs en formation et enfin le GUID, le Groupe Urbain d’Intervention Dansée, qui va dans tous les endroits des villes de la région, dans les lycées, collèges, places de village, dans les prisons, les hôpitaux… tous les endroits où la danse ne va pas. Tout ce monde travaille dans cette passion qu’ils ont pour la danse. 

L.B. : Et ils sont à la bonne école avec vous. Vous avez une carrière fabuleuse avec 56 créations…

A. P. : Je ne compte pas ! Pour moi, celle qui compte est celle que je suis en train de faire. C’est celle qui me préoccupe. Je ne m’attelle pas du tout à l’idée de ce que j’ai fait avant pour me projeter dans l’avenir. J’essaye vraiment d’être dans le présent et dans l’invention, pour continuer à créer en fait.

REQUIEM(S), danser les rituels liés à la perte d’êtres chers

L. B. : Et cela se ressent dans chacune de vos créations puisqu’elles sont particulières. Le temps présent qui nous intéresse aujourd’hui est votre nouvelle création REQUIEM(S). À l’évocation du mot, nous avons un imaginaire qui se met en place. Comment avez-vous travaillé autour de ce mot ?  

A. P. : J’ai travaillé à partir d’une palette d’émotions. En fait, ce que je voulais, c’était créer une sorte de mosaïque de sensations et de rituels qui seraient donnés à voir par les danseurs. Tous les rituels de requiem sont une façon de se relier, d’être ensemble pour vivre ce même moment qui est la constatation, la déploration, l’émotion de la disparition d’un être cher. Ce qui est très étrange aussi, ce sont que les réactions, les sensations, les émotions peuvent être très différentes. Ca peut aller de la rage, quand on n’accepte pas le départ du défunt, à une sorte de lamentation, ou bien ça peut aller jusqu’à la joie même, c’est à dire la joie d’être encore vivant pour témoigner de la mémoire de celles et ceux qu’on a aimé et de continuer à les faire vivre à travers nous. Cette joie est très très puissante. Nietzsche évoque cette joie de vivre et d’exister qu’il faut absolument garder et faire perdurer au-delà de nos disparus. La mort nous met en face du miracle de l’existence et c’est très important de le souligner, elle donne du relief à nos vies. S’il n’y avait pas la mort, la vie serait éternelle. Elle n’aurait  ni la saveur, ni la texture qu’elle a.

L. B. : À partir de quel corpus avez-vous travaillé avec vos interprètes ? Vous les avez mis en situation, conseillé des lectures… ? 

A. P. : Nous avons fait des travaux d’improvisations à partir de situation. On a essayé de mettre en rituel certaines sensations et émotions. Je leur ai parlé également de mes lectures, de mes sources d’inspirations. Ce sont des danseurs très curieux qui se documentent également par eux-mêmes. Ils me renvoient également des éléments. C’est un échange.

L. B. : Au mot requiem, beaucoup de personnes associent le nom de Mozart et sa musique ou bien d’autres compositeurs. Comment s’est construite la partition musicale ? 

A. P. : Il ne faut pas s’attendre à entendre le « Requiem » de Mozart, ou de Verdi. Il y a quelques extraits de requiem, bien entendu, et d’autres musiques qui ramènent à ces déplorations, et parfois à ces moments de joie, que l’on connaît au moment de la perte d’un proche. La musique est une mosaïque des émotions diverses et multiples qui est à l’image du portrait de ce spectacle. Ce sont des univers que l’on traverse à travers diverses musiques.

Créer, ma manière d’être au monde

L. B. : Chacune de vos créations est très attendue. Comment vous sentez-vous à deux jours de dévoiler REQUIEM(S) au public ? 

A. P. : Personnellement, je me sens toujours en doute et en questionnement.
Je pense que le spectacle est comme une photographie et le public en est le révélateur au sens chimique. Comme pour la photographie lorsque le révélateur fait apparaître tous les contrastes et vous fait comprendre la photographie que vous avez faite, pour un spectacle c’est identique. Je suis exactement dans la même situation qu’un photographe qui, au moment où il prend la photo, ne sait pas si celle-ci sera juste, bien éclairée… C’est le public qui va vraiment révéler ce qu’est REQUIEM(S).
Et comme dit Marcel Duchamp, c’est le regardeur qui fait l’œuvre. Finalement, cela ne m’appartient même plus. C’est le regardeur qui va se l’approprier, en faire son histoire, qui va faire résonner des choses personnelles dans ce qu’il voit.  

L. B. : Durant votre carrière, avez-vous pu être étonné par des retours de spectateurs justement par rapport aux photographies que vous leur proposiez ? 

A. P. : Effectivement, on est toujours surpris. Et c’est ce qui est merveilleux avec l’art. L’art est un support. Que l’on soit peintre, sculpteur, vidéaste, on pose et on compose quelque chose que l’on donne à voir à une personne. Cela peut être un appui pour chaque spectateur pour se connecter au sentiment d’humanité, mais toujours avec une vision qui est propre à la personne qui regarde. Chaque être est différent  et chacun voit une chose différente dans une même œuvre. Et c’est ce qui est le plus merveilleux je trouve.

L. B. : Et c’est ce qui permet de redécouvrir vos anciennes œuvres, celles du présent et celles à venir. Parce qu’il y en aura bien d’autres ?

A. P. : Oui, j’espère (rires). En tout cas, je n’ai pas le désir d’arrêter, parce que créer pour moi est ma manière d’exister, d’être au monde. 

Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Crédit photo : ©Julien Bengel

Générique

REQUIEM(S), les 17 et 18 mai 2024 au Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence) – première mondiale puis en tournée : du 23 mai au 6 juin, Grande Halle de la Villette (Paris) ; du 4 au 6 juilllet, Festival Montpellier Danse…

Chorégraphie  Angelin Preljocaj · Lumières Éric Soyer · Costumes Eleonora Peronetti · Vidéo Nicolas Clauss · Scénographie  Adrien Chalgard · Danseurs à la création Lucile Boulay, Elliot Bussinet, Araceli Caro Regalon, Leonardo Cremaschi, Lucia Deville, Isabel García López, Mar Gómez Ballester, Paul-David Gonto, Béatrice La Fata, Tommaso Marchignoli, Théa Martin, Víctor Martínez Cáliz, Ygraine Miller-Zahnke, Max Pelillo, Agathe Peluso, Romain Renaud, Mireia Reyes Valenciano, Redi Shtylla, Micol Taiana · Assistant, adjoint à la direction artistique  Youri Aharon Van den Bosch · Assistante répétitrice Cécile Médour · Choréologue Dany Lévêque

Production Ballet Preljocaj
Coproduction La Villette – Paris, Chaillot – Théâtre National de la danse, Festival Montpellier Danse 2024, Grand Théâtre de Provence, Vichy Culture-Opéra de Vichy

Première mondiale  Vendredi 17 et samedi 18 mai 2024 au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence · Site : Ballet Preljocaj

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