[VU] La Fúria de Lia Rodrigues résonnera ad vitam aeternam

16 février 2019 /// Les retours
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Lia Rodrigues déguise chacun de ses interprètes pour une danse au-delà de la simple signification. Elle est une plongée au cœur des favelas, de la violence du monde et de l’enchantement, s’il en reste. Retour.

Comment nous sauver ?

Le tabeau d’ouverture plonge le public dans un silence certain et une attention particulière. À jardin, en fond de scène, des amoncellements de tissus et de plastiques jonchent le sol. Lentement, un baton, habillé d’un drapeau, se dresse. Ce mât de fortune insignifiant l’est beaucoup pour celui qui le redresse, le tient entre ses mains. Il s’y agrippe et le porte sur son épaule afin d’ouvrir la voie au groupe qui le suit. Il devient guide, malgrè lui, il est celui en qui l’on croit. L’imaginaire colle de facto les images des migrants, des caravanes du désert, des populations de déplacés qui, dans un instinct de survie, parient le tout le tout pour sauver ce qu’il reste à sauver, leur vie. Si les 9 interprètes au plateau sont eux, par un reflet miroir ils nous renvoient l’image d’un monde auquel tout un chacun participe.

Une infection contagieuse

Par trio, les danseurs évoluent dans une danse qui relève du macabre. Les réalités quotidiennes des favelas, des populations d’opprimés ou tout simplement des brésilien.ne.s sont jetées au regard dans un grand zapping. À l’image de ce trio se désaltérant avec de l’eau coulant d’une petite bouteille plastique, dénonçant la pénurie d’eau potable que connaît le Brésil, tout est ultra-codifié et ultra-référencé dans ce Fúria. Et Lia Rodrigues construit sa pièce de façon contagieuse. Telles des cellules infectées des maux contemporains, chaque trio propage son mal à l’autre dans une furieuse transe, ne pouvant arrêter le mouvement. Cela fait de Fúria la cosmogonie du monde contemporain.

Des parades carnavalesques

Si la cause du désœuvrement des âmes est due au politique, à la notion de pouvoir et à la corruption, il n’en reste pas moins, que pour se sauver, reste le jeu. Et tout devient agitation carnavalesque pour un enchantement fictif. Porté comme un roi ou une reine, l’individu existe aux yeux des autres lorsqu’il se retrouve au-dessus d’eux. Le groupe devient alors char de pacotille pour célébrer une gloire qui reste de courte durée pour celui qui la vit. Avec cette idée de carnaval, l’inversion des rôles et toutes les outrances sexuelles trouvent leur raison d’être et sont poussées à leur paroxisme.

Un discours profond

Lia Rodrigues raconte avec précision tous les déréglements mondiaux qui entraînent inévitablement l’homme à sa destruction. Les corps allongés au sol, en fin de représentation, sont autant de dommages collatéraux causés par le quotidien que par les désordres économico-sociétaux. Si tout a été bruit durant cette heure, une voix se fait entendre. Un homme s’adresse au public. Il porte un collant rouge sur le visage dont la couleur tranche avec celle de sa peau. Il raconte l’histoire de son corps issu de l’esclavagisme et du colonialisme. L’on comprendra des mots, l’on entendra des noms de pays. Le Brésil est cette histoire du métissage, une histoire qui devrait être magnifique. Elle devient cauchemardesque. Elle est celle du monde actuel.

Laurent Bourbousson
Photographie : Sammi Landweer

Générique

Fúria a été vue dans le cadre du Festival Les Hivernales – 41e édition, le 15 février 2019.
À retrouver au Pavillon Noir – Ballet Preljocaj, les 10 et 11 mars 2020. Renseignements ici.
Chorégraphie Lia Rodrigues | Interprétation Leonardo Nunes, Felipe Vian, Clara Cavalcanti, Carolina Repetto, Valentina Fittipaldi, Andrey Silva, Karoll Silva, Larissa Lima, Ricardo Xavier | Dramaturgie Silvia Soter | Création lumière Nicolas Boudier | Collaboration artistique et images Sammi Landweer | Assistante chorégraphe Amalia Lima



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