[ITW] Mathieu Desseigne pour Des gens qui dansent – petites histoires des quantités négligeables

1 avril 2019 /// Les interviews
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Naïf Production présente, au Théâtre d’Arles, Des gens qui dansent – petites histoires des quantités négligeables, pièce que nous vous conseillons fortement (lire le retour de Camille Vinatier ici). Rencontre avec le chorégraphe Mathieu Desseigne, aux commandes de cette proposition.

Naïf Production rassemble 3 chorégraphes-interprètes : Sylvain Bouillet, Lucien Reynès et Mathieu Desseigne. Si chaque création est le fruit de l’imaginaire de l’un d’eux, il n’en demeure pas moins que le travail se réalise sous le regard et les discussions du groupe. Tel est le cas pour ce dernier né : Des Gens qui dansent – petites histoires des quantités négligeables. Aux commandes, nous retrouvons Mathieu Desseigne.
Rencontrer le chorégraphe-interprète, c’est faire abstraction du cadre de l’interview que l’on s’est donné. Il vous propose des pistes de réflexion tout au long du temps, que vous vous étiez imparti, pour le faire littéralement exploser. Comment rapporter ses dires reste une difficulté agréable à surmonter, tant l’échange est fécond en pensées. Ici, il s’agira donc d’une tentative de refléter la réalité du moment. Du moins, la mienne.

Des Gens qui dansent, de l’importance du sous-titre

Ils sont 5 au plateau, dont Lucien Reynès. Alors que jusqu’à présent, seuls les membres de la compagnie se partageaient la scène, en forme trio ou solo, pour cette création, ils ont fait appel à des interprètes extérieurs. « Il n’y a eu aucun casting, aucune audition. Cela serait en contradiction avec nos valeurs. Par contre, il y a eu un temps de travail, de deux semaines, durant laquelle nous avons convié ceux qui étaient de futurs et hypothétiques interprètes. Durant ce temps, nous avons défini le sens sensible et intelligible de ce qu’allait être la pièce. Nous avons travaillé autour des questions de ce qu’est le métier du danseur. C’était un temps payé avec l’idée que cela ne pouvait rien donner » . Parmi les interprètes, on retrouve Clotaire Fouchereau et Andres Labarca qui sont issus du CNAC, institution que connaît bien Mathieu. « Ce sont deux personnes qui se situent dans des zones de proximité artistique. Il y a Nacim Battou avec qui j’avais déjà travaillé avec le Collectif 2 temps 3 mouvements, et la véritable rencontre est celle de Julien Gros. Elle est un heureux hasard. »

La pièce Des Gens qui dansent a un sous-titre auquel tient particulièrement le chorégraphe : Petites histoires des quantités négligeables. Comme pour marquer la vulnérabilité de ceux qui dansent. « Il y a une opposition directe dans le titre, ceux qui dansent et les autres. Avec le sous-titre, cela tempère ce propos. C’est comme si en venant à un spectacle, on attendait du danseur une situation entendue. La valeur de ce qui se passe au plateau se niche dans les frictions et interstices qui construisent le propos. »

Et le propos, justement, quel est-il ? La pièce Des gens qui dansent donne la parole aux interprètes. Bien entendu, certains diront que ce n’est pas nouveau mais ici, la forme que revêt cette pièce, avec l’alternance des moments dansés et l’adresse directe au public pour engager un échange, modifie la zone de confort dans lequel le public aime s’installer.

La place de la parole dans l’espace chorégraphique

« La prise de parole chez les interprètes a été naturelle dans un premier temps car nous avons abordé cette question très simplement. Nous sommes passés par les stades suivants : parle-moi du métier, décris-le moi, explicite-le moi. À quoi fais-tu appel pour faire le geste, comment nommes-tu les choses ? Et enfin, quel est l’enjeu pour toi, le groupe ?  » Si cela donne des moments cocasses, il n’en demeure pas moins que les réflexions qui s’en dégagent (notamment sur la condition humaine, celle d’être, ou encore dans le simple fait d’exister) donnent une consistance concrète à la proposition. « La question de l’adresse a été un enjeu primordial. La relation aux mots a évolué. Nous avons été accompagnés par Michel Schweizer de la Compagnie La Coma. Je souhaitais qu’une parole extérieure, à notre groupe, vienne le perturber afin de nous pousser davantage. Cela a donné lieu à des endroits d’accroches où certains ont été empêchés à traduire en geste et en mots leur vécu. La traduction n’a pas été toujours simple.  »

Afin qu’une pensée soit, il faut donner au corps un langage gestuel pour qu’il puisse s’exprimer

Mais ce rapport à la parole, Mathieu l’entretient depuis toujours pourrait-on dire. « J’ai un rapport aux mots qui est lointain grâce à ma mère qui m’a donné des livres à lire dès mon plus jeune âge » , souligne l’intéressé. Puis, il y a eu l’aventure avec Collectif 2 Temps 3 mouvements, d’où sont nées les créations La stratégie de l’échec et Et des poussières, qui laissaient entrapercevoir ce vers quoi le chorégraphe voulait tendre. Le solo La chair a ses raisons et le sujet à vif en 2016, au Festival d’Avignon, Bâtards avec Michel Schweizer, sont venus compléter cette recherche. « Ma rencontre avec Michel est arrivée à un moment d’évidence. Je réfléchissais à la fabrication de ce qu’allait devenir La chair a ses raisons : considérer le matériau corps avant que celui-ci ne fournisse du geste comme l’endroit d’une genèse de la pensée. Ceci est une phrase de dossier de subvention. [rires]. J’essayais en fait d’indiquer une direction : comment les choses s’organisent et d’où viennent-elles ? L’idée était que je voulais parler sans mot et que l’on allait me comprendre. Le seul fait de se poser cette question n’est pas inintéressante. Le corps est la genèse de la pensée : on pense à partir de ce que l’on est, des contraintes exposées dans cette enveloppe-là et c’est cela qui définira ensuite la pensée qui émergera. Afin qu’une pensée soit, il faut donner au corps un langage gestuel pour qu’il puisse s’exprimer. Les tensions qui donnent lieu à un geste sont les mêmes qui donnent naissance à un mot. Je me pose ce cadre, celle de l’antériorité du signe somatique avant que celui-ci ne s’exprime par un mot. Je rencontre donc Michel à ce moment-là. Et c’était une belle expérience. Des gens qui dansent s’inscrit dans la continuité de La chair a ses raisons et de Bâtards dans une symétrie assez lointaine mais qui néanmoins est présente. « 

Dire qu’une chose est finie, une fois qu’elle est créée, est ce que l’on appelle une logique de marché et cela va à l’encontre du spectacle vivant.

Le rapport à la création

Les créations de Naïf Production se façonnent au fur et à mesure de leurs tournées. Si on prend l’exemple du projet Je suis fait du bruit des autres, la 11ème édition est différente de la toute première. Il en est de même avec la Mécanique des ombres qui est arrivée à sa forme correcte après 1 an et demi de tournée. On sentirait presque une certaine liberté de créer au sein du trio. « Je ne crois qu’il s’agisse de liberté. Lorsque je décide d’arriver à la possibilité de faire quelque chose, cela passe par un processus. Nous créons tous dans un contexte de création collective. Les choix se font à partir des réponses énoncées. Je crois que l’essentiel est de tenter de ne pas faire ce qui est fait partout. Parfois c’est maladroit, imparfait mais, pour ma part, c’est cela que je recherche.  » Et cela Mathieu Desseigne le démontre parfaitement avec cette ultime réflexion. « Dire qu’une chose est finie, une fois qu’elle est créée, est ce que l’on appelle une logique de marché et cela va à l’encontre du spectacle vivant. Il existe des œuvres saturées qui sont figées, et des œuvres vivantes qui évoluent.  » Et à ce titre, Des gens qui dansent – petites histoires des quantités négligeables est une pièce hautement vivante.

Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Photographie : Sara Vanderieck

Générique et dates

Des gens qui dansent – petites histoires des quantités négligeables à voir au Théâtre d’Arles le 2 avril 2019. Renseignements ici. À retrouver au 104PARIS, les 5 et 6 avril, dans le cadre de Séquence Danse Paris 2019.
Création et interprétation Nacim Battou, Clotaire Fouchereau, Julien Gros, Andres Labarca et Lucien Reynès | À l’initiative du projet Mathieu Desseigne-Ravel | Accompagnateurs Sylvain Bouillet et Lucien Reynès | Collaboration artistique Michel Schweizer | Création lumière Pauline Guyonnet | Création sonore Christophe Ruetsch

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