Vu : Renaud-Marie Leblanc illumine Fratrie de Marc-Antoine Cyr
Il existe des propositions théâtrales qui demandent du temps. Fratrie de Marc-Antoine Cyr, mis en scène par Renaud Marie Leblanc, fait partie de ces propositions qui bousculent, émeuvent, et se fraient un chemin afin de trouver des réponses aux questions qu’elles ont suscitées.
Fratrie raconte l’histoire de 4 frères, seuls dans la maisonnée familiale, depuis l’infarctus du père. La mère au chevet du père n’est pas là. Ils vont alors apprendre à vivre ensemble, avec leurs ressemblances, leurs différences, leurs propres jugements, leurs histoires personnelles aussi.
L’aîné prend très vite les choses en main, comme une évidence. Il y a le dernier qui n’arrive plus à se situer (est-il encore petit ou doit-il être grand ?), car faire « comme si rien ne s’était passé », n’est pas chose aisée. Il y a celui qui calme le jeu des ardeurs de l’aîné lorsque celui-ci prend son nouveau rôle trop à cœur et enfin, il y aussi ce frère énigmatique, solitaire, traité différemment. Pourquoi ? On ne fait que supposer, rien n’est dit.
Marc-Antoine Cyr scanne l’intérieur de ce cadre avec son écriture aiguisée. Il sème des pistes, pour mieux les laisser tomber quelque fois, nomme des sentiments, laisse la place au silence, aux non-dits nombreux. Les relations fraternelles construites sur le seul prétexte d’être du même nom, du même sang, ne s’expliquent pas vraiment, mais surtout sont-elles viables ?
Renaud-Marie Leblanc aurait pu perdre l’intensité du texte mais la sobriété et l’épure de son traitement scénique ne font que la renforcer. C’est sur un plateau nu, habillé par des vidéos projetées sur un tulle, que tout se passe. Sa direction maîtrisée des comédiens prend en considération la mesure de l’enjeu, et fait de Florian Hass, Marc Menahen, Guillaume Mika et François Ortega des interprètes à facettes multiples, celle des différents rôles que la fratrie invite à jouer. Ils trouvent leur place dans cette partition où se croisent images vidéo et musiques, pour mieux nous bercer entre le vrai et le faux, le réel et le rêve.
L’épure est le maître mot de cette proposition. Et c’est à cet endroit précis que Renaud-Marie Leblanc trouve ses marques pour nous projeter dans un univers clos, étouffant, pouvant se révéler anxiogène, celui de la cellule familiale. Les relations fraternelles, en apparence lisses lorsque les garants de cet ordre sont présents, éclatent une fois que les enfants sont livrés à eux mêmes. La maison devient alors un terrain de guerre où la paix se gagne avec l’émancipation, à moins que cela ne soit qu’un leurre.
Fratrie [il me ressemble comme l’hiver] est un conte universel cinglant, celui de la mise en abîme des liens fraternels, dans lequel tous silences valent pour dialogues. Renaud-Marie Leblanc colorise et donne des nuances à ces non-dits ainsi qu’une dimension esthétisante au conte.
Fratrie à voir à Sainte-Maxime, le 27 mars 2015.
Vu à Théâtre Minoterie-Joliette (Marseille)
Laurent Bourbousson