[ITW] Aina Alegre : La nuit, nos autres est une pièce plastique chorégraphique
Aina Alegre présente La nuit, nos autres, sa dernière création, au Festival Les Hivernales. Nous l’avions découverte, l’été dernier, durant le festival Uzès Danse. Le conseil du jour : ne ratez pas ce bijou.
Aina Alegre a une double casquette, celle de chorégraphe et d’interprète. Depuis 2014, avec sa compagnie Studio Fictif, elle développe des projets où le corps se fait performance dans un cadre structuré. Interview.
Aina Alegre, chorégraphe et interprète
Le public du festival Les Hivernales va vous découvrir avec votre proposition La nuit, nos autres. Avant de nous entretenir de cet objet chorégraphique, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs ?
Originaire de Barcelone, j’ai pratiqué la gymnastique toute mon enfance et adolescence et je suis arrivée à la danse, à l’âge de 16 ans. Toujours à Barcelone, j’ai suivi une formation qui abordait un peu toutes les disciplines : le chant, le théâtre, la danse classique et contemporaine ; et parallèlement j’ai fait des étude en sociologie.
À quel moment avez-vous décidé de venir en France ?
Lorsque je devais choisir entre la danse et le théâtre pour poursuivre ma formation. Je suis venue en France en 2007 où j’ai poursuivi mes études au Centre National de Danse Contemporaine (CNDC) d’Angers. J’ai vécu des changements très forts : le pays, la culture et la culture de la danse. Je portais un autre regard sur la danse à mon arrivée. Ma pratique était assez disparate et avec le CNDC, c’était la première fois où je me retrouvais à questionner et à travailler le « corps » de la danse contemporaine.
Qu’avez-vous découvert de nouveau ?
J’ai commencé à être en contact avec le processus de création et la fabrication d’une oeuvre et ce qu’est la recherche chorégraphique.
J’ai commencé à faire mes premiers projets sous des petites formes.
En 2009, après le CNDC, j’ai commencé à travailler comme interprète en parallèle de mes propres travaux. J’ai beaucoup travaillé avec David Wampach, puis avec Vincent Macaigne, Fabrice Lambert, Vincent Thomasset et dernièrement avec Alban Richard pour Fix me.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre compagnie Studio fictif ?
J’ai créé en 2012 le solo, No se trata de un desnudo mitologico, mon premier geste artistique que je tourne encore. J’ai ressenti, alors, le besoin d’aller plus en profondeur dans mon travail, de lui donner du temps et de l’espace : j’ai donc créé ma compagnie en 2014.
La performance maîtrisée
Lorsque l’on regarde vos créations, le côté performatif est très présent. Est-ce que vous revendiquez cette performance ?
Je reconnais qu’il y a quelque chose de très performatif dans mes pièces, et cela fait dire que l’objet côtoie le lieu de la performance. Toutefois, j’ai plutôt l’impression d’être dans une écriture de plateau, d’un spectacle ou d’un objet, à l’intérieur duquel il y a une part de performance. Peut être que cette qualité performative vient d’un intérêt pour une écriture d’actions physiques qui laisse une part d’improvisation.
Je pense les pièces de façon à ce que tous les éléments qui les composent (la scénographie, les décors, la musique…) occupent une place égale à celle de l’écriture physique.
La nuit, nos autres, par exemple, est une pièce plastique chorégraphique. La plasticité des choses est essentielle à la lecture de la pièce: la scénographie ici devient un corps, un partenaire qui transforme les interprètes et l’espace.
La nuit, nos autres
Comment définiriez-vous votre pièce La nuit, nos autres ?
Je tente d’en faire une expérience sensorielle. Le spectateur n’est pas convoqué de manière directe. Pendant le processus, j’avais cette nécessité de travailler ma relation au spectateur comme un témoignage, un peu comme si son regard faisait aboutir la pièce. Avec les interprètes (Isabelle Catalan, Cosima Grand, Gwendal Raymond), nous avons essayé de recréer une relation très intime que l’on pourrait avoir avec nous mêmes, la nature, la forêt…
D’où le fait de réveiller et libérer les sens, un peu comme si nous retrouvions notre être primaire ?
Je voulais plutôt faire remonter à la surface de la peau une multiplicité de corps avec des stimulus : masques, objets, pigments, mains, postures. Questionner comment l’anatomie et ces objets deviennent des vecteurs, des stimulants pour faire apparaître des états qui nichent dans nos corps. Les interprètes m’ont dit faire appel à la mémoire du corps pour interpréter cela.
Vous ne faîtes pas partie de la distribution. Était-ce une volonté ?
Oui. J’avais vraiment envie de vivre l’expérience de ne pas être au plateau. C’est la première fois que je le fais. En général, je pense les projets avec des interprètes avec qui je souhaite les faire. Ils deviennent alors moteurs de la conception du projet. Je pensais donc à Isabelle Catalan, Cosima Grand, Gwendal Raymond, à leurs histoires de corps et leur propres énergies.
La scénographie de La nuit, nos autres
Depuis Le jour de la bête, la scénographie devient importante dans votre travail. Il en est de même pour La nuit, nos autres. Est-ce, alors, inhérent au sujet des projets en cours, ou bien est-ce révélateur du désir de mêler, de plus en plus, plasticité et objet chorégraphique ?
Dès que je démarre un processus, j’essaye de comprendre les spécificités et les nécessités du projet.
Pour La nuit, nos autres, j’avais une envie radicale de tester la danse dans un décor, un peu comme au début du XXe siècle. Je visualisais un espace pour ces fictions. Le travail s’est ensuite fait avec James Brandily, le scénographe. Nous avons réfléchi au pourquoi et au comment de cette scénographie et en quoi elle pouvait devenir un stimulus pour transformer les corps des danseurs ainsi que l’espace.
Aujourd’hui, je débute un nouveau projet, et même si je suis encore incapable d’imaginer la scénographie, je ressens la nécessité de travailler une certaine plasticité de l’espace.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Visuel : ©Albert Uriach
Dates et générique
La nuit, nos autres, au CDCN Les Hivernales, le jeudi 20 février à 18h. Renseignements ici. À voir en mars : Le Gymnase CDCN Hauts-de-France – festival Le Grand Bain ; Le Dancing CDCN Dijon Bourgogne ; en mai : Touka Danse Cayenne – Guyane
Conception Aina Alegre|Interprétation Isabelle Catalan, Cosima Grand, Gwendal Raymond|Musique originale Romain Mercier|Création lumière Pascal Chassan|Scénographie James Brandily|Régie générale Guillaume Olmeta|Conseil artistique / dramaturgie Quim Bigas|Assistant des projets de Studio Fictif Aniol Busquets|Production et diffusion Claire Nollez|Diffusion Internationale Teresa Acevedo|Remerciements Pierre Guilhem Coste, Lucas Frankias et Loula Musquet