[ITW] Direction le Festival La Maison Danse d’Uzès avec Émilie Peluchon
Émilie Peluchon, directrice de La Maison Danse – CDCN d’Uzès, ouvre son festival au plus grand nombre avec pour crédo : favoriser les rencontres entre tous les publics et les artistes. Rendez-vous à Uzès du 5 au 9 juin pour 5 jours intensifs de danse. Interview.
5 jours de fête autour de la danse
Laurent Bourbousson : Avec un festival ramassé sur 5 jours, nous avons l’impression que celui-ci est écourté. Est-ce le cas ?
Émilie Peluchon : Clairement, je n’ai pas écourté le festival. Avant, il était étalé sur deux week-ends. Aujourd’hui, c’est le même nombre de jours concentré et recentré. C’était vraiment le souhait de créer une dynamique de festival avec l’idée de mettre la danse partout pendant 5 jours. Je souhaite faire de ce festival une fête autour de la danse durant ce temps !
L. B. : En 5 jours de spectacles, le public pourra découvrir 24 chorégraphes et artistes invités, assister aux 29 représentations, danser lors d’un bal et suivre des ateliers. Le mot rencontre est très important dans votre édito, et l’on s’en rend bien compte lorsque l’on feuillette le programme.
É. P. : Oui, et c’est l’idée du festival : faire se rencontrer les publics avec les artistes, les danses, les écritures et les univers artistiques multiples, les pays. Se faire rencontrer également les générations et offrir à toustes à la fois la possibilité de danser et de regarder la danse. C’est une manière de casser les murs, notamment le fameux 4ème mur ; de casser la peur de l’autre et les différences. Donc oui, le festival est celui des rencontres et je pense que c’est plutôt une force !
L. B. : Avant de parler de la programmation. Et parce que nous aimons bien mettre en lumière le travail monstrueux qui se cache derrière un festival, comment avez-vous motivé vos choix de programmation pour ces 5 jours ? Car ce n’est pas la même chose si on programme sur deux week-end…
É. P. : Oui en effet. En tout cas, le choix n’est pas simple. Il s’opère aussi par rapport à la diversité des formes. Ce qui me meut beaucoup c’est l’expérience que feront les spectateur·ice·s au cours du festival et je suis la première cobaye !
Pour ce festival, j’ai beaucoup imaginé des formes très diversifiées, dans des lieux divers permettant des réceptions très différentes. Voir un spectacle en extérieur, avec les éléments naturels qui se mêlent au spectacle, et être en proximité avec l’artiste crée forcément un autre ancrage dans nos sensibilités, un autre souvenir.
Pour en avoir parlé avec des spectateur·ice·s, toustes m’ont parlé du vent et des odeurs d’herbes fraîches. Je souhaite que les spectacles proposés laissent un souvenir presque extraordinaire et sublimé par l’instant présent. C’est cette attente qui a orienté les choix artistiques.
Des formes nouvelles pour rencontrer des nouveaux publics
L. B. : On peut lire en filigrane, dans la programmation, une célébration de la culture populaire dans sa diversité et sa pluralité ?
É. P. : Oui. Je suis d’une génération pour qui culture savante et culture populaire se marient très bien. Le populaire est une manière de créer le peuple, une civilisation, une humanité et c’est bien ce qui est en jeu dans les spectacles proposés par les artistes. C’est ce qui m’importe et la danse à cette force-là.
Souvent on entend : “la danse contemporaine, ce n’est pas pour moi parce que trop aride”… Ici la gageure est de montrer que ce n’est pas vrai, que nous avons toustes des sensibilités différentes, artistes compris.
Dans le chemin qui est proposé pendant 5 jours, ce sera l’histoire de rencontres avec une ou des œuvres car nous sommes toustes attiré·e·s par des choses différentes. Cela me tenait à cœur de mettre en lumière la diversité de ce que nous sommes, la diversité des sensibilités des artistes et également celle des publics.
Cette année, j’ai porté une attention particulière à ces artistes contemporains qui ont débuté la danse à partir des danses traditionnelles. Je pense qu’il est important de le souligner car cela devient des matériaux de travail pour repositionner le regard, questionner cet héritage et surtout dire qu’il ne s’oppose pas à la danse contemporaine. Au contraire, cela forme un grand tout qui est la danse !
Une soirée d’ouverture festive
L. B. : La diversité des propositions va en effet ouvrir le festival à différents publics, notamment avec le spectacle d’ouverture, le fameux GARDEN OF CHANCE de Christian Ubl et Kurt Demey, un spectacle surprenant qui est un véritable bonbon !
É. P. : Je vous rejoins tout à fait. C’était le souhait d’ouvrir avec une proposition pour tous les publics et tous les âges afin de montrer que la danse est ouverte et poreuse à tous les arts, notamment à la magie nouvelle ici.
J’aime l’idée que dans la programmation, il y ait des pièces joyeuses car on dit souvent que l’on ne rigole pas dans un spectacle de danse et je ne suis pas d’accord (rires).
Avec cette ouverture, nous proposons un spectacle pour tous les publics et tous les âges. Ce sera très festif et joyeux !
L. B. : Il y a une chorégraphe que l’on aime beaucoup et que l’on retrouvera durant cette soirée d’ouverture. Il s’agit de la chorégraphe Silvia Gribaudi pour R. OSA. D’ailleurs ce premier jour de spectacles donne le ton du festival. Entre Christian Ubl et Kurt Demey, Myriam Soulanges avec COVER et Silvia, c’est une véritable fête à laquelle vous convier les festivalier·e·s.
É. P. : Le parcours entre le solo de Myriam et R. OSA avec la performeuse Claudia Marsicano (ci-contre) est très important pour moi. Ce sont deux soli très différents de femmes sacrément énergiques et puissantes qui abordent la question des représentations. Toutes les deux, à leur manière, nous retournent notre regard.
Claudia Marsicano a une force interprétative communicative et lorsque l’on sort de sa performance dirigée par Silvia Gribaudi, on a envie de danser.
Ce sera en effet, une très belle soirée d’ouverture !
Les danses et les cultures requestionnées
L. B. : Vous évoquiez auparavant la danse traditionnelle. Le public retrouvera en fin de festival, le dimanche 9 juin, Olga Dukhovna, une formidable danseuse. Elle présentera HOPAK dont nous avions vu les premières pistes de recherche l’année dernière au Festival Off d’Avignon à La Parenthèse.
É. P. : C’est une artiste que je suis depuis ses débuts de par mes missions précédentes, et maintenant en tant que directrice de La Maison Danse. Je l’ai accueillie en résidence dans le studio mobile pour cette création qui est toujours en cours et que nous aurons donc la joie de découvrir en cette fin de festival. Nous avions également diffuser son premier solo qu’elle a écrit à partir du « Lac des cygnes », une pièce réjouissante et intéressante. Pour HOPAK (ci-dessous), elle travaille de la même manière, elle va chercher dans les danses folkloriques ukrainiennes les parties dansées pour hommes pour les questionner et les rendre accessibles à toustes. Elle a vraiment étudié ces danses pas à pas et elle en donne les noms durant le spectacle. Elle fait la même chose avec la musique. Nous aurons au plateau 2 danseurs et l’accordéoniste Eric Allard-Jacquin.
L. B. : La diversité des propositions permet au spectateur·ice de rencontrer des artistes qu’il n’aurait peut-être jamais rencontrés. Je pense notamment à Mallika Taneja avec son spectacle DO YOU KNOW THIS SONG ?, programmé le vendredi 7 juin ?
É. P. : J’ai rencontré Mallika par l’intermédiaire du réseau WEB dont La Maison Danse fait partie. C’est un réseau informel européen dans lequel on retrouve également LES SUBS à Lyon. Nous sommes les deux seules structures françaises. Le fait de faire partie de ce réseau nous permet de faire venir cette artiste basée à New Delhi et être une artiste femme indépendante en Inde, ce n’est pas si simple.
Mallika a été repérée en Europe et notamment en France avec un premier solo, qui a été présenté à La Villette à Paris (Be Careful ndlr). Et elle fera un passage lors de sa venue à Paris. C’est la force du réseau. Nous avons également travaillé avec le Festival de Marseille, avec le Festival international des rencontres de Seine Saint Denis. Nous nous sommes tous ralliés pour que cela soit faisable économiquement, tout simplement. Nous avons une pensée durable d’accueil pour cette artiste et nous avons la chance de la faire tourner sur le territoire de la métropole française.
La Maison Danse a participé financièrement à cette création. J’ai découvert DO YOU KNOW THIS SONG ? en Belgique dernièrement et cela a été une véritable rencontre de spectatrice. Mallika nous plonge dans son univers, elle nous happe. Elle pose un contexte avec ce solo. Elle demande aux spectateur·ice·s de reconstituer sa famille. Le public est en totale adhésion. C’est un concert performé dans lequel elle aborde son enfance, l’absence des êtres disparus dont une partie restent en nous, elle y questionne également l’injonction du mariage… Je suis sortie de ce spectacle dans un état de bien-être total car tout est fait avec douceur. C’était une évidence forte que de partager cela avec les festivalier·e·s.
Une feuilleton à suivre et de la danse en vitrine
L. B. : J’aimerais bien que vous nous présentiez Julien Andujar pour TATIANA [LE FEUILLETON]…
É. P. : Julien est un formidable danseur. Il a créé avec Audrey Bodiguel VLAM Productions. Ils ont coécrit de nombreuses pièces ensemble et TATIANA est son propre projet. C’est un sujet risqué car très intime et fragile. Il traite de la disparition de sa soeur Tatiana, l’une des victimes de la gare de Perpignan (l’affaire des meurtres de la gare de Perpignan concerne un ensemble de meurtres commis tous dans une même période et de la même façon en France près de la gare de Perpignan ndlr) dont on n’a jamais retrouvé le corps. Il y a la question de cette disparition qui n’est jamais conclue.
C’est un véritable hommage qu’il fait à sa sœur et c’est une gageure très réussie. Pour contrer la fragilité et l’intime du sujet, il interprète des figures de cette histoire qui est la sienne. Il s’interprète lui-même à 12 ans, il prend les traits de sa meilleure amie, du policier, de l’avocat, de ses parents. C’est une véritable galerie de personnages qui l’accompagne. C’est un performeur incroyable. TATIANA est à la fois une pièce très drôle et très émouvante. On passe du rire au presque aux larmes. Il nous met toujours à distance pour ne pas tomber dans le pathos.
Avec Julien, nous avons décidé de proposer ce spectacle en spectacle du jour, sous forme de feuilleton, à travers la ville. Et on ne peut voir qu’un épisode, car cela fait spectacle à chaque fois. Il est en live avec son frère musicien. Ces feuilletons sont uniques ! Nous le retrouvons donc sur 3 lieux différents.
L. B. : Vous mettez la danse vraiment partout puisque nous en retrouvons dans les vitrines des magasins de la ville avec Léa Leclerc qui reprend son solo LIKE ME, artiste soutenue par La Maison Danse.
É. P. : Léa est une artiste gardoise émergente et nous l’avions déjà accueillie avec ce solo en forme spectacle. Pour ce festival, elle le déplace et l’installe en vitrine. Cela donne une force supérieure à cette pièce car en plus de questionner nos pratiques derrière nos écrans via les réseaux sociaux, ici derrière une vitrine, elle questionne le regardant/regardé et le côté intrusif que peuvent avoir parfois les spectateurs. Cette mise en abîme nous fait relire LIKE ME d’une manière surprenante. Et voir ce corps qui travaille sur des postures en vitrine créera une surprise.
La création de Marion Carriau, l’artiste associée à La Maison Danse
L. B. : Le public découvrira la création de Marion Carriau, l’artiste associée à La Maison Danse, L’Amiral Sénès…
É. P. : Et ce sera la toute première de sa création qui est assez surprenante. La famille de Marion lui a toujours dit que dans la famille, il y avait un amiral, l’Amiral Sénès. Elle a grandi avec cette figure héroïque. Et lorsqu’un jour, elle se retrouve sous le buste de cet amiral à Toulon, elle se demande qui il est vraiment. Elle a entrepris des recherches, elle a rencontré des historiens de l’histoire navale. Et plus elle avançait dans sa recherche, plus tout laissait apparaître qu’elle ne serait pas reliée à cet homme. Toutes ces recherches font l’objet de podcast.
Sa recherche lui a permis de travailler sur ce que signifie la figure de l’héroïsme. Pourquoi en avons-nous besoin pour nous construire ? Est-ce cela qui fait humanité ? Et est-ce que finalement nous ne serions pas toustes des héros au quotidien ?
Des spectacles conçus spécialement pour La Maison Danse
L. B. : Vous avez beaucoup de spectacles à voir en famille : Garden of chance et R. OSA, que nous avons évoqué tout à l’heure, Queen Blood du regretté Ousmane Sy, la Happy Manif de David Rolland, l’école Colline avec les pièces d’Alban Richard et Thomas Lebrun, Aina Alegre pour Étude 4 que l’on a pu voir au festival d’avignon en 2021, et la restitution ON de l’Atelier G-SIC.
É. P. : À voir en famille car ce sont des pièces pour tous les publics. Il y a des pièces de groupe avec l’école Colline où l’on voit la virtuosité de ces interprètes, leurs puissances, l’importance du collectif et en même temps leur singularité.
Quant à David Rolland, il a repensé son HAPPY MANIF pour en faire une spécialement pour Uzès qui sera en lien avec l’histoire du festival. Je la découvrirai moi-même car c’est une commande spéciale qui a été faite.
Empire · Figure#7 de la compagnie La Zampa est également une création spécialement pour le festival. Cette figure questionne l’histoire de la danse et de la contredanse.
Le programme est constitué de beaucoup de commandes spécifiques pour Uzès et j’en suis très heureuse. Il y a quelque chose de l’ordre de l’unique. J’ai vraiment hâte de découvrir tout cela !
L. B. : Votre festival est fait pour rencontrer tous les publics et également voir celui de demain se dessiner peut-être ?
É. P. : Oui, et c’est très important pour moi, car je pense le projet de La Maison Danse pour tous les publics tout le temps. Nous l’avons mis en œuvre il y a un an maintenant, et c’est réjouissant de voir des petites têtes et des têtes à cheveux blancs ensemble. Cela fait société, et je ne peux que m’en réjouir !
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Crédit Photo : Photo d’illustration Happy Manif ©Kalimba – R. OSA ©Eleonora Radano – HOPAK ©Geoffrey Mantagu – Amiral Sénès ©Pascale Cholette
Générique
Festival La Maison Danse CDCN Uzès Gard Occitanie du 5 au 9 juin. Tous les renseignements sur lamaison-cdcn.fr