Maïanne Barthès : Nous avons voulu confronter les personnages de Rouge à cette question du mode d’action, de la légitimité de la violence.

8 avril 2015 /// Les interviews
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La Compagnie United Mégaphone s’installe, à partir de demain, et ce jusqu’à samedi, au Théâtre Joliette-Minoterie (Marseille) pour Rouge, d’Emmanuel Darley. Interrogatoire pour Maïanne Barthès, metteure en scène de la compagnie.

Laurent Bourbousson : Quelle serait votre définition du mot terroriste ?

Maïanne Barthès : Ce serait : « Des gens qui imposent leurs idées par la violence. »
Mais quelle est la différence entre un révolutionnaire, un résistant et un terroriste ? C’est l’Histoire qui juge et qui peut les différencier. Pendant la 2de Guerre Mondiale, les résistants étaient considérés comme « Terroristes » par le Régime de Vichy et une grande partie de la population française. En Espagne/Pays Basque, par exemple, l’ETA fait acte de résistance et non de terrorisme quand il assassine l’Amiral Blanco, dauphin de Franco en 1973 ; mais avec l’avènement d’un régime démocratique en Espagne, les actions violentes de l’ETA deviennent terroristes car ce mode d’action va à l’encontre de l’histoire récente du pays.
Ce qui caractérise les terroristes d’extrême gauche, c’est la dérive aveugle vers la violence au détriment des valeurs d’humanité qu’ils défendent initialement. On peut intellectuellement légitimer la question de la lutte armée pour lutter contre un régime politique, si l’on considère que c’est le seul mode d’action possible. Les groupes des années 70 et 80 en Europe (Brigades Rouges, Fraction Armée Rouge, Action Directe…) ont été impuissants à endiguer les dérives ultras-­capitalistes au sein d’Etats démocratiques. Conscients de l’échec de ces groupes, mais en proie au même sentiment d’impuissance face à un ultra libéralisme qui ôte aux peuples la possibilité de se gouverner par eux-­même (troïka en Grèce par exemple), nous avons voulu confronter les personnages de Rouge à cette question du mode d’action, de la légitimité de la violence.

Rouge ©Aymeric Rouillard

Rouge ©Aymeric Rouillard

L.B. : Dans notre monde contemporain, est­‐ce que « tout acte qui va à l’encontre de » n’est‐il pas, à tort, taxé d’acte terroriste ?

M.B. : On ne peut pas mettre en parallèle le terrorisme jihadiste, le fauchage de champs d’OGM, et l’occupation de Notre-­Dame-­des‐Landes. Que dire encore de « la prise en otage des usagers de transports en commun lors de grèves » ? Le terme « terroriste » est bien souvent employé par les politiques et les médias comme anathème afin d’empêcher tout débat.

L.B. : Sur le plateau, l’espace semble se disloquer au fur et à mesure de la pièce. Comment avez-­vous construit cette scénographie ?

M.B. : La scénographie est constituée d’une centaine de caisses qui vont former les différents espaces-­temps que notre groupe d’activistes va traverser au cours de la pièce.
Au début du spectacle, les protagonistes sont convoqués pour parler de leur épopée révolutionnaire. Les acteurs sont donc placés devant un mur pour raconter et justifier la genèse de leur projet, comme si la société les considérait comme coupables d’une dérive violente.
Puis la scénographie va se transformer en squat, point de départ de la prise de conscience politique des membres du groupe. Quand ils passent du statut de jeunes politisés à celui d’activistes politiques, la scénographie va s’éclater et se disperser sur tout le plateau et accompagner leur basculement vers la clandestinité.

Rouge ©Aymeric Rouillard

Rouge ©Aymeric Rouillard

L.B. : Quelle pourrait‐être, selon vous, la playlist d’un groupe d’actions ?

M. B. : … des groupes de rock français des années 80 pouvant incarner une colère de la jeunesse française – Bérurier Noir, Trust, Parabellum ; des chanteurs à textes – Jean Ferrat, Léo Ferré, Leny Escudero ; des punks allemands et Stupeflip.

L.B. : Vous êtes comédienne et metteure en scène. N’y‐a‐t-­il de frustration lorsque vous êtes d’un côté ou de l’autre du plateau ?

M. B. : Je ne me suis jamais sentie frustrée ; ce sont des fonctions très différentes pour moi qui ne demandent pas du tout le même engagement. Mettre en scène est une autre manière de penser le plateau. Pour le dire autrement, c’est une autre perspective. En
tant que comédienne, je vois les choses sous un angle, celui de ma partition : je me mets au service du metteur en scène, du texte.
Metteure en scène, j’embrasse forcément un point de vue plus large, il y a une multitude de données à prendre en compte, à intégrer à une cohérence globale. Je ne ressens jamais de frustration mais chaque expérience de metteur en scène nourrit la comédienne, et réciproquement.

L.B. : Lorsque nous lisons dans la presse, qu’Olivier Py annonce qu’une des causes du déficit de l’édition 2014 est liée aux annulations de spectacle causées par la lutte sociale des intermittents, qu’auriez-vous envie de lui répondre ?

M. B. : Que la grève de l’été 2014 était légitime car sans combat, le régime de l’intermittence initialement créé pour soutenir les artistes et techniciens ainsi que la création artistique disparaîtra. Et sans intermittent, pas de création de spectacles ; et sans spectacles, pas de festival d’Avignon !

Rouge est présenté du 9 au 11 avril 2015 au Théâtre Joliette-Minoterie (Marseille).

Propos recueillis le 7 avril 2015
Laurent Bourbousson

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