VU : Fille du Paradis, mes Ahmed Madani

4 avril 2017 /// Les retours
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Véronique Sacri est une comédienne éblouissante, sobre et juste. Sa force se niche dans les mots simples qu’elle envoie à l’auditoire venu écouter le récit de Nelly Arcan, une Fille du Paradis. Retour.

Replaçons, dans son contexte, la rencontre entre Véronique Sacri et Ahmed Madani. La jeune comédienne souhaitait faire un stage de théâtre avec le metteur en scène. Entre deux appels téléphoniques et une date proposée à l’emporte-pièce, le stage se transformera en un cours privé.
De cette rencontre, sera adapté le roman de Nelly Arcan, Putain. On se dit que la naissance d’un projet, aussi fort que celui-ci, tient à peu de choses finalement.

« Que puis-je vous dire sans vous affoler ? »
L’adresse de Véronique Sacri faite au public fait tomber tous les codes de la représentation. Elle est là, droite, sur le bord du plateau et commence à parler alors que le noir ne se fait pas. « Que puis-je vous dire sans vous affoler ? » sont ses premiers mots. Sa voix douce et posée entraîne, ainsi, le spectateur dans son récit.
Elle est Nelly Arcan. Elle nous guide dans son enfance, parle de sa mère absente, de son père, et de sa grande sœur décédée, Cynthia, qui deviendra son nom de putain.

C’est lors de son entrée à l’université qu’elle deviendra escort girl. Une des fenêtres de cours donnait directement sur les bureaux de l’agence. L’emplacement n’est pas anodin, pense-t-elle, puisqu’il faut toujours des jeunes filles pour renouveler l’offre afin de ne pas lasser les clients toujours nombreux.

Un texte aux multiples réflexions
Le texte ne va pas égrainer les passes des clients. Ici, l’enjeu est autre. La pensée de Nelly Arcan pose une série de réflexions sur le métier de putain, sur la place de la femme dans cet acte ainsi que sur la misère des hommes à aimer la putasserie.
Elle révèle le rapport de forces, digne du règne animal, qui se joue entre le client et la prostituée dans l’acte marchand.
Le client n’est qu’un consommateur. Elle le réduit à cet état en laissant à sa vue les poils s’accumuler des précédentes passes. Chacun d’eux sait qu’il y a eu un avant et qu’il y aura un après lui.
Enfin, en se posant en tant que fille d’un père, elle interroge les hommes afin de savoir s’ils seraient prêts à payer leur fille pour un acte sexuel. Le malaise de cette pensée interroge le vrai problème de la prostitution chez les jeunes femmes et l’hypocrisie qui l’en entoure.

Une mise en scène dépouillée
La mise en scène dépouillée d’Ahmed Madani enrichit la force de ce texte âpre, cru, mais sans une once de vulgarité. Il révèle toute la rage de la jeune femme, à coup de PJ Harvey.
La pièce se termine sur le visage de Véronique Sacri, éclairé par un faisceau lumineux, au milieu d’une pluie de bulles de savon. Elle se confesse, les larmes inondent son visage. Le public recueille sa parole, sait que ce seront ses derniers mots. La lumière s’éteint. Nelly Arcan s’est suicidé en 2009, pour avoir vécu et vieilli trop vite et, certainement, pour avoir découvert la face sombre de l’humain dans le rapport marchand qu’il entretient avec autrui.

La soirée du 11 mars marquera à vie chaque esprit de spectateur de l’Artéphile (Avignon). La programmation de Fille du Paradis a donné naissance à un projet pluridisciplinaire souhaitait par Anne Cabarbaye, la directrice du lieu.

Laurent Bourbousson

Fille du Paradis d’après Putain un récit de Nelly Arcan | Travail d’adaptation et de mise en scène Ahmed Madani | Jeu Véronique Sacri | Recherche scénographique Raymond Sarti Recherche sonore Christophe Séchet

A voir et revoir au Festival Off d’Avignon 2017 à 18h10 à l’Artéphile à 18h10

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