
[VU] Tendre carcasse d’Arthur Perole, une pièce pleine d’humanité
Sur une bande son éclectique comme Arthur Perole les aime, Tendre carcasse dessine le portrait d’une jeunesse dans son rapport avec le corps.
Tendre carcasse, la nouvelle création d’Arthur Perole, est à son image : pleine d’humanité et d’empathie. Elle est le fruit d’une longue gestation et d’une expérimentation de terrain. En effet, de 2019 à 2021, Arthur Perole a rencontré des élèves de 3e au collège Général Ferrié à Draguignan dans le cadre du tournage de la série documentaire Rêves, réalisée avec Pascal Catheland, dans laquelle ils se livrent sur « leur vision du futur, leur rapport à l’amour, à l’âge adulte et le corps à l’adolescence ». Une matière si dense et si intense que le chorégraphe a décidé de la mettre en mouvement et en voix. Tendre carcasse était née…
Le pari d’Arthur Perole est absolument réussi qui, avec cette pièce, voulait mettre en commun nos histoires, « persuadé qu’en les écoutant, on peut se défaire de nos assignations, de nos complexes, assumer nos ambivalences et retrouver un rapport simple à nos propres corps ». Sur le plateau, quatre jeunes à l’énergie combative, totalement investis dans leurs rôles, capables de toutes les expressions, inventifs au point d’avoir participé, eux-aussi, à l’écriture des textes. Réalités et « mensonges » s’entremêlent avec une vraie-fausse naïveté : prénoms, dates de naissance, origines, statuts, histoires personnelles ou familiales, anecdotes sur leurs relations à leur corps, leur handicap… L’épisode de leurs corps accords avec leur carcasse dans des rituels prosaïques est un summum de justesse et de drôlesse, qui évoque points noirs, ongles de pied, problème de cheveux, etc. Mais il ne faut pas croire tout ce qu’ils déballent devant nous ! Leurs cartes d’identité sont parfois tronquées, utilisées comme simple élément temporel : celui d’une jeunesse qui s’exprime dans toute sa spontanéité, sa diversité, avec timidité ou emphase. Le tout face au public, les yeux rivés sur lui, gestuelle en écho à leurs propos, parfois synchronisée, parfois complètement décalée. Légers déplacements et gestes ralentis, simples, du quotidien. A nous d’en déchiffrer les mystères…
Tendres effeuillages
Arthur Bateau, Mathis Laine Silas, Elisabeth Merle et Agathe Saurel – alias Arthur, Mathis, Elisabeth et Agathe sur scène – sont indissociables en dépit de leurs différentes corporalités. Ils forment un tout, chacun de leurs gestes dépend de celui de l’autre comme si un objet ou un fil invisible les scellait. Pacte de la jeunesse ? Front commun face au monde des adultes ? Car les relations aux parents sont, bien sûr, largement évoquées par les uns ou les autres, avec leurs idéaux, leurs rêves, leur futur imaginaire. Et leur corps, celui d’aujourd’hui et celui de demain qui apparaît doucement au gré d’un savant déshabillage (les scratchs des vêtements s’infiltrent dans le flux des paroles). Le corps comme une pelure que l’on déchire, des peaux que l’on desquame, pour réapparaître autrement au regard des autres. Car si les adolescents peuvent avoir tendance à se regarder le nombril c’est aussi parce que le regard des autres est omniprésent, qu’il juge, soupèse, mitraille, ausculte. Les adultes sont trop rarement tendres avec les jeunes carcasses…
Alors, quand les jeunes libèrent leurs paroles et se délestent du poids des autres, Arthur Perole libère leurs corps lancés dans une suite de mouvements saccadés, de rythmes accélérés, d’enchaînements syncopés , de mots scandés sur une musique techno. Ce sont des explosions de joie, des sauts de cabri, des élans de folie. Sans hystérie mais avec une joie fusionnelle et hautement contagieuse… jusque dans le public.
Marie Godfrin-Guidicelli
Crédit photo : Nina-Flore Hernandez
Générique
Tendre carcasse a été vu au Pavillon Noir – CCN d’Aix-en-Provence, les 9 et 10 novembre 2023.
Sortie nationale en salles mercredi 29 novembre de la série documentaire Rêves (2022), réalisation Pascal Catheland et Arthur Perole, Gyptis, Marseille.
Tout l’agenda de la compagnie : ici
Conception, mise en scène Arthur Perole / Chorégraphie Arthur Perole avec la collaboration des interprètes Arthur Bateau, Matthis Laine Silas, Elisabeth Merle, Agathe Saurel / Collaborateur artistique Alexandre Da Silva / Création Lumière Anthony Merlaud / Création costumes Camille Penager / Créateur sonore Benoit Martin / Régie lumière Nicolas Galland / Production diffusion Sarah Benoliel / Administration Anne Vion, Maureen Pette
Production : Compagnie F
Coproductions : Pavillon Noir / Ballet Preljocaj – CCN d’Aix-en-Provence // Carreau du Temple, Établissement culturel et sportif de la Ville de Paris // 3BisF centre d’art contemporaine Aix-en-Provence // Le Gymnase – CDCN ROUBAIX // La commanderie Saint-Quentin-en-Yvelines.
Avec le mécénat de la Caisse des dépots et des consignations