[ITW] Brigitte Lefèvre : « nous avons un panorama de la danse assez impressionnant durant le Festival Danse de Cannes »
Du 27 novembre au 12 décembre, la ville de Cannes et son territoire vont vibrer avec le Festival de Danse de Cannes. Rencontre avec Brigitte Lefèvre, sa directrice artistique, qui signe une ultime édition pour laquelle la Danse retrouve sa majuscule, preuve de sa passion et de son engagement pour cet art.
Débute aujourd’hui votre dernière édition du Festival de danse à Cannes qui se déroule jusqu’au 12 décembre. Quel est votre sentiment ?
J’étais très touchée que David Lisnard, maire de Cannes et le tout nouveau président des maires de France, m’ait manifesté de renouveler sa confiance, mais en même temps je sentais qu’une étape était franchie. Je pense que parfois il faut forcer le destin. Je suis très heureuse que ce soit Didier Deschamps qui me succède. C’est quelqu’un que je connais très bien, qui a su montrer toute sa connaissance, sa culture et sa pugnacité.
J’ajouterais que je ne suis pas mécontente de tout le travail que nous avons accompli avec l’équipe du festival ainsi qu’avec les directeurs des différentes structures qui se sont unis à nous, durant toutes ces éditions. Je les remercie infiniment de s’être prêtés à ce rassemblement, et ça toujours été passionnant d’être avec eux.
Le Festival de danse Cannes, 28 compagnies sur le territoire
Effectivement, vous avez élargi le spectre du festival sur le territoire. Vous accueillez combien de compagnies pour cette édition ?
Il y aura 28 compagnies, sans compter les films, les ateliers, les résidences, qui sont autant de rendez-vous. Je pense que ce festival est devenu important et qu’il compte pour le public. J’étais très touchée l’autre jour lorsqu’une personne que je ne connaissais pas et qui habite Paris m’a dit “Comme je n’arrivais pas à me fixer sur le programme à voir durant le festival, je m’installe sur la Côte d’Azur pour toute sa durée et j’ai pris une place pour tous les spectacles !”
Nous le comprenons bien car il est difficile de procéder à un choix !
Ce que je crois, c’est que nous avons un panorama de la danse assez impressionnant durant le festival. Je le dis en toute franchise car ce sont les artistes qui le font.
Vous même êtes une artiste.
Il est vrai que depuis l’âge de 7 ans, j’ai eu le plaisir de me consacrer à l’art avec la danse. Et le travail pour être danseuse m’a permis d’aimer la musique, le théâtre, les arts plastiques. Toutes ces disciplines sont très liées à l’art de la danse tel que je le conçois et j’ai essayé de manière parfois intuitive à naviguer, dans les différentes programmations, sur cela.
Festival de danse de Cannes : une édition dédiée à la femme
Parlez-nous de cette édition pour laquelle vous avez mis la femme est à l’honneur.
Bien avant le confinement, je relisais une autobiographie sur Martha Graham. Et cela a été le déclencheur, le fil conducteur de cette programmation. Nous aurons l’occasion de voir le film documentaire A Dancer’s World avec une Martha resplendissante. C’est une danseuse très sensuelle et très savante. Elle a créé sa technique, tout comme Merce Cunningham a pu le faire, et je tenais beaucoup à ce que l’on puisse voir certaines de ses œuvres admirables, symptomatiques et justificatives. Je suis très touchée de la présence, dans le festival, de la Martha Graham Dance Company et de sa directrice Janet Eilber qui continue à faire vivre l’œuvre de sa fondatrice bien après sa mort. Nous verrons dans ce programme la création d’Andrea Miller pour cette compagnie. Je trouve que c’est un exemple de confiance et de transmission que de voir des danses qui ont un vocabulaire, une grammaire totalement différentes puissent cohabiter. C’est ce qui est intéressant.
Donc, je suis partie de Martha et les artistes femmes sont venues à moi : Louise Lecavalier (ci-contre : « Station » de Louise Lecavalier Interprète : Louise Lecavalier / Créateur lumière : Alain Lortie ©AndréCornellier), Bintou Dembélé, Carolyn Carlson… J’ai souhaité voir des femmes combattantes, pionnières, et toutes le sont en fait.
Mais je trouve très important que les hommes soient présents, comme Dominique Brun autour des œuvres inspirées de Nijinska, pour Les Noces et Un Bolero, sans oublier son frère Nijinski pour Sacre #2, ou bien Jérôme Bel avec son Isadora Duncan, ou encore Edouard Hue, qui le temps d’un pas de deux, partage le plateau avec sa compagne Yurié Tsugawa.
La danse c’est cela, il y a parfois des femmes, des hommes, des femmes et des hommes qui travaillent ensemble. Pour moi, c’est une façon de construire la vie sur un plan sociétal et sur un plan artistique aussi. Comme à l’image de la compagnie Wang Ramirez, que j’aime beaucoup. YOUME est chorégraphié par Honji Wang, et non par Sébastien.
Le CCN – Ballet de Lorraine sera présent avec la création Static Shot de Maud le Pladec. Cela a motivé le fait d’inviter cette compagnie, mais leur programme est magnifique car il rassemble For Four Walls de Petter Jacobsson et Thomas Caley en hommage à Merce Cunningham, et le chef d’œuvre de Merce, Sounddance. Je suis très heureuse de voir cela car j’ai eu l’honneur de danser sous la direction de ce grand chorégraphe.
Créations, découvertes et grands noms dans la programmation
Quand on regarde votre programmation, il y a les grands noms qui parlent à tout un chacun.
Rocío Molina sera à Antibes avec des guitaristes fantastiques, Thierry Malandain créera l’oiseau de feu en réponse au Sacre du printemps de Martin Harriague. Régine Chopinot sera également parmi nous. Elle présente A D-N Quatuor, une pièce sur Alexandra David-Neel, une femme que j’admire, avec Phia Menard. Kaori Ito crée sa première pièce jeune public au festival, et le Système Castafiore sera également présent. Et Damien Jalet qui doit beaucoup à Cannes car c’est ici qu’il a été très observé la première fois, a fait une création qui est absolument sublime, qui est d’une beauté absolue qui fait cohabiter les arts plastiques avec la danse. J’ai été très séduite par la proposition de la Compagnie Linga qui mêle danse et chant, avec l’Académie vocale de Suisse Romande, pour Sottovoce.
Et ce qui est judicieux, c’est de trouver des noms moins connus.
C’est notamment le cas avec la cie Eugénie Andrin pour Breathe, Breathe ! qui réunit 45 danseurs. Il y a également Balkis Moutashar, Sébastien Ly, Pierre Pontvianne, dont on parle moins actuellement, et là c’est un moyen de le redécouvrir. Il y aura également Salim Mzé Hamadi Moissi à découvrir du côté de Carros.
La création est donc très présente dans votre programmation.
Oui, et je trouve que cela est important. Mais il est également important que des œuvres fortes qui ont participé à faire connaître des artistes puissent être revues. Parce que finalement, on fait ça pourquoi ? Pour le public. C’est pour lui donner à voir, à aimer, à discuter… C’est pour cette raison que j’ai tenu à inviter le Ballet de Bordeaux pour La Sylphide car le public n’est plus habitué à voir de la danse classique de qualité (ci-contre : ©JulienBenhamou). Et celle-ci est vraiment extraordinaire. Ce programme participe à montrer les différentes femmes qui ont fait la danse.
Au même titre que la création, la transmission l’est tout autant.
Il en sera question pour le travail autour de Mié Coquempot, décédée l’année dernière. J’avais travaillé un peu avec elle pour qu’elle puisse venir. Béatrice Massin et Bruno Bouché ont poursuivi le travail débuté. C’est une belle illustration de la transmission que de penser que deux chorégraphes proches d’une chorégraphe décédée, poursuivent de faire vivre son œuvre. C’est quelque chose qui me touche énormément.
Carolyn Carlson a également transmis au Cannes jeune ballet sa pièce Wind Women.
Conférences au programme
Mais le Festival de danse de Cannes n’est pas que de la danse.
Il y aura également des expositions, dont une consacrée à Rosella Hightower mais également à Système Castafiore. J’ai demandé à un immense pédagogue Gilbert Mayer de venir faire une conférence sur le Marquis de Cuevas qui sera suivie d’une table ronde intitulée la pédagogie de la danse classique : une constante évolution qui rassemblera Gilbert Mayer, Jean-Guillaume Bart, étoile, professeur au Ballet de l’Opéra national de Paris et chorégraphe, Yannick Boquin, enseignant freelance international, Joëlle Boulogne, étoile du Ballet de Hambourg, professeure au PNSD Rosella Hightower, Paola Cantalupo, étoile des Ballets de Monte-Carlo, directrice artistique et pédagogique du PNSD Rosella Hightower et moi-même. Je trouve cela important de pouvoir devant un public parler de choses en vrai. Il y a aura également une conférence avec Laura Cappelle, qui est sociologue et critique, sur les femmes chorégraphes pionnières. Et il y a une très belle programmation cinématographique.
Le public va phosphorer durant cette édition…
Et puis sortir de ce qu’il croit savoir. Et peut-être se laisser surprendre par une des compagnies que j’aime beaucoup la MIMULUS cia de dança qui s’inspire des danses de salon. Il y a un côté sensuel. La musique est composée de musiques de films de Pedro Almodovar. ça crée des styles différents.
Nous découvrirons au travers de la plateforme Studiotrade, 4 chorégraphes européennes. Pour cela, nous avons beaucoup travaillé avec Eric Oberdoff de la Compagnie humaine, qui est un être de grande qualité. Cette plateforme sera orchestrée par ses soins (ci-contre, danss le cadre de Studiotrade : Last ©SofiaPereira).
Découvrez la présentation du Festival de danse de Cannes par Brigitte Lefèvre sur YouTube
Je suis certain que vous allez manquer au Festival de Danse de Cannes.
Je ne vous cache pas que j’ai un petit serrement au cœur. Mais vous verrez, et très franchement, je pense que Didier Deschamps ira encore plus loin que ce que nous avons pu faire, parce qu’on se le doit et que nous le devons à l’art de la danse.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Crédit photo Brigitte Lefèvre ©Palais des festivals et des Congrès Cannes
Festival de Danse de Cannes du 27 novembre au 12 décembre 2021. Toute la programmation sur festivaldedanse-cannes.com. Téléchargez le programme ci-dessous.