Vu : DOE [cette chose-là], manifeste pour l’humanité
Renaud-Marie Leblanc tire les fils du texte DOE [cette chose-là] dans une mise en scène alliant le soap opéra et théâtre. Une véritable réussite.
Renaud-Marie Leblanc ne fait jamais dans la demi-mesure. En passant commande à Marc-Antoine Cyr pour sa prochaine création, il était loin de se douter que l’auteur allait s’amuser à décrire, autour de la figure du zombie, le canevas complexe des relations humaines. La complexité même de l’écriture caractérise le travail de la mise en scène. Le fond étant alors indissociable de la forme.
Dans le texte, les unités de temps, de lieux et d’action s’entrechoquent pour mieux faire apparaître les personnages. Les 4 comédiens (Roxane Borgna, Christophe Grégoire, Nicolas Guimbard et Charles-Eric Petit), tous à la hauteur du challenge, prennent en compte leur propre action dans un lieu commun, celui d’un plateau d’une série TV. On passe des personnages fictifs, ceux de la série, aux personnages réels, ceux de leur vie, en passant par leurs pensées intérieures. La frontière entre le vrai et le faux se confond. L’apport de la vidéo (travail justifié de Thomas Fourneau) matérialise ces états.
Les réflexes les plus vils, les plus outrageux envers l’autre se cristallisent autour de la figure du zombie. Il est celui que l’on ne nomme pas, celui qui n’existe pas jusqu’à un certain seuil.
Les personnages fictifs projettent sur lui leurs instincts de survie. Avec cette question qui revient sans cette en toile de fond, si cette chose est là, c’est qu’un de nous doit mourir ?, DOE questionne la place de l’autre, celle de l’étranger, dans un premier temps, puis tout simplement, celle de l’humain vis à vis d’un autre être humain, puis d’un groupe. Comment alors trouver sa place, comment vivre la relation à l’autre, quelle soit amicale, amoureuse ou bien conflictuelle ? Dans un monde empreint des nouvelles technologies de communication, la parole semble être bafouée, les sentiments semblent passer au second, si ce n’est au troisième plan. La difficulté pour les personnages fictifs de vivre en dehors de leur plateau de série tv et de leurs followers, renvoie au public le lien entretenu avec les amis des réseaux sociaux. Des amitiés virtuelles qui ne laissent plus de place au vrai vivre.
Lorsqu’un des personnages affirme que si nous prenons en compte le fait de mourir, nous pouvons alors nous séparer plus facilement de l’être aimé, cela questionne notre rapport à l’humanité entière. Quel est le fil qui peut encore nous lier ?
DOE atteindra l’affect qui lui manque pour être comme l’autre. Il accède, dans une fulgurance, à cette humanité que les autres veulent lui faire porter, pour mieux l’anéantir par la suite. Devenu un semblable, il en deviendrait gênant.
Sorte de poésie contemporaine, DOE [cette-chose là] ostracise l’autre nous-même, entre réel et fantasme. Et pose la question de savoir ce que nous sommes pour l’autre : une toile sur laquelle sont projetées toutes les angoisses ou au contraire, l’inutile, le rien par celui qui fait vivre l’autre ?
Doe [cette chose-là] jusqu’au 10 novembre au Théâtre Joliette-Minoterie (Marseille).
Laurent Bourbousson
Photo du début : DOE [cette chose-là] ©Didascalies & Co /Renaud-Marie Leblanc