Vu : Kaïmera de Léa Guillec et Baptiste Zsilina
Nous avions raté le spectacle Kaïmera lors de son passage durant le festival d’Avignon. Grâce au Théâtre Transversal, nous avons pu voir cette proposition (à partir de 5 ans) qui intriguait déjà par son titre ou encore par le visage de marionnette croisé ici et là dans les rues l’été dernier.
Kaïmera est un spectacle où les marionnettes sont tantôt ancrées au sol – à manipulation directe – tantôt suspendues dans les airs –manipulation avec fils –, où les comédiens-manipulateurs participent des scènes voire des décors et où la musique et les silences ont pris le pouvoir. Les marionnettes ont le visage expressif et figé tout à la fois, une aura étrange et une profondeur déstabilisante. Tantôt minuscules, tantôt à taille humaine, elles surgissent sur le plateau comme des apparitions – au sens fort du terme – au milieu d’une atmosphère dominée par un bleu foncé, marbré d’ombre et de turquoise. Au centre de la scène, trône une étrange montagne, une tour de Babel, un monticule-reliquaire où s’éparpillent des corps échoués.
C’est dans ce cadre que se succèdent les tableaux de Kaïmera, qui sont autant de moments suspendus, indépendants, et en même temps, interconnectés.
Le héros principal prend les traits clairs d’un homme, d’une marionnette usée, dont le visage est buriné, qu’agitent des spasmes et des répétitions au rythme d’une musique assourdissante. Dans un premier temps unique dans son univers et dans sa tête, on assiste à sa rencontre avec des esprits mystérieux et fascinants, voire parfois effrayants, et progressivement à son ouverture au monde qui l’entoure. Les créatures fantasmagoriques s’opposent à l’Homme par leur démarche aérienne, par l’expressivité de leurs traits, par la complexité de leurs corps/non-corps_? Elles rappellent, voire incarnent, toute la magie du monde, sous forme de symboles, de visions, devant lesquels l’Homme – et le spectateur – réagit à sa manière, entre drôlerie, maladresse et peur. Kaïmera est difficilement identifiable à une culture spécifique, tant elle semble faire la synthèse de cosmogonies et d’univers différents. Le pouvoir des images président la proposition dans une poésie étrange, et pourtant curieusement familière.
Les créateurs laissent volontiers l’espace libre à l’interprétation de chacun. Au creux de cet univers à mi-chemin entre le rêve et le cauchemar, affleurent des luttes ancestrales et des questions bien contemporaines. On sent bien qu’il est question du rapport de l’Homme avec le monde, la nature, la vie et l’altérité. Ce paysage mental, celui du héros peut-être, oscille entre apaisement et violence, entre noirceur et espoir. On joue avec les fils de vie, on brise les marionnettes, on rejoue le monde actuel d’une certaine façon.
Au gré des tableaux, se dessine une épopée initiatique où la marionnette-Homme s’ouvre et s’éveille, avant de s’aventurer plus loin, plus haut. Une proposition qui ne laisse pas indifférent, à voir et à revoir, pour découvrir ces visions et dévoiler les émotions plurielles qu’elle déclenche chez les petits et les grands.
Kaïmera a été vu dans le cadre de la programmation l’Instant / en attendant Noël au Théâtre Transversal (Avignon), le 16 décembre.
Conception, création plastique et interprétation Léa Guillec et Baptiste Zsilina / Composition musicale Baptiste Zsilina / Lumières Sarah Rieuf