Vu : Weaver quintet par Alexandre Roccoli

17 mars 2018 /// Les retours
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Cette année, les Hivernales nous proposaient le Weaver quintet d’Alexandre Roccoli. Retour sur une proposition hypnotisante et obsédante.

Les premiers instants s’égrènent au son d’une voix féminine lisant une lettre en italien, des mots projetés sur un voile noir, écran devant la scène. De cette correspondance, on retient l’évocation de crises. Ce sont ces crises qui s’incarnent au creux d’un plateau sombre, par trois danseuses, accompagnées d’une fabricante de sons et d’une créatrice lumière.

Le chorégraphe tisse les histoires, celles des femmes atteintes de tarentulisme (maladie touchant les femmes en Italie du Sud, longtemps attribuée à la piqûre d’une tarentule, que l’on guérissait par des danses rituelles), celles des ouvrières tisserandes, et celle des patientes atteintes d’Alzheimer. Profondément ancrée dans un travail de mémoire pluriel, la proposition entremêle les gestes ancestraux d’un artisanat en voie de disparition, les souvenirs perdus et les réminiscences de rites de guérison.

Sur le plateau, les corps s’agitent, se tordent, se traînent, convulsent, se calment, accélèrent. Un délire maladif ? Une transe profane ? Un exorcisme chamanique ? Une métamorphose animalesque ? Un exutoire social ? La création lumière révèle des corps féminins tour à tour sous tension, fragiles ou puissants. L’énergie, le mouvement perpétuel, qui sourde ces corps, circule de danseuse en danseuse, tantôt seule, tantôt en trio, à la lumière de veillées ancestrales. Alexandre Roccoli chorégraphie la frénésie et souligne l’étroite frontière entre la danse et la transe, à la frontière de la maladie, du soin et de la libération.

La répétition des gestes et la montée en puissance de la tension sont soutenues par la création musicale mixée sur scène par Deena Abdelwahed. La compositrice puise dans le folklore traditionnel, les fêtes populaires, les chants en chorale, les sons métalliques et frottements du tissage, des voix murmurantes, pour livrer une électro puissante et inspirée, sur laquelle se fixent les battements de cœur, les respirations des spectateurs. La musique fait écho au décor (métier à tisser, tapis détricotés) pour nous confronter délicatement à la réflexion du chorégraphe autour du patrimoine immatériel, et par ricochet à la société industrielle et à ses conséquences.

Alors que les corps se font plus langoureux et la danse sensuelle, on devine aussi le lourd héritage du regard posé sur la femme. Les théories autour de l’hystérie, « la matrice », et les velléités pour la contrôler, pour assujettir le corps, l’esprit et la sexualité des femmes affleurent. Hier comme aujourd’hui, la danse se fait espace d’évasion, d’expression, et de réappropriation. En ce sens, Alexandre Roccoli irrigue sa proposition d’une réflexion profondément féministe et actuelle.

Weaver quintet propose une histoire fascinante et obsédante de femmes d’hier et d’aujourd’hui, de gestes et de souvenirs. Un rituel libérateur et réparateur dont on garde longtemps en mémoire les sons et les visions.

 

Par Camille Vinatier
Photo : Laurent Paillier

Weaver Quintet a été vu le lundi 26 février, dans le cadre de la 40e édition du festival Les Hivernales.

Chorégraphie Alexandre Roccoli / Interprétation Daphné Koutsafti, Juliette Morel, Véra Gorbatcheva / Musique live Deena Abdelwahed / Lumière Rima Ben-Brahim / Conseil en dramaturgie Florian Gaité / Régie générale Hugo Frison / Costume Goran Pejkoski / Voix off Olivia Corsini

 

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