Vu : Nannetolicus Meccanicus Saint : un troublant poème musical de Gustavo Giacosa et Fausto Ferraiuolo.

5 décembre 2017 /// Les retours
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Il y a quelques jours, il était à Lausanne pour inaugurer à la Collection de l’Art Brut, la 3e Biennale de l’Art Brut dont il est le commissaire invité. Prochainement, à Aix en Provence, Gustavo Giacosa guidera un groupe de psychiatres ou de personnes handicapées, dans La Maison, exposition où il a réuni à la Cité du livre-Galerie Émile Zola, jusqu’au 30 décembre, une quinzaine d’artistes  » différents  » ou non. Et ce soir du 1er décembre, comme la veille, Giacosa était à Avignon, sur le plateau du Théâtre des Halles, dans son dernier spectacle Nannetolicus Maccanicus Saint. Car Giacosa est également metteur en scène, chorégraphe, acteur, danseur et photographe. Il fut de 1990 à 2010 de tous les spectacles et films de Pippo Delbono,  » formé, dit-il, dans l’idée d’Artaud, que le théâtre contamine la vie  » et partageant la vie de  » la troupe basée sur le monde de l’altérité, du handicap, de la folie : je faisais la bouffe, on était bien mêlés les uns aux autres « . Puis le comédien quitta la vie nomade et créa sa propre compagnie à Aix, SIC 2012. On a pu voir en 2013 à La Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon son spectacle Ponts suspendus. Et voici qu’aujourd’hui, dans Nannetolicus, il  » joue  » Oreste Fernando Nannetti, malade mental qui, enfermé à l’hospice d’aliénés de Volterra en Italie jusqu’à sa mort en 1994, grava durant neuf ans, avec une pointe métallique, un chef d’œuvre mural monumental. Dessins et textes délirants, fulgurances poétiques, sur les murs et la façade de l’hôpital, s’accompagnaient de centaines de lettres parfaitement sensées que Nannetti écrivait à des parents imaginaires ou réels. Ainsi va Gustavo Giacosa, théoricien et praticien d’un art différent où spectacles, performances et expositions se répondent.

 » Jouer le rôle d’un fou ? J’ai toujours détesté ça au théâtre « , répète le comédien. Aussi n’incarne-t-il évidemment pas Nannetti. D’ailleurs un nez rouge de clown, un gros micro de conférencier et la retranscription mot à mot des paroles de Nannetti sur un écran blanc, tiennent suffisamment à distance la folie du malade devenu personnage. De même que la présence du grand piano noir de Fausto Ferraiuolo et de ses notes bleues.
Et pourtant, couché sur ou sous une table métallique, immobile frappé de catatonie ou follement dansant, nu sauf un slip trop grand ou en robe rouge déglinguée, c’est bien le chaos de la folie que l’acteur-danseur nous donne à voir et à entendre : catalepsie, prostration ou moments de joie solaire, glossolalie, obsession des chiffres, de Dieu ou de l’androgynie, furtifs gestes incontrôlés ou répétitifs… tous ces signes traversent le corps et la voix de l’acteur-danseur, comme les silences ou les rafales du piano, et c’est toute toute la fragilité de Nannetti, le mystère de la folie et la solitude bouleversante de l’enfermement qui nous saisissent.
Mais il y aussi cette poésie cosmique de Nannetti, cette présence insistante des étoiles, cette liberté de papillon, cette douceur d’oiseau … toute cette beauté, cette grâce, passent dans le dialogue incessant entre le corps brut de Giacosa et les mains, les regards attentifs et la composition intensément jazz de Fausto Ferraiuolo.
Cette violente tristesse et cette possible joie mêlées, on les retrouve dans la vidéo finale : l’acteur-danseur dans sa pauvre robe rouge d’interné, rit de toutes ses dents en s’enfonçant dans les ruines de l’hôpital de Volterra fermé depuis une trentaine d’années, tandis que tourbillonnent les feuillages de grands arbres. Que l’art  » appelle  » les morts, le Méditerranéen Fausto Ferraiuolo et l’Argentin Gustavo Giacosa nous en donnent la preuve. Douloureusement. Joyeusement.

Daniele Carraz
Photo : ©Vincent Bérenger

NANNETOLICUS MECCANICUS SAINT a été vu au Théâtre des Halles (Avignon), le 1er décembre.
Mise en scène et dramaturgie Gustavo Giacosa / Interprtation  Gustavo Giacosa et Fausto Ferraiuolo / Son et vidéo Fausto Ferraiuolo / Lumière et régie lumière Bertrand Blayo / Musique originale interprétée sur scène Fausto Ferraiuolo / Rédaction et régie surtitrage Alessandra Rey

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