
[VU] L’enseignement de l’ignorance par la cie La vie Moderne – DDCM
Interprétée par Héléna Vautrin et Frédéric Guittet, accompagnés de la musique du metteur en scène Sébastien Lanz, l’adaptation de L’enseignement de l’ignorance de Jean-Claude Michéa est un spectacle réjouissant pour la pensée. Retour.
Soyons précis d’emblée : nous n’allons pas reprendre chaque pensée philosophique de l’auteur dans ce retour. Non, cela ne servirait à rien. Il vaut mieux lire l’ouvrage dont est tirée cette adaptation brillante pour la scène. Pour cela, Sébastien Lanz a plongé sans retenue dans l’ouvrage fécond de l’auteur et avec son équipe artistique en a extrait les passages à porter sur scène.
Sébastien Lanz, un metteur en scène engagé
En effet, comment partir d’un texte brut à portée philosophique afin d’en proposer une œuvre théâtrale qui tient en haleine le public du début à la fin ? Pour répondre à cette question, il faut dresser un rapide portrait du metteur en scène.
Sébastien Lanz est un metteur en scène hors pair. Chaque spectacle qu’il met en scène nécessite un temps long d’appropriation pour lui et son équipe. Il en est ainsi dans son acte créatif. Nous l’avions rencontré en 2017 pour la création de L’homme Seul. Sa clairvoyance, son regard sur le théâtre et sur son engagement nous avaient alors révélé une part de l’être qu’il est à nos yeux : humble, engagé et sincère.
Ces traits de caractère se confirment avec L’enseignement de l’ignorance. Si le titre et le propos du spectacle (qu’en est-il de notre pensée critique dans notre monde capitaliste et ultra-libéral où tout est dicté ?) peuvent en retenir plus d’une et d’un de se rendre dans une salle, dont l’équipe artistique a l’audace de programmer ce spectacle, il faut alors lui rendre justice. Car oui, programmer ce spectacle est signe d’audace à l’heure où le taux de remplissage est plus scruté par les conseils d’administration que la qualité des œuvres qui sont programmées. Et ici, nous disons merci à l’association culturelle La Clau de Noves pour son travail absolument formidable de programmation.
Pour revenir à L’enseignement de l’ignorance, il s’agit bien d’un spectacle de théâtre drôle, intelligent et réjouissant pour complexifier la pensée et échapper aux diktats du tout blanc ou tout noir.
La pensée critique nécessaire aux civilisations
Avec ses complices, les magnifiques Héléna Vautrin et Frédéric Guittet, Sébastien Lanz fait mouche avec cet enseignement de l’ignorance. Le texte de Jean-Paul Michéa se dit avec des allures de fête et on rit de notre civilisation qui dépérit, à la vitesse de la fonte des icebergs de la banquise.
Les actes d’appauvrissement de la pensée critique, dont il est question tout le long du spectacle, de tout ce qui concourt à l’assécher sont décortiqués, analysés et donnent lieu à des débats d’une grande contradiction durant lesquels la pensée du public oscille entre l’adhésion et le refus net.
Il y a de l’éloquence, du panache et de l’humour dans cette pièce hautement salutaire, créée en 2019. Le public est mis à contribution (un petit peu). Cela n’est pas sans rappeler l’idée de Cité au sens noble du terme. L’équipe technique est également mise à contribution. Un dialogue d’une grande saveur s’installe entre leur cabine et le plateau.
Mais derrière le rire surgit alors une profonde faille, un abysse dans lequel nous sommes toutes et tous entraîné·e·s. La faute aux réseaux sociaux ? Peut-être. La faute à l’uniformisation de la pensée ? Certainement. Une lutte s’engage donc pour tenter de conserver un esprit critique, précis et éclairé par une philosophie qui semble être une des clés de nos survies, sans tomber dans des extrêmes.
Le spectacle se termine par une interrogation qui fait mouche : Quels enfants laissons-nous à notre monde ? Une question en guise d’ouverture qui invite à penser nos actes collectifs.
L’enseignement de l’ignorance fait partie de ces spectacles qui vous poursuivent, grandissent et résonnent encore et toujours en vous, car nous sommes toutes et tous responsables de nos actes. Levons donc nos verres à notre bonne conscience.
Laurent Bourbousson
Crédit photo : ©Philippe Hanula
Spectacle vu le 4 mai 2023.
Générique
Texte de Jean-Claude Michéa, adapté par Sébastien Lanz / Avec Héléna Vautrin, Frédéric Guittet / Musique et mise en scène Seb Lanz assisté d’Ivan Ferré / Voix Off Josépha Paitel / Lumières, sons, vidéos Nicolas Douchet / Création scénographie, graphisme et vidéo Studio Sankukaï / Confection scénographie Artefact, Xavier Boucher
Site de la compagnie DDCM