[VU] Avec Fix me, Alban Richard signe un manifeste
L’alliance Alban Richard et Arnaud Rebotini donne à voir une coopération heureuse pour le spectacle vivant. Fix me scotche littéralement son public. Retour.
Alban Richard, directeur du CCN de Caen en Normandie, questionne avec toujours autant d’envie son rapport à la danse. Avec ce dernier opus, il s’intéresse au pouvoir de la langue des prêches et autres paroles fortes qui hypnotisent les foules.
Fix me ou la question du soulèvement
Fix me interroge une pensée en rapport avec la société du pouvoir dans laquelle chacun joue son rôle prédéterminé ou non. Cette pensée est celle du soulèvement, d’une mobilisation naissante.
Les mots politique, parole, langage et corps sont ceux qu’Alban Richard a mis en mouvement sur ce qui peut exhorter autrui à se soulever.
Lorsque le public entre en salle, les interprètes sont présents entre les rangées de sièges, dans les escaliers, montant, descendant comme pour placer les personnes venus en masse assister à une grand messe, dont le fond sonore se fait entendre au loin. Tous attirent l’œil par un détail de leur tenue, de leur maquillage. Les regards se posent sur Aina Alegre, Max Fossati, Clémentine Maubon et Alban Richard, qui remplacera pour ce soir-là Asha Thomas. Les regards sont comme hypnotisés, les têtes se tournent et se retournent pour les voir à cour et à jardin. C’est avec le public, que vient s’asseoir Arnaud Rebotini. Il se place au premier rang. Avec son élégance caractéristique, il regarde le plateau qu’il rejoindra lorsque les portes se fermeront.
Sur la scène, des estrades toujours plus hautes les une que les autres, des barricades sur lesquelles flotteront des étendards noirs ou des îlots où chaque interprète donnera de sa personne vont se construire et déconstruire. Fix me prendra autant de définitions que son sens polysémique invite à le faire (du shoot de drogue au « Répare-moi Seigneur » des prêcheurs, en passant par le regard, tout simplement).
Si la partition d’Arnaud Rebotini agite et aiguise les sens du public, le langage chorégraphique se construit sur les prêches d’évangélistes américains, sur des paroles de discours politiques ou encore sur des chansons de hip hop féministes que seuls les danseurs entendent. Alban Richard distancie la portée musicale, ce que cela éveille chez le public, et ce qui est interprété physiquement.
Ce double discours interagit pour mieux plonger le public dans une acuité sonore et visuelle.
Un langage chorégraphique ciselé
Les personnalités prennent formes au plateau. Politiques et autres prêcheurs revendicateurs de la bonne parole se répondent, se croisent et s’octroient le fait de la supériorité sur l’autre.
De ces figures émanent un ensemble de mégalomanie questionnant le rapport éminemment politique de la pièce. Les revendications viennent de toutes parts. Elles se construisent selon la personnalité de celui qui prend place sur les estrades.
De ce tournoiement, découle une convergence (celle des luttes ?). Les plateaux d’estrades deviennent des barricades sur lesquelles des drapeaux noirs flottent au grès du vent de ventilateurs. Images saisissantes rentrant en résonance avec le monde contemporain.
Les loops et autres boucles techno d’Arnaud Rebotini accompagnent ce ballet. La voix du compositeur posée sur le morceau I can’t feel at Home donne la respiration nécessaire aux interprètes et au public pour interroger le sens de nos corps en action.
Pour dernier tableau, seul un des interprètes (Max Fossati) restera sur le plateau. La danse se fera jusqu’au boutisme, jusqu’à l’abandon, jusqu’à la suffocation, celle de résister coûte que coûte.
Jan Fedinger met en lumière parfaitement les protagonistes de ce meeting ; Aina Alegre, Max Fossati, Clémentine Maubon et Alban Richard excellent dans cette pièce engagée et politique (les mots n’étant en aucune façon galvaudés), et la bande son d’Arnaud Rebotini renforce le propos (je vous invite vivement à la découvrir !). Ils nous donnent le mouvement comme langage. À nous de parler !
Laurent Bourbousson
Photo : ©Agathe Poupeney / PhotoScene
Dates et générique
Fix me a été vu au Théâtre d’Arles le 12 décembre 2019.
Prochaines dates : 30 janvier 2020, au Théâtre municipal de Bastia ; 10 mars, au CDA Centre des arts – Scène conventionnée des écritures numériques à Enghien-les-Bains ; 14 avril, à La Commanderie, Dôle – Les scènes du Jura
Conception, chorégraphie Alban Richard | Musique originale et interprétation live Arnaud Rebotini |Créé et interprété par Aina Alegre, Max Fossati, Clémentine Maubon, Asha Thomas|Lumière Jan Fedinger|Régie lumière Lionel Colet|Son Vanessa Court |Régie son
Denis Dupuis|Costumes Fanny Brouste|Réalisation costumes Yolène Guais|Dramaturgie Anne Kersting|Assistanat chorégraphique Daphné Mauger|Conseil en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé Nathalie Schulmann|Régie générale et plateau Olivier Ingouf|Régisseur de tournée d’Arnaud Rebotini Marco Paschke|Danseurs stagiaires Elsa Dumontel et Hugues Rondepierre