[VU] OFF19 : L’ambition d’être tendre de Christophe Garcia ou le partage d’une ambition
Avignon. Festival 2019. Théâtre Golovine. 14h30.
Le soleil cogne fort dans les rues d’Avignon. La chaleur caniculaire étourdit et trouble les visions, les images, le souffle, les repères. Les repères du temps aussi. Peut-être est-on déjà dans le spectacle ?
Au bout du couloir, la porte s’ouvre pour accueillir les spectateurs en salle. Ils cherchent une place, piétinent même le bord du plateau noir couvert d’une fine pellicule de terre argileuse ocre qui prend la lumière. La terre est étalée sur le plateau. On a piétiné la terre là. On a marché là. On a dansé là. Les spectateurs s’installent. La salle sera pleine et le public très proche du plateau.
La musique comme point d’entrée
La musique apparaît légèrement avant que le noir salle et plateau ne soit installé. C’est elle qui engage le spectacle. C’est elle qui semble donner le mouvement. C’est elle qui s’est associée dès le départ au projet, nous dit la compagnie La parenthèse. Les musiciens (galoubets, fifres, cornemuses) accompagnent sur le plateau la chorégraphie et la chorégraphie accompagne les musiciens. Nous y sommes. Nous sommes déjà en voyage, dans l’espace, dans le temps.
Un spot côté cour s’allume et fait apparaître un des musiciens que l’on entendait déjà. Il est avancé sur le plateau et son ombre autant que sa musique envahissent la scène. Un second musicien et les trois danseurs entrent côté jardin d’une scène à présent suffisamment éclairée pour qu’on en perçoive l’entièreté. C’est là que les corps vont se déplacer, vont virevolter et que la danse va nous conter son propos, son imaginaire, son ivresse. Si la musique semble venir de loin, empreinte de traditions, d’archaïsmes sonores retravaillés, modernisés, peut-être de nostalgie, en tout cas de Méditerranée et d’origines lointaines, les danseurs sont dans le présent. Ils semblent sortis du passé pour être dans le présent. Ils ont les yeux grands ouverts. Leurs regards et leur fraîcheur ont l’intensité du présent. On est hors du temps. La danse ne va pas seulement véhiculer la tradition. Elle va la prolonger, peut-être l’infléchir.
Le couple musiciens/danseurs
Les trois danseurs se rejoignent au centre sous un spot, comme un soleil de midi, pour une ronde sans se toucher qui s’installe. Très vite, le petit tas de terre ocre au centre est à son tour piétiné. On comprend les traces que la danse aura laissées sur le sol. Les musiciens sont sur scène au milieu des danseurs, en interaction avec eux. Ils s’y meuvent pour envelopper la scène de sons orientaux et déclencher les mouvements des danseurs. C’est d’ailleurs tout autant les sons que les déplacements et mouvements des musiciens ou encore leurs gestuelles qui initient et impulsent les circonvolutions de la danse. Des sons électroniques s’ajoutent et se complètent à la musique jouée en direct sur le plateau.
Un rituel explosif
La danse est un trio crescendo dans sa phase initiale, énergique, physique, sans cesse renouvelé. Un rituel explosif. Un trio comme un impossible duo, que le troisième danseur vient immédiatement perturber ou chambouler, ou comme des duos multiples, mais toujours éphémères, toujours partiellement volés à la ronde endiablée du trio. Chacun des danseurs s’affirme, échappe à son ombre. Ils se défient, se cherchent et se dérobent à l’ensemble, rivalisent, se provoquent, s’influencent, s’affrontent et composent l’ensemble par des impulsions successives et des virtuosités chorégraphiques. Le trio se décompose et se recompose, tourne, se réinvente et se renouvelle. Les musiciens sur scène entretiennent la course sonore en changeant d’instruments.
La ronde s’enivre, se disloque, se renouvelle, se relance avec énergie. Soudain, avec l’arrivée de percussions, un duo, le danseur avec une des deux danseuses, semble dépasser la provocation éphémère pour un défi plus direct, plus prolongé. Un des plus beaux passages de la chorégraphie. L’affrontement toujours dans une course énergique sur le plateau devient dual, direct, prolongé, poursuivi, virevoltant, presque brutal. Sans se toucher, le couple s’attache l’un à l’autre. Tout en s’affrontant, ils semblent découvrir l’idée de tendresse. La seconde danseuse les rejoint finalement pour prendre part et prolonger la course qui les fera tomber tous les trois au sol, essoufflés, séparés.
Les cornemuses réactivent l’ambiance sonore. Allongés sur le sol, retrouvant leur souffle, les danseurs semblent réaliser, à cet instant, qu’il vient de se passer quelque chose, quelque chose ensemble, quelque chose de partagé, quelque chose d’une autre nature, comme la naissance d’une ambition d’être tendre…
Daniel Le Beuan
Visuel ©Fanchon Bilbille
Dates et générique
L’ambition d’être tendre au Théâtre Golovine, du 5 au 28 juillet 2019 à 14h30 (relâche les lundis)
Chorégraphe Christophe Garcia | Compositeurs Benjamin Melia Guillaume Rigaud Stephan Nicolay |Danseurs Marion Baudinaud Charline Peugeot Alexandre Tondolo | Musiciens Benjamin Mélia et Guillaume Rigaud ou Yvon Bayer (Musiciens sur scène)