
[VU] Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad : épique et flamboyant
Le frisson parcourt l’échine lorsque les applaudissements retentissent. Après 3h30 de traversée théâtrale durant laquelle il est question d’identité, Eitan, Wahida, Leah et les autres feront désormais partie de la vie du public. Retour.
Épique et flamboyante sont les premiers mots qui viennent à l’esprit après la traversée théâtrale à laquelle Wajdi Mouawad convie le public. Le metteur en scène, directeur du Théâtre de la Colline, lieu où a été créée Tous des oiseaux, donne à entendre dans sa fresque familiale l’arabe, l’hébreu, l’allemand, l’anglais. La diversité des langues parlées reflètent ainsi l’idée du multiculturalisme et de la transformation de la civilisation à laquelle la famille d’Eitan va devoir faire face. Le langage, par lequel la compréhension est possible, voyage tel un oiseau migrateur et ses mots n’ont pas le même impact selon le territoire où ils sont prononcés.
4 chapitres tenus
Oiseau de beauté, Oiseau du hasard, Oiseau de malheur et Oiseau amphibie rythme l’écriture poétique de l’auteur. Elle est tour à tour légère, grave, métaphorique et ennivrante. Ce qui demeure fascinant dans cet exercice est que la simplicité des mots met à jour la compléxité des tréfonds. Tels des plaques tectoniques, ils viennent agiter la surface visible. Chaque personnage actionne ainsi, malgré lui, un système qui vient percuter l’idée du vivre ensemble et questionner le poids de l’héritage familial et de l’Histoire dans l’intime.
L’histoire débute ainsi, par une rencontre, celle d’Eitan (Jérémie Galiana), un jeune scientifique allemand d’origine israélienne, et de Wahida (Nelly Lawson), jeune chercheuse d’origine arabe qui suit les traces d’un diplomate musulman converti de force au christianisme.
La religion au centre des préoccupations
En situant l’action à Israël, sur fond sonore d’avions rafales ou de projections d’images d’actualités du conflit israëlo-palestinien, Wajdi Mouawad fait de ce conflit l’histoire d’un amour impossible entre les deux peuples au nom de la religion, comme le sera l’amour d’Eitan et de Wahida. Il aborde la question identitaire, celle des utopies politiques et du vivre par son prisme.
La réligion est le marqueur d’appartenance à une communauté. La jeune Wahida réalise sa thèse sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzâm, ce diplomate musulman, fait prisonnier et convertit au christianisme par le Pape Léon X. Ne fait-elle pas cela pour mieux se découvrir et se trouver afin de vivre celle qu’elle est et qui s’ignore ?
Elle conditionne de facto les utopies politiques, comme l’évoque la mère d’Eitan, avec le communisme communautaire, figure d’une croyance inébranlable jusqu’au jour où sa judéité lui fût révélée.
Ou encore, elle est un frein dans le vivre, à l’image d’Etgar, le grand-père, et de David, le père d’Eitan. Ils doivent faire face à Leah, épouse de l’un et mère de l’autre, et sont le symbole d’un patriarcat vacillant dans la quête perpétuelle d’un amour et d’une existence paisibles.
Tout un chacun se débat avec sa propre croyance et celle du monde extérieur. Tout est mouvance, perte de repères, et renaissance dans cette fresque. L’Homme est ainsi confronté à un double questionnement : quelle est la place à donner à l’Autre dans le monde ? et qu’est-ce qui conditionne mon acceptation de cet Autre ?
Chacun trouvera sa propre réponse et éprouvera sa propre altérité.
Un décor fait d’espaces
La scénographie d’Emmanuel Clolus évolue au fur et à mesure des chapitres. Elle dessine les espaces imaginaires et conditionne l’épique inhérent au récit. Il faut voir en ce terme l’idée d’un récit héroïque pour tous, où chacun répond à ses tourments et va au-delà de ses propres limites.
La musique d’Eleni Karaindrou sous-tend la narration du tragique à merveille.
Tous des oiseaux est tour à tour épique, flamboyant, philosophique et salvateur. La pièce est servie par des interprètes illuminant chaque mot de l’auteur.
Avec ce récit, Wajdi Mouawad donne, à celles et ceux qui osent, à réfléchir la globalité d’un monde en mutation. Un monde où rien ni noir, ni blanc.
Laurent Bourbousson
Photographie : Simon Gosselin
Dates et Générique
Tous des oiseaux a été programmée au Théâtre Les Salins, Martigues, les 14 et 15 mars.
Dates à venir : Théâtre du Nord, CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France : du 22 au 27 mars ; La Comédie de Cermont-Ferrand SN : du 3 au 5 avril ; MC2 Grenoble SN : du 11 au 16 mai, Printemps des Comédiens, Montpellier : 14 et 15 juin… les autres dates ici.
texte et mise en scène Wajdi Mouawad | avec Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock, Souheila Yacoub | assistanat à la mise en scène Valérie Nègre | dramaturgie Charlotte Farcet | dramaturgie Charlotte Farcet | conseil artistique François Ismert | conseil historique Natalie Zemon Davis | musique originale Eleni Karaindrou |scénographie Emmanuel Clolus | lumières Éric Champoux | son Michel Maurer |costumes Emmanuelle Thomas | assistée de Isabelle Flosi | maquillage, coiffure Cécile Kretschmar | traduction hébreu Eli Bijaoui | traduction anglais Linda Gaboriau | traduction allemand Uli Menke | traduction arabe Jalal Altawil