
#OFF18 Alain Timár : Il faut amener le spectateur à une sorte de conscience lumineuse.
La programmation estivale du Théâtre des Halles fait écho à celle de la saison. Interview d’Alain Timár, directeur du lieu, avant la folie festivalière.
Le Théâtre des Halles, de la saison au Festival
Avant de parler de la programmation du Festival Off 2018, nous allons revenir sur la saison que vous venez de terminer.
La saison a été belle. Je suis ravi de voir que le travail que nous accomplissons au Théâtre des Halles se trouve récompensé par la présence des spectateurs. Ça nous encourage pour l’avenir.
Et pourtant l’avenir n’est pas tout rose lorsque l’on regarde l’état de la culture en France. Il semble que tout devient compliqué…
Le monde tout court est de plus en plus compliqué. L’art en général est là pour, à la fois, faire réfléchir et faire rêver. Il faut amener le spectateur à une sorte de conscience lumineuse.
Comment avez-vous construit votre programmation estivale ?
Avec beaucoup de volonté, de bienveillance, d’amour et aussi d’autorité. J’ai souhaité, avec toute l’équipe, créer un équilibre générationnel pour favoriser un dialogue intergénérationnel. Il y a des gens qui ont des positions antinomiques dans cette programmation. Je veux que ces gens-là dialoguent durant le mois de juillet.
Lorsque l’on regarde la programmation du festival, il y a un mot qui vient en tête, c’est celui de pluralité.
Il y a aussi le mot diversalité, comme le dit Patrick Chamoiseau. Cette programmation est la rencontre de mondes et de cultures qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer. Ça me ravit de voir que le petit territoire du Théâtre des Halles va devenir le territoire du brassage de diverses nationalités, cultures, voire civilisations pour pratiquer notre art, mais aussi pour échanger et dialoguer.
Festival Off
Entrons dans le vif du sujet. La journée au Théâtre des Halles s’ouvre sur Vertiges de Nasser Djemaï et Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud.
Cela fait 2 ans que Nasser Djemaï souhaite venir présenter son travail au théâtre. Mais comme j’avais débuté une histoire avec Ahmed Madani, il fallait que je la termine pour le recevoir. Vertiges traite de l’état de notre société (lire l’interview de Nasser Djemaï ici). Et c’est avec grand plaisir que nous retrouverons le grand et immense Jean-Quentin Châtelain pour Une saison en enfer.

Bienvenue en Corée du Nord ©Alban Van Wassenhove
Le clown fait son entrée aux Halles avec Bienvenue en Corée du Nord. Je pense que c’est la première fois dans l’histoire de votre programmation ?
Oui, et quels fameux clowns ! Les clowns de La Cité/Théâtre ont réellement effectué un voyage en Corée du Nord et en ont tiré un spectacle à la fois hilarant et très grinçant.
On retrouvera également Pierre Notte avec L’effort d’être spectateur.
Il y aura son côté provocateur, son humour mais aussi son extrême tendresse et son amour qu’il porte au public.
S’est glissé un conte au centre de votre programmation, La peau d’Elisa de Carole Fréchette avec Catherine Anne et Pol Tronco. Pourquoi ce choix ?
Carole Fréchette est une autrice que j’aime beaucoup. J’ai été séduit par le jeu de Catherine Anne, sa personne, son incarnation. Elle était présente en saison. Je trouve bien de la revoir en festival et j’aime assez le dialogue entre la saison et le festival.
Le public pourra découvrir l’écriture de Nathalie Fillion.
J’ai adoré son écriture que j’ai découvert lors d’une étape de travail pour un atelier à la Chartreuse. J’ai trouvé cela très pertinent. Il y a une osmose entre l’écriture et Manon Kneusé, l’actrice. C’est un spectacle très réjouissant.
Vous accueillez Frédéric Fisbach pour Convulsions d’Hakim Bah.
J’ai rencontré Frédéric Fisbach à Bucarest, lors d’un festival. Il a exprimé le souhait de de venir au Théâtre des Halles présenter son travail. Quand on connaît son parcours, on ne peut qu’être flatté par cette reconnaissance.
Avec La france contre les robots, vous participez à la redécouverte d’un auteur.
Georges Bernanos est un auteur majeur, très peu joué. Ce texte est brûlant d’actualité. Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre en proposent une mise en scène éclairant sur notre monde.
On aura le plaisir de retrouver l’écriture de Laurent Mauvignier, que nous avons croisé plus particulièrement durant l’année avec les lectures Premier chapitre d’Olivier Barrère.
C’est effectivement une continuité entre la saison hivernale et la saison d’été. Une légère blessure est mis en scène par Othello Vilgard que nous avions déjà accueilli avec 3 ruptures de Rémi de Vos. La comédienne Johanna Nizard jouait dans cette pièce.
La musique sera également présente dans la programmation.
Si je devais donner un sous-titre à La bataille d’Eskandar de Samuel Gallet, avec Pauline Sallles, ce serait poème dramaturgique et musical. Pour On prend le ciel et on le coud à la terre, Yan Allegret proposera une pause aux festivaliers autour de l’œuvre de Christian Bobin.
Xavier Lemaire présentera un Hamlet détonnant (photo-couverture de l’article © Laurencine Lot).
Avec le talentueux Grégori Baquet, que j’adore. J’avais assisté à une lecture à Paris et ce sera une très belle chose.
Les créations-maison

Raouf Saïs dans Lettre a un soldat d’Allah © Alain Timár
Vous allez présenter votre dernière création Lettre à un soldat d’Allah de Karim Akouche. Le texte a été édité en début d’année. On sent comme une urgence du metteur en scène pour cette création ?
Je suis tombé tout à fait par hasard sur le texte de Karim Akouche, qui est un auteur algérien. C’est un homme engagé pour la République et qui est extrêmement progressiste. Il vit au Canada car il a été persécuté en Algérie. Deux de ses amis, l’un homme et l’autre femme, sont devenus extrémistes. Il leur adresse une lettre forte. Il parle de l’état de notre monde chaotique.
J’ai eu l’honneur de croiser Karim à Paris. Ce fut une rencontre forte. Il m’a envoyé son livre avant la parution et lorsque je lui ai demandé si je pouvais l’adapter il m’a donné son accord. De temps en temps, tu tombes sur des textes et quoi que tu fasses, il faut tout arrêter pour le monter.
Raouf Saïs porte le texte. Je souhaitais que ce soit un jeune acteur pour parler aux générations d’aujourd’hui.
Il y aura également la reprise des Carnets d’un acteur avec Charles Gonzalès, que nous aurons le plaisir de revoir.
Avec ce texte, je sais que je demande beaucoup au spectateur. Je ne renie pas l’exigence de ce spectacle, mais on n’est pas obligé d’être attentif à l’extrême, à chaque seconde. Il faut pouvoir s’abandonner.
Il y a de la pensée philosophique incarnée par Charles. Ce n’est pas de la pensée pure. Il a une manière de vivre ce texte. C’est Charles Gonzales qui joue un acteur. Le spectateur doit être conscient de cet état et être prêt à rire, penser, pleurer.
Un cycle de lectures
Vous proposez également un cycle de lectures.
Il y aura deux temps durant ce cycle. Le premier du 6 au 13 juillet. Nous accueillons l’ERACM qui a travaillé avec une école de Tel Aviv. Ensuite, du 14 au 24 juillet, et parce que cela est important pour les compagnies de théâtre, nous avons un programme de lectures dans lequel j’aurai le plaisir de proposer celle de ma future création Sosies, une commande faite à Rémi de Vos dans laquelle on retrouvera Jon Arnold. Il y aura également Quentin Defalt, Olivier Coyette, Pierre Notte et beaucoup d’autres.
Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Le Festival Off Avignon au Théâtre des Halles, du 6 au 29 juillet. Programme complet : site du théâtre