
[VU] Avec Superstucture, Hubert Colas signe un grand moment de théâtre
Avec Superstructure, Hubert Colas plonge le public au coeur d’un récit choral. Il l’entraîne sur les terres d’une Algérie entre utopie et réalité. Il signe une pièce immersive qui se révèle être un grand moment de théâtre. Retour.
24 février 2022, le ZEF, Marseille.
Alors que le public regagne le hall de la scène nationale de Marseille le temps d’un entracte, force est de constater que le metteur en scène Hubert Colas touche au plus juste avec Superstructure adapté du roman de Sonia Chiambretto, Gratte-ciel.
À quelques 2651 kilomètres de nous, se joue sur les terres ukrainiennes le début de l’invasion russe. Comment ne pas faire le parallèle avec cette première partie, superbement mise en scène par Hubert Colas ? Troublant forcément.
Superstructure, le réalisme au plateau
Hubert Colas plonge son public dans une Algérie en proie avec son histoire passée et son avenir à construire. Pays victime des dommages collatéraux hérités de l’Histoire, Superstructure raconte les vies de jeunes gens dans lesquelles viennent se percuter la colonisation, l’oppression, la montée de l’islamisme radical sous fond d’attentats. Tout cet imbroglio dépasse l’insouciance de leur 20 ans, mais comment vivre normalement lorsque les amalgames finissent par ternir leur image et les stoppent dans leur envie d’avenir ? Ils racontent leur Algérie, la montée de l’intégrisme qui s’installe insidieusement, sonnant la fin de la liberté. La chanson Sa jeunesse de Charles Aznavour chantée de manière chorale met alors en lumière les vrais victimes des enjeux politiques et les témoignages de la jeunesse algéroise, diffusés en fond de scène, illustrent la réalité de tous les jours.
En guise de deuxième partie, nous faisons un bond en arrière. L’action se situe au début de la guerre d’Algérie, du côté des appelés partis pour une guerre qu’ils n’ont pas souhaitée. Ils diront leur horreur d’être là, ne sachant pas trop quoi faire, mais serviront des ordres pour leur propre survie.
Le parallèle entre les deux parties est troublante. La constatation n’en est que plus cuissante, car sous couvert de combats idéologiques, ce sont de jeunes gens qui se retrouvent sur la première ligne. Sacrifiés au nom de l’honneur d’une nation, ils sont jetés en patûre pour certains, oubliés pour d’autres, et doivent continuer de vivre dans un mode sans horizon certain.
Superstructure, une réussite totale
Superstructure est une réussite sur plusieurs plans. Esthètique tout d’abord. Le metteur en scène et scénographe Hubert Colas cueille son public dès son entrée en salle. Il l’invite à une traversée de la mer Méditerannée, pour aller vers un meilleur ailleurs peut-être. Les images projetées en fond de scène se reflètent sur un sol mouvant se dérobant au fur et à mesure de notre avancée. Tels des déplacés, le public a devant ses yeux l’immensité du bleu avant de gagner la terre ferme.
Avec pour point d’appui des images vidéos, Hubert Colas structure son espace scènique avec les éléments de la cité Obus, cité rêvée par Le Corbusier. Manipulés par les comédiens, ces élèments deviennent leur terrain de jeu quotidien, sillonant à travers les ruelles ou montant en haut d’un immeuble pour prendre de la hauteur, comme pour observer à distance ce qui se déroule sous leurs yeux.
La direction d’acteurs est à saluer. Hubert Colas fait de Superstructure un récit choral. Sofiane Bennacer, Mehmet Bozkurt, Ahmed Fattat, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Nastassja Tanner et Manuel Vallade, sont toutes et tous justes dans leur jeu et leur adresse au public. Ils transmettent aux générations composantes du public l’once d’espoir d’y croire encore afin de faire face au fatalisme le plus obscur.
Hubert Colas est indéniablement l’un de nos plus grands metteurs en scène de théâtre contemporain. Il offre au public, avec Superstructure, un grand moment de théâtre en ces temps plus que troublés.
Laurent Bourbousson
Visuel : Superstructure ©Hervé Bellamy
Générique
Superstructure, adapté librement des deux premières parties du livre Gratte-ciel de Sonia Chiambretto (© L’Arche 2021) / Mise en scène et scénographie : Hubert Colas / Interprètes : Sofiane Bennacer, Mehmet Bozkurt, Ahmed Fattat, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Nastassja Tanner, Manuel Vallade / Vidéo : Pierre Nouvel / Lumières : Fabien Sanchez / Son : Frédéric Viénot / Costumes : Fred Cambier / Assistanat mise en scène : Lisa Kramarz / Assistanat scénographie : Andrea Baglione / Régie générale : Nils Doucet / Régie vidéo : Hugo Saugier