[ITW] Bachar Mar-Khalifé, la tournée On/Off
Chaque album du multi-instrumentiste Bachar Mar-Khalifé lève le voile sur son savoir-faire. Avec le dernier en date ON/OFF, sorti en octobre 2020 en plein confinement, et ses titres hypnotiques, poétiques et universels, nous le retrouvons enfin sur scène, lieu qu’il apprécie particulièrement.
Parti au Liban, dans la maison familiale, pour l’enregistrement de ce dernier opus, nous revenons avec Bachar Mar-Khalifé sur certains titres de l’album, parlons des réseaux sociaux et de l’importance du live. Interview. L’artiste a reçu en décembre le Grand Prix des musiques du monde SACEM 2021.
Retrouvez toutes les dates de la tournée sur bacharmarkhalife.com
Actuellement, vous êtes en tournée pour célébrer votre album ON/OFF, album merveilleux sorti fin octobre 2020. Est-ce que le titre éponyme pourrait en être son parfait making off ?
C’est un peu ça. Pendant toute la préparation de l’album et celle du voyage au Liban, et même durant l’enregistrement là-bas, j’ai épluché, décortiqué un peu mes carnets – j’aime beaucoup les carnets et les stylos également, ils représentent un moment particulier surtout dans les voyages. Je voulais me remémorer des choses que j’avais écrites pour moi car le but premier est de les écrire pour les oublier. Et là, j’avais un appel vers eux. J’ai beaucoup écrit pendant cette période et cet enregistrement. Je voulais faire un condensé de ce que j’avais pu écrire durant ces 15 jours. Le titre ON/OFF est parti d’un carnet entier, d’une centaine des pages.
Ce n’est peut-être pas pour raconter ma vie, parce que ça je ne sais pas trop faire ça et je ne sais pas à quel point ça pourrait être intéressant, mais c’est vraiment pour marquer l’histoire de cet album. Au même titre, j’ai enregistré sur le piano présent dans la maison familiale qui n’était pas un piano en très bon état.
Cette chanson raconte tous les objets et les ressentis de cette maison. J’avais envie de définir ce territoire avec les mots écrits durant l’enregistrement.
Bachar et son père Marcel Mar-Khalifé réunis sur l’album
Que l’on connaisse ou non l’histoire de cet album, ON/OFF a cette force, celle d’être universel et de s’adresser à chacun en particulier. Il y a le titre Prophète véritablement bouleversant et empreint d’actualité. Comment en êtes-vous arrivé à en faire cette proposition avec la présence de votre père ?
Le texte et le livre Prophète de Gibran Khalil Gibran est l’exemple parfait de ce que peut être l’universalité. Le sujet des enfants, celui de la parentalité d’avoir le sentiment de posséder des êtres et en même temps de se poser des questions du style, « est-ce que l’on est responsable de tout ? » parle à beaucoup de gens.
Pour cet album, je ne partais pas de grand chose. J’aime bien partir comme ça et me laisser traverser par des évidences qui peuvent naître sur le moment. Je trouve que ça à beaucoup plus de poids que de tout préparer et de les imposer par la suite malgré le contexte. Il faut parfois se laisser traverser par la réalité du moment. Mon Père était là pendant l’enregistrement. Je ne l’avais pas prévenu que je venais au Liban pour l’enregistrement, sinon il m’aurait trouvé des prétextes pour empêcher comme de dire que la maison n’est pas un studio d’enregistrement… rires. Quand je suis arrivé sur place, il m’a regardé et c’était trop tard pour qu’il donne son avis. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble quand je faisais des pauses d’enregistrement. Il était toujours autour de la maison, on a partagé des repas, on s’est rapproché en quelque sorte. C’était un moment un peu à part. Il y a eu une connexion un peu nouvelle. Et puis le fait d’enregistrer dans cette maison familiale, au final, je crois que ça lui faisait quelque chose. Je sentais qu’il avait envie de participer d’une manière ou d’une autre. Il aurait été trop bête de s’empêcher de le faire, et j’ai repensé, un soir de l’enregistrement, à ce texte que j’avais lu quelques années. Je me suis dit que c’était peut-être le texte ultime à faire lire, à faire dire à mon père. Symboliquement, c’est quelque chose de très fort et aujourd’hui en concert, il y a sa voix qui résonne sur ce morceau et ça prend encore un sens autre. J’imagine aussi que certaines personnes n’ayant pas les détails de tout ce que j’ai fait, ont accès à quelque chose qui les interpellent.
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De l’importance du live
C’est une parfaite transition. Vous me parliez de la scène et à l’écoute de l’album, je me suis demandé comment les titres d’ON/OFF seraient traduits sur scène sur scène ?
Chaque album a sa propre histoire et comme chaque projet de tournée. Cet album, comme d’autres, est sorti dans une période où il n’y avait pas de concert. C’était quelque chose de nouveau puisqu’il était prévu de faire une grande tournée à sa sortie. Tout a été reporté. Durant la période de confinement, j’ai travaillé les morceaux avec mon équipe. Nous avons eu l’occasion de faire 2-3 live-streaming. Je l’ai uniquement fait lorsque nous étions accueillis dans des salles. Mais la tournée n’existait pas car les gens n’étaient pas là et le concert n’a aucune existence sans eux, tout comme les chansons.
Depuis la première résidence, que l’on a faite il y a 1 an et demi, jusqu’à la première date de la tournée, il y a quelque mois, les chansons ont mûries et grandies. Je n’ai jamais voulu jouer mes albums sur scène tels qu’ils sont dans l’enregistrement. Pour moi, ça n’a pas de sens. Aller à un concert, c’est presque un risque aujourd’hui, alors autant que ça en vaille le coup.
Je crois laisser les chansons grandir. Je n’ai pas d’appréhension à cela… Mon seul souci est que ces chansons, objets étrangers à moi, pour les jouer sur scène, il faut du temps pour apprendre à se connaître, et chaque chanson dévoile des choses petit à petit. Certaines prennent une place différente. Je laisse le temps façonner le concert.
J’ai l’impression que la tournée commence à décoller et qu’il y a encore plein de choses à attendre de la scène. C’est ce qui est beau en concert et c’est irremplaçable.
Je pense que le public a besoin de venir voir des concerts. Je sens une certaine effervescence lors des lives, qui est un peu sacrée. Avant, c’était normal d’aller en concert puis, nous avons vécu quelque chose qui nous en empêchait. Je pense que le live a pris une valeur essentielle dans la musique et qu’il ne faut pas oublier qu’il est normal de jouer un concert et d’aller le voir. Je crois qu’il faut garder cela en tête. Et je pense que le public et le groupe partons avec beaucoup de choses.
Ce qui est passionnant lorsque l’on vous suit votre actualité, ce sont les collaborations que vous entreprenez ? Le public vit cela comme un cadeau et cela donne l’impression que vous êtes partout pour notre plus grand plaisir.
Merci, cela me touche car je ne m’attarde pas sur la façon dont le public reçoit ce que je fais. En ce qui me concerne, je n’ai pas l’impression d’être partout. Je suis quelqu’un de discret. Je n’ai pas cette pression de devoir être partout. Il est vrai qu’aujourd’hui, il y a un diktat des réseaux sociaux avec si on a rien à proposer, les gens vont aller voir quelque chose d’autre. Et je me pose beaucoup de questions sur cela car parfois, j’ai envie de partager ce qui se passe en tournée et souvent je m’en empêche car je me dis que c’est un partage de plus dans ce magma du partage. Je ne sais pas ce que cela signifie pour les personnes qui voient cela. Et encore une fois, rien ne remplace le fait de venir à un concert et d’écouter de la musique.
Le titre énigmatique L’amour à plusieurs
Est-ce que nous pouvons évoquer le titre L’amour à plusieurs d’Ann Soler qui figure parmi les tracks de l’album ? Comment l’avez-vous découvert ?
J’avais fait la musique du film Fièvres de Icham Mayouch. Dans une des scènes, il y a un personnage masculin qui se maquille devant un miroir et qui s’habille en femme. Il y a cette chanson qui démarre, et c’était le seul ajout à ma composition. Cette musique démarre donc avec des violons très orientaux et je l’avais retenue. Je me suis alors demandé ce qu’était cette chanson, pourquoi c’était si bien fait et surtout pourquoi je ne la connaissais pas. Il y a très peu de gens qui la connaisse d’ailleurs. Et je l’ai oublié.
Durant l’enregistrement, je pianotais, et le thème m’est revenu, et c’est là où j’ai découvert cette chanson et eu le besoin d’en faire une version. Comme souvent, une chanson qui me hante, c’est un peu comme ce que j’écris dans les carnets, il faut que je la mette sur papier pour que je puisse m’en séparer. Voilà comment j’ai connu cette chanson.
Je dois dire que j’ai reçu un petit mot d’Ann Sorel et c’est quelque chose qui m’a fait un plaisir immense. C’est un morceau qui a pris une place particulière dans la chanson française et c’est une dame qui s’est retirée après sa carrière et qui n’est plus du tout dans le show biz. Cependant, elle a pris la peine de m’écrire un petit mot pour cette version et j’étais très heureux de le recevoir.
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En concert à La Paloma (Nîmes) et au 6Mic (Aix-en-Provence)
Le public va pourvoir vous croiser à La Paloma (Nîmes), ce mercredi 1er décembre. Vous allez partager la scène avec Gaël Faye. Est-ce que vous vous êtes déjà rencontrés ?
Brièvement dans des concerts et notamment pour celui de Soutien pour le Soudan. Nous avons une amie cinéaste en commun, Hind Meddeb, qui me parle de lui. Ce sera l’occasion peut-être de se rencontrer et d’échanger un peu. Mon concert à La Paloma est une version piano avec un guest.
Le lendemain, vous serez à 6Mic (Aix-en-Provence). Est-ce que ce sera dans la même configuration ? Ce sera le concert de la tournée avec tous mes musiciens et on va essayer de faire le plus de chansons possible car ce sera peut-être encore une fois le dernier live. On ne sait pas !
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Visuels : Habib Saleh
Concert Bachar Mar-Khalifé + Gaël Faye à La Paloma (Nîmes) le mercredi 1er décembre : ici
Concert Bachar Mar-Khalifé à 6Mic (AIx-en-Provence) : là
Site de l’artiste : bacharmarkhalife.com