Rencontre : La Commedia Divina de la Compagnie Essevesse
La Compagnie Essevesse était en résidence au Théâtre Golovine en septembre. Leur prochaine création s’inspire du célèbre poème de Dante et devient La commedia divina #like4like. Rencontre avec Sakiko Oishi, Antonino Ceresia et Fabio Dolce.
Essevesse, une histoire d’amitié
Lorsque vous regardez le parcours des codirecteurs de la Compagnie Essevesse, vous saisissez l’alchimie existante entre les deux personnalités. Antonino Ceresia, à qui l’on doit la création de la compagnie, et Fabio Dolce, que l’on retrouve à la codirection depuis 2018, suivent leur formation de danseur au Théâtre Massimo de Palerme et à l’École Supérieure de Danse Rosella Hightower à Cannes. C’est en 2004 que tous deux se retrouvent au Cannes jeune Ballet et entament leur carrière de danseur.
Si les formations initiales sont communes, chacun poursuit sa carrière individuelle. La confrontation avec les différentes écritures chorégraphiques vient nourrir leur imaginaire et leur corps.
Antonino danse pour l’Opéra de Bordeaux, celui de Cannes et le Ballet d’Europe de Jean-Charles Gil. En 2013, encouragé par différents directeurs d’opéras, il crée la Compagnie Essevesse pour développer son propre projet artistique.
Si une forte amitié unie Antonino et Fabio, ce n’est qu’en 2018 que ce dernier le rejoint dans l’aventure. Antonino travaille alors pour l’Institut français à Palerme. Il lui demande de le rejoindre pour cette création. « Lorsque tu crées seul, confie Antonino, tu te retrouves dans le tourbillon de tes habitudes. Le fait de travailler avec Fabio m’a fait sortir de ma zone de confort et le travail est devenu plus constructif. »
Pour Fabio, le parcours est différent. Il intègre le CCN Ballet de Lorraine et danse dans les pièces phares de chorégraphes renommés. Au sein du ballet, le danseur passe son diplôme d’État, dirige un projet éducatif, anime des ateliers de sensibilisation avec des jeunes en difficulté et crée la pièce pièce Duo Divin avec Sakiko Oishi. Après 10 années passées dans l’Institution, il décide de faire une pause. « J’ai ressenti le besoin de mettre mon corps au service de ma pensée. Je suis parti à Londres. J’ai arrêté de danser pendant 7-8 mois. Puis, certains chorégraphes de Londres m’ont appelé après m’avoir vu en tant qu’interprète dans des vidéos. Il y a eu également d’autres chorégraphes avec lesquels j’avais travaillé au CCN Ballet de Lorraine qui m’ont contacté. Je suis revenu pour travailler avec eux. »
Donc, depuis 2018, les deux chorégraphes codirigent la Compagnie Essevesse. L’envie de se retrouver autour de projets chorégraphiques qui font appel à différents arts est ce qui les animent.
Ils recréent Duo Divin et portent la question du genre au plateau, font appel à un peintre lors de la création autour du Cantique des Créatures de saint François d’Assise, ou convient des musiciens pour jouer en live toutes sortes de musique. « On aime bien brasser différents styles, différents arts. Il en est de même pour la danse, on peut avoir un langage issu de la danse classique pour arriver à quelque chose de plus conceptuel. On aime bien jouer sur la limite des esthétiques » avance Fabio.
Le trio de La Commedia Divina
Pour leur prochaine création, que l’on aurait dû découvrir durant le Off20 mais qui verra le jour le 6 novembre à l’Atelier Dantza à Pau, les chorégraphes font leur propre lecture de La Divine Comédie de Dante. « On ne raconte pas La Divine Comédie, on s’en inspire » vient souligner Fabio.
L’œuvre de Dante sous-tend les différents travaux des chorégraphes depuis longtemps. En effet, Antonino avait travaillé sur le cinquième chant de l’Enfer avec les danseurs du Ballet d’Europe de Jean-Charles Gil. Et Fabio reconnaît un intérêt certain à tout ce qui se rapporte au religieux afin d’en donner une vision plus profane.
Du postulat de départ, leur nouvelles création se tricote au fil des jours avec la présence de Sakiko Oishi (ci-dontre). C’est au CCN Ballet de Lorraine que Fabio la rencontre. Si les deux danseurs ont déjà travaillé ensemble (Duo Divin ndlr), c’est la première fois que la danseuse œuvre pour Antonino. « Travailler avec eux deux est agréable. Le fait que l’on se connaisse me permet de leur faire des retours. On crée la pièce ensemble » , lâche l’interprète. Et les deux chorégraphes d’ajouter aussitôt : « parfois on lui donne des consignes mais on prend beaucoup d’elle. On l’a choisie pour ce qu’elle apporte sur scène. Elle a un aura particulier. »
Avec cette semaine de résidence, la compagnie reconnaît que le propos évolue. « Dante critiquait Florence. On se pose la question suivante : si j’étais Dante aujourd’hui, qu’est-ce que je mettrai en scène pour susciter une réflexion sur notre société » , explique Fabio. « Je pense que le travail va évoluer. C’est très intéressant de pousser la recherche encore plus loin » , se réjouit Sakiko.
La Commedia Divinia #like4like
Présentées au public le 25 septembre dernier, les 40 minutes qui constituent aujourd’hui La Commedia Divina #like4like laissent entrevoir le champs des possibles que peut prendre la construction chorégraphique. Chaque interprète trouve sa place et nourrit le propos fécond de la nouvelle création de la compagnie.
La pièce débute ainsi, comme l’œuvre de Dante, par un préambule. Les trois interprètes se retrouvent en cercle dont chacun s’extrait afin de s’affirmer en tant qu’être. Qu’est-ce qui fait être ? pourrait être la question que l’on pourrait se poser tout au long de la pièce avec ce trio qui évolue en forme duo ou bien solo.
L’Enfer, le Purgatoire et le Paradis deviennent des prétextes pour faire cheminer une réflexion autour des questions sociétales qui animent les individus. Les corps à la technique parfaite dansent les mutations d’aujourd’hui. Le langage digital, le genre et l’identité, ainsi que la représentation de soi sont les trois temps de cette commedia divina.
Virgile, Béatrice et Dante deviennent les protagonistes d’une pensée dansée. Chaque interprète se coule dans les traits d’un des personnages et explore son propre chemin de vie, celui de tous les instants, celui des combats menés pour affirmer son existence. Une certaine flamme anime les danseurs, porter au plateau une vision politique et profondément poétique de nos conditions humaines.
À la magnifique danse, viennent s’ajouter les images du vidéaste Nicolas Clauss. Hypnotiques et féériques, elles plongent le public dans un certain imaginaire, à l’identique des corps maquillés par Enea Bucchi. Dans sa version finale, le musicien Romain Aweduti partagera le plateau avec les danseurs.
La commedia divina #like4like de la Compagnie Essevesse concentre ainsi les aspirations chorégraphiques des codirecteurs. Ils poursuivent ici leur recherche, signe d’un savoir-faire certain, et construisent une danse riche de leurs expériences.
Laurent Bourbousson
Infos pratiques
Le site de la Compagnie Essevesse se visite ici.
La Commedia Divina #like4like au Festival Differenti Sensazioni à Turin (Italie) le 10 octobre et création à l’Atelier Dantza de Pau (France) le 6 novembre 2020.
Chorégraphie Antonino Ceresia et Fabio Dolce Interprètes Antonino Ceresia, Fabio Dolce, Sakiko Oishi, Romain Aweduti Musique Romain Aweduti, Marie Bernard Vidéos Nicola Clauss Maquillage Enea Bucchi