[VU] OFF19 : Séisme de la compagnie Théâtre du prisme
Un panneau blanc rapproche le fond de scène du public pour nous mettre encore davantage et plus vivement les deux comédiens et leur conversation sous les yeux. Eux deux, Shams El Karaoui et Maxime Guyon sont sur un plateau blanc très réduit d’à peine 1,5m de profondeur et 3m de large tout au plus. Petit plateau sur un reste de scène qu’on abandonne, intensité décuplée. Ils ne quitteront jamais ce plateau réduit, en équilibre sur lui comme sur la relation qui rapproche leur couple dont nous parcourons la vie à travers une longue conversation, jamais interrompue, toujours soutenue même quand les diffractions du temps ou les éloignements de vie aurait pu interrompre le dialogue, la conversation, les conversations converties en une seule. Tout est intense. Tout est soutenu. Tout est profond dans Séisme, la pièce de Duncan Macmillan mise en scène par Arnaud Anckaert du Théâtre du Prisme à La Manufacture intramuros à 11h55, juste avant de partager midi. Un magnifique travail pour du beau théâtre.
Une secousse initiale
Lumière. « Un bébé ? » On ne nous a pas donné à entendre la question, mais on la devine et on a la réponse, la réplique, la réplique du séisme. Un séisme traduit par la ponctuation, par l’accentuation, par le point d’interrogation. La conversation entre elle et lui est engagée. Ce bébé est entre elle et lui. Tout de suite dans l’intensité de la pièce. Ecriture théâtrale magistrale de Duncan Macmillan. Interprétation lumineuse des deux comédiens.
La secousse vient de la question posée par lui à l’occasion d’une visite chez Ikéa. Une question, un choc, qui la laissée, elle, sidérée, flippée. Elle aura eu besoin d’un peu de temps pour s’en remettre et la nuit est tombée quand elle l’a rejoint sur le parking, puant la clope.
Le rythme est lancé
Un bébé, j’y pensais. On en parle. Non. Si. Je suis en train de dire oui. Avoir un bébé, c’est une idée initiale jamais remise en cause. Mais il ne faut pas y penser. Si tu y pensais, tu ne le ferais jamais. Et la planète ? Si tu te préoccupes de la planète, alors ne fais pas d’enfant. Suicide-toi ! En même temps, le monde a besoin de gens bien, qui ont la capacité à aimer.
Une conversation continue
Les répliques fusent. Directes et à rythme soutenu comme des idées qui fourmillent dans les têtes et qui sortent faisant voir ce qu’on pense dans ce qu’on dit avant même de l’avoir pleinement pensé. Tellement vraies. Tellement justes et justement jouées. La conversation se poursuit à deux continuellement au-delà des événements et coupures qui l’ont jalonné. Un effet crescendo se met en œuvre avec ce procédé narratif et il va à merveilles pour dire l’humanité, dire les hésitations, les pudeurs, les peurs, les vulnérabilités. Les ellipses font continuer la conversation. Les changements de lieu (en boîte, au lit, à la maison,…) ne la ralentissent pas non plus. L’écriture conserve et révèle étape par étape les cheminements. Merveilleux.
Une conversation ininterrompue
Ok, c’est oui. T’es sûre ? Plutôt pas sûre. Excuse-moi, j’ai peur. C’est tout. On devrait s’installer en province. On devrait se marier, prendre le temps d’y réfléchir. Je devrais soutenir ma thèse d’abord. Et toi faire des concerts. Tu sais les musiciens aussi ont des enfants. Oui, mais les musiciens à succès ! Un blanc léger se passe mais le rythme reprend. Oui, je suis terrifiée pour mon corps. Excitée à l’idée de grossir, de passer des échographies, mais ça m’angoisse. Tu devrais arrêter de fumer. J’ai mes règles. On devrait faire l’amour. On est des gens bien. On sera des super parents.
C’est en train d’arriver, c’est en train d’arriver, c’est en train d’arriver.
Peut-être que c’est les hormones ? Juste une dépression. Des nausées. Et le test de grossesse ? Et le coup de fil aux parents ? Tu n’aimes pas mes parents ?…
On l’aimera. Essayons de dormir. Tu dors ? Rien ne s’achève. C’est le début de quelque chose. C’est important parce que tu me fais confiance. Dors ! Et si je suis incapable de l’aimer ?
Nouvelle secousse
J’ai perdu du sang. Au moins, je peux me remettre à fumer. Putain. Tant mieux. On n’aurait pas dû s’emballer. Dis-moi que ce n’est pas un soulagement ! Il faut qu’on passe à autre chose. On peut réessayer. Tu crois qu’on devrait rester ensemble ? On devrait se quitter. Une bonne occasion d’avoir une conversation. Je t’aime.
On va. On peut réessayer. J’ai embrassé une fille au bureau. Je t’aime plus que tout. Tu me manques. Pour la première fois, j’y vois clair. J’avais besoin que tu sois patient avec moi. Je n’avais surtout pas besoin que tu embrasses une autre fille !
Retrouvailles
Les ellipses sont plus longues mais la conversation se poursuit au même rythme, comme si elle ne s’est jamais interrompue, comme si les choses importantes étaient entre eux deux. Uniquement.
Je suis venu à l’enterrement de ta mère. Mon père aussi est mort il y a quelques mois. On n’était pas faits pour être ensemble. Si ? Je ne lis plus. Ah c’était bien.
Enceinte
Fiancé ? On a fait l’amour dans ces toilettes. Marions-nous ! Je ne sais pas si je vais le garder. Je vais aller lui parler à ma fiancée. On n’est pas un couple. Je t’aime. Je t’ai toujours aimé. On va apprendre à être des parents. On essaiera de faire ce qu’il faut.
Les ellipses s’espacent, mais la conversation, comme une métaphore de la vie, continue. L’enfant grandit. Il a lui-même des enfants. Lui meurt et elle continue la conversation. Je t’aime.
Construction et écriture superbes, interprétation magnifique, émotion garantie, ce théâtre nous regarde et nous parle. Le fond de salle s’est rapproché de la scène. Merci.
Daniel Le Beuan
Visuel : Bruno Dewaele
Générique
Séisme, de la compagnie Théâtre du Prisme, a été vu à La Manufacture, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
Texte Duncan Macmillan Metteur en scène Arnaud Anckaert Interprétation Shams El Karoui Maxime Guyon