[VU] OFF19 : Le grand feu par Mochélan & Rémon Jr

11 juillet 2019 /// Festival d'Avignon - OFF - VU #OFF
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Le Grand feu clôt avec fougue et vigueur la journée au Théâtre Des Doms. Mochélan et Rémon Jr en imposent.

La créativité de L’Ancre

Pour parler du Grand feu, qui clôture à 22h la programmation journalière du Théâtre des Doms il faut effectuer un retour en arrière. En 2013, au Festival Off d’Avignon, dans la petite salle de la Manufacture, soir après soir, le public conquis fait un triomphe à un spectacle atypique Nés poumons noir. Il vient de découvrir un rappeur singulier, Mochélan et son acolyte, casquette vissée sur la tête, le beatmaker Rémon Jr. Le premier est carolo de Charleroi, le deuxième breton de sang. À la mise en scène Jean Michel Van den Eeyden directeur du Théâtre de l’Ancre, passeur de culture à Charleroi autant que soutien de jeunes talents.
Avec Nés poumons noirs, ils viennent de créer une forme : un spectacle entre rap, slam et théâtre. Et d’ouvrir le rap à un autre type de public.

Le Grand feu, la nouvelle création de l’Ancre est une histoire de retrouvailles et de double.
Retrouvailles pour ce trio artistique devenue entité créatrice autant que référence dans le genre (voir ici). Et bien sûr avec le grand Jacques Brel.
Voilà qui aurait pu être périlleux à plus d’un niveau mais Le Grand feu se démarque de tous les spectacles hommage à un artiste par sa façon d’aborder le sujet, par la tangente, l’ »à côté » qui explique l’essentiel sans être didactique. Il met en scène des réconciliations. Là où Nés Poumon noir avait cette ambition de montrer de Charleroi autre chose qu’une cité ouvrière mortifère et sinistrée, Le grand feu divulgue une facette différente de Brel, plus solaire, ancrée dans son époque et visionnaire de la nôtre. Une réconciliation entre le personnage et l’homme. L’icône de la chanson française multi primé s’efface devant le jeune homme de 17 ans qui a écrit ce texte magnifique le Grand feu, qui donne son titre au spectacle. Un texte profond à l’écriture très maîtrisée alors que Brel était en total échec à l’école.  Un texte écrit lors d’un camp de scouts de La France cordée et qui donnera lieu à la création d’une revue. Brel revendique l’avoir fondé « pour tous les jeunes qui ont quelque chose à dire », finalement comme le slam.
Lors d’une interview à la RTBF, pour ses 40 ans, Brel déclarait : « Vers 17 ans un homme a vécu tous ses rêves, il sait s’il a envie de brillance ou de sécurité ou d’aventure. Il sait… Il a senti le goût des choses. Ensuite il passe sa vie à vouloir réaliser ces rêves-là. Moi j’essaye de réaliser les étonnements que j’ai eu jusqu’à 20 ans plutôt que les rêves. » Et si Mochelan imite Brel c’est en cette unique chose : mettre en mots et en incarnation les étonnements de la vie qui peuvent être tout autant des bonheurs fulgurants que des accidents de parcours douloureux.

Mochélan et Brel

Mochelan se glisse avec brio dans les pas des émotions que son aîné a si bien chanté et écrit, l’amour, la désespérance, l’humour… Mochelan et Brel naviguent ensemble, ils sont fait du même bois, celui des inquiets de la perfection, des traqueurs de beauté, des ajusteurs de mots.
Ainsi lorsqu’au fil des chansons Mochelan se questionne sur le contenu de l’œuvre de Brel : « peut-on dire que c’était un chanteur engagé ? ou un romantique, contemplatif ? », on finit par se demander s’il n’est pas en introspection. Lui le rappeur particulier qui en casse les codes, le slameur poète de l’âme davantage que machine à tubes faciles. 

Une mise en abime opère sous nos yeux, Mochelan mêle sa vie à celle de Brel, au point que l’on ne sait plus si l’écriture de cette sublime lettre de rupture est de l’un ou de l’autre, si la tonalité émotionnelle des chansons de Brel est puisée dans le registre du répertoire ou dans celui du vécu du rappeur.
Mochelan redevient sur scène Simon Delecosse. Brel Jacques. Et Rémon Jr l’incontournable double de Mochelan, le Sancho Pancha de Don Quichotte de la Manche qui ressuscite implicitement tous les duos mémorables que Brel a interprété au cinéma. C’est ce va et vient entre leurs deux mondes, entre des formes, entre l’intime et le public qui donne force et authenticité à ce spectacle.

Le double est aussi scénique. Poursuivant assidûment sa démarche artistique particulière fortement ancrée dans le réel Jean Michel Van den Eeyden prend le parti de scinder le plateau en deux, en fond un salon où l’on vit et crée, en frontal bord de scène la représentation, le chant en direct au public. Et entre les deux en délimitation d’espace des projections vidéo sur un tulle, judicieux travail du collectif Dirty Monitor, spécialiste de mapping qui viennent renforcer la puissance émotionnelle du propos. Au point que l’on en oublierait presque Brel…relégué à certains moments du spectacle au rôle de parolier… tant la voix rugueuse de Mochelan, son accent carolo tranchant sur la douceur de la mélodie au piano de Rémon Jr sont simplement beaux, actuels et indécemment bon a entendre. Les textes de Brel prennent une autre envolée dans cette façon lumineuse qu’à Mochelan de les dire, le même sourire irradiant de charme et cette façon si particulière d’embrasser la foule avec ses grands bras, de faire couler le vibrant des mots au milieu de la rocaille de sa voix.
On pensait partir en voyage avec Brel et on finit par danser comme des fous sur les rythmes électro-pop de Rémon Jr qui se déchaîne sur son Push comme un diable, accroché au regard brillant de Mochelan, le cœur à la renverse. 

Le Grand feu réconcilie les générations, elles se retrouvent dans un goût commun autour des arrangements musicaux du Rémon Jr, des textes forts et intemporels de Brel, de l’interprétation de Mochélan.  Les vieux amants, chanson que Mochelan ne voulait pourtant pas reprendre au début, devient une chanson pop sans renier personne, sans y gommer une once d’émotion. Les Flamingants en version dance techno est d’une actualité vertigineuse alors que l’on célèbre les 40 ans de la disparition de Brel.

À l’heure de l’extinction des feux sur Avignon, de plus en plus tôt chaque année, Le Grand feu rôde encore sur la ville car au-delà d’un spectacle c’est un état d’esprit qu’il impose, celui des rebelles et amplificateurs de beauté… toujours en quête… à la recherche de leur inaccessible étoile…

Marie Anezin
Visuel : Mochélan ©Leslie Artamonow

Dates et générique

Le Grand feu
Textes Jacques Brel et Mochélan | Conception & mise en scène Jean-Michel Van den Eeyden | Interprétation Mochélan & Rémon Jr | Création musicale Rémon Jr | Conseils dramaturgiques Simon Bériaux | Assistanat Agathe Cornez | Coach chant Muriel Legrand | Création lumière Alain Collet | Création vidéo Dirty Monitor | Illustrations et animations Paul Mattei et Fabrice Blin (Fabot) | Costumes Sans allure | Régie lumière et vidéo Isabelle Simon en alternance avec Arnaud Bogard | Régie son Steve Dujacquier en alternance avec Samson Jauffret

Au Théâtre des Doms, jusqu’au 27 juillet (relâche 16 et 23), à 22h

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