
[ITW] Alexandre Moisescot – Cie Gérard Gérard, de Zombies à Visions
La Compagnie Gérard Gérard a marqué notre retour sur le chemin des théâtres. C’était au Théâtre Transversal (Avignon) et ce fut la première compagnie en résidence post-confinement que nous avons rencontrée. Nous étions fin mai. Alexandre Moisescot parle de Zombies, la dernière création du collectif, de portables et de leur été qui se passera du côté de Nîmes avec Visions. Photographies ©Yann Lechelon
C’est sur la musique de Kompromat que s’ouvre la porte du théâtre. On m’annonce qu’Alexandre en a pour deux minutes. Il s’agissait plutôt de secondes. Une fois les présentations faites à distance, nous nous retrouvons avec nos masques respectifs pour parler de la compagnie Gérard Gérard, que les habitué-e-s du festival Off d’Avignon connaissent, de Zombies qu’ils ne pourront présenter cet été au Théâtre Transversal, et de Visions qui verra le jour lors des mercredis à Nîmes sur la période juillet-août.
Lorsque vous demandez à Alexandre Moisescot si la compagnie ne serait pas plutôt un collectif, la réponse tombe aussitôt « Si et c’est le cas. Il n’y a pas une personne à la direction artistique. Il n’y a que des directeurs de projets. On prend nos décisions collégialement, et on retrouve cela jusque dans notre bureau. Pour Zombies, je leur ai soumis le projet et le budget.«
Le public avignonnais connaît la compagnie Gérard Gérard. Nous avons pu les voir ou bien croiser leurs affiches de Pyrame et Thisbé en 2012 et plus proche de nous, SurMâle(s). Cette dernière pièce leur a valu une belle reconnaissance dans le milieu, « mais elle a très peu tournée » se désole Alexandre. » Mais nous savons pourquoi. C’était trop barré ! » ajoute-t-il d’un air amusé.
Aujourd’hui, nous les retrouvons pour une résidence de finalisation pour leur nouveau projet Zombies, qui a été créé à La Générale à Paris, en septembre dernier. Si l’annulation du OFF20 nous prive de découvrir la pièce à Avignon cette année, nous aurons la joie de retrouver les Gérard Gérard en juillet, du côté de Nîmes, tous les mercredis de l’été à partir du 15 juillet.
Zombies
Pouvez-vous raconter la genèse du projet Zombies qui a été créé à La Générale ?
Zombies a été écrit suite à une commande d’un festival Jeune public. Nous devions choisir une proposition dans un catalogue de bouquins. Parmi les titres, il y avait un roman pour ados dont le titre était Ma famille normale contre les zombies (de Vincent Villeminot ndlr). Ce qui nous faisait marrer c’était les zombies. Nous avons créé une forme en 10 jours en se disant que l’on ne la développerait pas par la suite.
Par contre, je voulais travailler sur les smartphones. Zombies-Smartphone, on s’est dit que l’on allait faire cela pour sensibiliser les ados. En même temps, on ne voulait pas être donneurs de leçons parce que les adultes sont aussi graves que les ados avec ces objets. Nous sommes donc partis sur un spectacle pour adulte. J’ai commencé à monter la production et on a travaillé durant un an et demi sur Zombies. On a fait une première version, qui s’appelait Zombies Zombies et c’est devenu Zombies. Et nous avons déjà joué 20 dates.
Comment se sont déroulées ces dates ?
Je pensais que le spectacle était fini mais il ne l’était pas. C’est à cela que ça sert de faire 20 dates du premier coup ! J’ai beaucoup interrogé le public, et nous nous sommes tous remis au travail.
Nous avons répondu à un appel à projet sur Perpignan et avons travaillé dans un magnifique théâtre à l’italienne. On a inventé de nouvelles scènes. Nous avons poursuivi ce travail en confinement à distance.
Et aujourd’hui, vous vous retrouvez au Théâtre Transversal pour une résidence de finalisation ?
Cette résidence avait deux objectifs : refaire une dernière semaine de création et se sentir confort au Transversal pour le off que l’on aurait dû faire. Nous avons décidé de faire une captation pour remplacer le festival et montrer le spectacle convenablement aux professionnels.

Parmi vos créations, il y a Entropie, votre série théâtrale. Est-ce que ce spectacle ne préparait pas déjà Zombies ?
Complètement. Nicolas Béduneau, comédien sur Zombies, qui est également co-auteur du projet, a écrit Entropie. Il est à fond dans l’univers de SF et de mondes parallèles. Quand on travaillait sur Zombies, nous nous sommes dit qu’il y avait des similitudes avec Entropie. C’est également un dystopie. Il y a un côté Black Mirror dans les deux mais Entropie est plus colorée que Zombies.
Le rapport au public
Que souhaitez-vous provoquer chez le public avec Zombies ?
Leur donner à réfléchir. On se rend compte que ce spectacle à une autre thématique très profonde et hyper puissante, qui n’est pas lisible dans le dossier. C’est un spectacle qui parle du deuil, et ça pourrait être presque sa première thématique. Qu’est-ce que la mort ? , qu’est-ce que la mémoire ? , comment on accepte la fin d’une époque ? , la perte d’une mère ?…
Mon personnage a perdu sa mère et a créé un cloud qu’il appelle comme sa maman. Il s’est construit une mère et nous sommes invités à la voir, à entrer dans le cloud afin d’être tous frères et sœurs. Il y a cette thématique du deuil, de l’accouchement, de se retrouver fœtus. On s’est rendu compte que le smartphone a un côté doudou.
Le spectacle est volontairement noir. L’idée est de choquer les gens pour qu’ils aient une émotion très forte afin qu’ils changent un peu leur rapport aux mobiles. Comment un spectacle peut-il faire réagir ? J’avoue que je ne sais pas, mais les grands idéalistes font parfois du très bon théâtre car ils n’ont pas perdu la foi que le théâtre peut changer le monde, mais il est très compliqué de se dire que ça peut le changer. Zombies ne le changera pas. Il n’y a pas d’espoir dedans.

Quel est votre regard sur les portables ?
J’ai une phrase un peu slogan : le téléphone intelligent nous dispense de l’être. J’ai une question, je la pose à Siri, elle me répond, je n’apprends plus rien par cœur car tout est disponible sur le net. Je n’ai plus peur de m’ennuyer parce que j’ai à disposition des contenus à regarder, je n’ai plus à agir sur le monde pour le changer parce que je poste des choses pour exister, je peux signer des pétitions en ligne… Tous ces trucs sont très rassurants et en même temps flippants. Il y a urgence à changer le monde, à être ensemble et on fait le contraire.
Quel rapport avez-vous avec votre smartphone ?
Je n’aime pas l’idée que ce soit le premier truc que je touche au réveil. Je me force à ne pas l’utiliser, et pourtant, c’est plus facile de regarder son écran que de faire autre chose. Par exemple, je ne mets pas de musique sur mon téléphone. Pendant le confinement, j’ai arrêté d’aller sur facebook. Cela me déprimait !
Quand on enlève les réseaux sociaux, il n’y a plus grand chose à aller voir sur Internet. Je ne cloud pas mes données. Je n’enregistre pas mes contacts. J’essaie de reconnaître les numéros. J’ai lu ça dans la bd Gérard de Mathieu Sapin. C’est Gérard Depardieu qui faisait ça.
Visions
On vous retrouvera à Nîmes cet été pour Visions. Pouvez-vous nous en parler ?
Nous avons travaillé sur une déambulation autour du quartier Gambetta, sur la mémoire du quartier. On va rendre le patrimoine humain plus visible avec un côté plus sensible. Le passé sera superposé au présent.
Pour vous quelle serait la définition du Vivant ?
Je parlerai plus du côté humain. J’ai l’impression que ce qui est vivant c’est le risque, le contraire de se rassurer. Ceux qui vont être vivants, sont ceux qui vont prendre le risque d’être physiquement ensemble, prendre le risque d’aller au théâtre, de changer ses habitudes de consommation, de s’engager plus politiquement. Prendre le risque de nouveaux horizons. Prendre le risque de retrouver des choses simples comme se toucher, se caresser, et apprécier la qualité des conversations. C’est comme si l’évidence redevenait étrange et nous devons la requestionner. Il faudrait prendre le risque de ne pas repartir comme avant, c’est que je dirai d’être vivant.
Ça donne très envie de l’être en tout cas !
J’espère !
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Photographies : ©Yann Lechelon
Infos
Le site de la compagnie Gérard Gérard
Visions est à découvrir les mercredis 15, 22 et 29 juillet, et les mercredis 5, 12, 19 et 26 août et le samedi 17 octobre à Nîmes, dans le cadre de « Pierres insolites » – Eurek’Art Label Rue. Réservations : 04 66 76 70 61