[ITW] Stéphanie Slimani de la compagnie La Divine Usine
Ouvert aux publics reçoit Stéphanie Slimani, metteuse en scène, comédienne, marionnettiste, autrice, professeure de théâtre et fondatrice de La Divine usine, compagnie installée à Toulon depuis 2008. Propos recueillis par Marie Godfrin-Guidicelli.
Dans le cadre du programme Châteauvallon en itinérance, Stéphanie Slimani crée le projet participatif Aventure intérieure avec les habitants de Garéoult, dans le centre Var. La restitution publique se déroulera dimanche 29 octobre à partir de 11 heures : rendez-vous dans le jardin des Trois Tonneaux.
Pour mémoire, ce n’est pas la première fois que vous collaborez à la scène nationale ?
Il y a deux ans, j’ai participé au 99 Project initié par Geneviève Flaven en tant que metteure en scène. Il y avait déjà cette notion de projet participatif avec une soixantaine d’adultes amateurs. Moi-même je suis professeure de théâtre, la transmission et le travail auprès du public amateur me passionnent. C’est donc par cette première invitation du Liberté qu’a commencé ma collaboration avec la scène nationale. C’était un beau projet, très riche, une belle aventure qui a bien fonctionné. Châteauvallon m’a proposé de travailler à nouveau avec eux cette année.
Il me semblait que vous aviez travaillé également à la création de marionnettes pour le spectacle Fragments mis en scène par Charles Berling ?
C’est vrai. Je fais beaucoup de choses différentes avec beaucoup de supports : la danse, le théâtre et donc la marionnette. Je n’ai pas d’étiquettes car je pense que la pluridisciplinarité est une vraie richesse. En tous cas, dans mon travail, elle est essentielle. Et l’échange aussi car j’aime collaborer avec de nombreux autres artistes.
Que représente pour vous l’idée de projet participatif ?
J’aime travailler avec d’autres publics, sortir le théâtre et la pratique artistique dans l’espace public. L’an dernier par exemple, j’ai mené un projet avec le centre Mandela à Berthe, un quartier de La Seyne-sur Mer ; d’autres avec des ehpad. Aller nous-mêmes sur le terrain, c’est vital, cela m’intéresse profondément. L’espace public, le terrain, le participatif : ce mélange a fait, je pense, que Châteauvallon a pensé à moi au printemps dernier.
Ce projet s’appelle Aventure intérieure, pourquoi ?
En fait, le projet n’a pas vraiment de nom. J’avais besoin de donner des directions au projet, mais il s’agit au final d’une balade artistique dans le centre-ville avec les habitants. Il y aura un pique-nique tous ensemble, une sieste sonore… L’idée est de s’installer dans une ville, de l’observer, de marcher, de repérer son architecture et les lieux qui ne sont pas forcément les plus beaux lieux. Cela peut être une impasse, un espace à l’abandon, des objets sur le mur d’une maison, etc. En même temps, on rencontre les habitants.
Justement, quel est le protocole mis en place avec eux ?
Il y a eu un gros travail préparatoire mené par l’équipe de Châteauvallon – Nathalie Mejri et Alice Pernès -. Personnellement, je suis venue plusieurs fois leur expliquer le projet qui se construit dans l’instant et qui peut paraitre abstrait. Au départ je ne sais pas ce que je vais faire, cela dépend de mes rencontres ! Je travaille avec le comédien marseillais Guillaume Grisel qui a une grande expertise des projets de territoire, il ne fait du théâtre qu’en extérieur depuis 25 ans. Ensemble on a organisé des veillées de conte qui ont permis aux habitants de nous rencontrer directement. J’ai pu dialoguer avec des personnes qui ont une école de cirque, des comédiens amateurs, des voisins qui étaient là, simplement. On a installé notre QG dans le village et dans la rue, l’idée étant que l’on soit visible et que les gens puissent venir nous voir, nous dire ce qu’ils ont envie de faire ou de dire : est-ce qu’ils écrivent ? dansent ? chantent ? Qu’est-ce qu’ils veulent raconter de leur vie et de leur ville ? A partir de ces éléments épars, on construit un récit, sous forme de balade, qui fait le lien entre la proposition artistique, l’architecture et les espaces.
C’est presqu’un travail de collectage anthropologique…
C’est presque ça ! Dans les villes, ce qui m’intéresse, c’est comment rendre poétique un lieu qui ne l’est pas du tout. Comme le tunnel de Toulon où j’ai fait danser des gens dans une performance qui est devenue dans leur esprit « le lieu où j’ai vu danser les gens » ! L’action poétique, le geste artistique peuvent, parfois, déplacer le regard des habitants sur leur propre ville. C’est une manière de se réapproprier les lieux. Dans ce genre de projet, il faut rester humble : proposer des gestes simples, créer des tableaux, des instants, des propositions insolites ou jolies ou décalées qui raconteront autre chose. Dans le centre-ville de Garéoult, il y a une structure d’accueil pour personnes handicapées qui font partie du projet, ainsi que les résidents d’une ehpad, une école de danse, une école de cirque… Il faut parfois des regards extérieurs pour que les gens se rencontrent.
Le projet prend forme au fur et à mesure. Où en êtes-vous à quelques jours de son aboutissement ?
On organise encore quelques lectures chez l’habitant. On peaufine le parcours qui reste ouvert aux envies. Il y a peu, une habitante est venue à notre rencontre pour nous montrer un livre et on l’a invitée à participer dimanche de la même manière… Il faut absolument rester perméable car il ne s’agit pas de mettre notre propre pratique artistique en valeur, il s’agit de mettre les habitants en valeur, d’intégrer toutes les bonnes volontés. L’idée est de rester souple, ouvert aux idées jusqu’à la dernière minute, pratiquement. Cette spontanéité fait que les gens se sentent à l’aise avec le projet.
Avez-vous le projet de filmer la balade pour en garder une mémoire ?
Tout à fait grâce à la 7ème Scène du Liberté qui nous a suivis à plusieurs reprises avant de filmer la journée de restitution. Pour que ce genre de projet fonctionne, il ne faut pas venir avec un préconçu mais suivre les étapes et le cheminement.
D’un point de vue artistique, de quelle manière resurgit toute cette matière vivante collectée ?
Nous créons des tableaux sonores à partir d’enregistrements, comme au marché hebdomadaire qui est très important dans la vie de la ville. Il y aura des moments de danse urbaine avec l’autre artiste du projet, Killian Chapput, et l’école de danse ; des ateliers d’écriture chez la libraire ; un solo de clown ; des échasses avec l’école de cirque. Et des portes que nous allons ouvrir sur des lieux insolites de Garéoult avec la complicité de la ville. Il y a des envies et il y a la rue, à nous de les orchestrer.
Propos recueillis par Marie Godfrin-Guidicelli
Crédit photo : ©Aurélien Kirchner
Instagram : @stephanie_slimani
Site du théâtre : https://www.chateauvallon-liberte.fr/