VU : Le fascinant Palimpseste Solo/Duo de Michèle Noiret
Palimpseste Solo/Duo de Michèle Noiret questionne le mouvement à l’envi. Retour.
L’histoire qui entoure le solo-hommage de Michèle Noiret à l’attention du compositeur Stockhausen est fascinante* et lorsqu’on la voit évoluer sur le plateau, le spectateur peut se poser la question suivante : comment a-t-elle pu intégrer le système complexe de notation du compositeur Stockhausen dans la pratique de sa danse ? Le corps de Michèle Noiret en est tout empreint. Il exulte et interroge une kyrielle de geste précis naît de cette réminiscence.
Se pose cette seconde question : comment faire perdurer cet hommage et transmettre ce solo ? La tâche hasardeuse, entreprise par la chorégraphe, se transforme ici en une réussite totale. L’idée de la simple transmission s’est transformée en une nouvelle déclinaison. Le danseur chorégraphe David Drouard, intrigué par toute cette histoire ainsi que par le système de notation, réussi là ou bien de danseurs auraient échoué : être l’alter-ego de son pendant féminin, s’inspirer de la quintessence du système, l’interpréter, le faire sien.
Ainsi, ils inscrivent cette pièce chorégraphique dans une suite logique et une nouvelle histoire enivrante.
Tout n’est que tension et maîtrise du geste dans le nouvel opus de la chorégraphe belge.
Palimpseste Solo/Duo & musiciens s’ancre dans l’histoire de la danse contemporaine avec une fébrilité certaine. Sur la composition du Tierkreis de Stockhausen, Michèle Noiret et David Drouard donnent corps aux 12 signes astrologiques. De la musique échappée de petites boîtes invisibles, moment d’une certaine étrangeté car on ne sait si les notes sont réellement diffusées, aux musiciens, le pianiste Thomas Besnard et la clarinettiste Hannah Morgan, qui donnent de l’ampleur à la partition musicale, ce duo aux allures becketiennes balance entre humour, lâcher-prise et paroxysme de maîtrise.
Avec Palimpseste Solo, Michèle Noiret revisite sa partition chorégraphique initiale. Elle crée la surprise en s’adressant au public, en allant jusqu’à s’asseoir à côté d’une personne comme pour lui en donner les codes. Son interprétation est virtuose. Un vent de liberté souffle sur l’écriture chorégraphique finement ciselée révélant l’exactitude du jeu de la chorégraphe. Une certaine jubilation de voir et/ou de redécouvrir ces partitions musicale et gestuelle est réelle. L’une confrontée à l’autre lui permettent de déconstruire le système et d’osciller entre différentes émotions relevant de l’intime.
S’ensuit Palimpseste Duo avec David Drouard. L’un et l’autre invitent à vivre le moment présent, celui qui est fugace, insaisissable. De la tension qui traverse la pièce de part en part s’échappe une légèreté lorsque les deux interprètes se répondent, se miment, ne font qu’un pour mieux vivre par eux-mêmes.
Palimpseste Solo/Duo recèle d’une multitude de détails infimes qui se nichent à quelques endroits de l’esprit où l’on revient pour interroger ce que l’on a vu, ce que l’on a cru voir et ce que l’on aurait souhaité voir. La proposition questionne le mouvement à l’envi : quelle signification donner à ce pied, cette main, cette tête, ce regard… et tout devient sens lorsque le spectateur accepte de vivre l’instant présent et profite simplement.
Les lumières de Xavier Lauwers sont à saluer. Elles épousent à merveille les phrases musicales et chorégraphiques et donnent au tout un aspect surréaliste.
Palimpseste Solo/Duo est tout ceci à la fois : irréel, intemporel, énigmatique, fascinant, intrigant, judicieux et totalement exaltant.
Michèle Noiret et David Drouard ont uni leur corps dans une proposition qui relève du chef d’oeuvre, celui d’une démonstration savante de la métaphysique des mouvements.
Laurent Bourbousson
Photo : Michèle Noiret et David Drouard ©Sergine Laloux
* pour l’histoire du solo initial, voir son interview
Palimpseste Solo/Duo & musiciens a été vu au Théâtre National de Belgique, le 21 mai.
Conception et chorégraphie : Michèle Noiret
Créé et interprété par Michèle Noiret et David Drouard
Collaboration artistique : Dominique Duszynski
Assistanat : Marielle Morales et Florence Augendre
Musique « Tierkreis » pour clarinette et piano de Karlheinz Stockhausen, enregistrement interprété par Majella Stockhausen et Suzanne Stephen. Ou interprétée en direct par le pianiste Thomas Besnard et la clarinettiste Hannah Morgan (version avec musiciens sur scène).
Scénographie : Xavier Lauwers et Michèle Noiret
Lumières : Xavier Lauwers
Régie son et lumières : Xavier Lauwers
La version Palimpseste Solo/Duo & musiciens, à retrouver dans le cadre du GMEM | Les Musiques, le samedi 18 mai 2019 à 21h à la Friche Belle de Mai – Marseille. Renseignements ici.