[ITW] Au Merlan, Mickaël Phelippeau, le chorégraphe portraitiste

26 mars 2019 /// Les interviews
0 0 votes
Évaluation de l'article

En fin de semaine, Mickaël Phelippeau présentera, au Merlan – Scène Nationale de Marseille, Footballeuses et Juste Heddy. Interview de cet amoureux de la nature humaine qui place au centre de ses créations chorégraphiques la personne.

Mickaël Phelippeau est un chorégraphe dont nous apprécions le travail. Nous l’avions rencontré avec Chorus, lors de l’édition 2015 du Festival Les Hivernales – CDCN d’Avignon, et depuis nous suivons son parcours. Interview.

Juste Heddy

Le public assistera à une double soirée au Merlan, les 28 et 29 mars. Lors de laquelle sera présenté Footballeuses et Juste Heddy. Est-ce que ce programme s’est imposé de lui-même ?
Même si nous avons fait l’avant-première de Juste Heddy au CCN de Caen, et que celle-ci s’est bien passée, la création se fera à Marseille. J’aime bien l’idée de faire croiser ces deux pièces. Ces deux projets de Portraits recoupent pas mal de choses et sont totalement différents. D’un côté, il y a le solo, un portrait seul, et après, ce portrait de femmes avec Footballeuses.


« je me rends compte qu’il est important d’être sur des processus de création qui prennent du temps »

Le public a pu découvrir, lors du Festival OFF17 d’Avignon, à La Parenthèse, une présentation d’étape de travail de Juste Heddy. Ce nouveau portrait présentait la personnalité attachante d’Heddy Salem. Aujourd’hui, vous allez présenter sa forme définitive. Comment s’est déroulé le travail depuis 2017 ?
Le portrait Juste Heddy fait un petit peu plus d’une heure. Lorsque je vois le résultat, je me rends compte qu’il est important d’être sur des processus de création qui prennent du temps. Cela permet à l’interprète de « digérer » des choses. Actuellement, cela fait plus d’un an que j’ai débuté un travail sur un duo entre une mère et sa fill porteuse de trisomie 21. On travaille ensemble et nous avons fait plusieurs ouvertures studio. Cela nous permet de voir comment cela agit et s’éprouve auprès du public. Cette manière de travailler me fait énormément avancer.
Avec Heddy, on était sur un processus similaire. La forme de l’été 2017 a été un peu montrée, mais la création se fait aujourd’hui même si j’entends que cela a déjà été créé. Nous avons travaillé les différentes matières comme matière chorégraphique. Certains passages sont moins narratifs. Il faut également prendre en compte qu’Heddy a aussi évolué et nous traitons de son rapport au futur puisqu’il est en formation à la SN Le Merlan en tant que relations publiques. Je voulais également exploité sa violence contenue.

Un chorégraphe portraitiste

Quel est ton processus de création ?
Dans toutes mes pièces, le processus est le même mais chaque portrait nous amène ailleurs. C’est un travail de portraitiste. Je vais sur des terrains que je ne connais pas. Cela me fait avancer en tant que personne. Ce sont des aventures humaines qui m’ouvrent à une certaine culture du monde que je méconnais.

Est-ce que l’on pourrait te définir de chorégraphe portraitiste ?
Cela pourrait être une définition puisque je porte vraiment ce projet de portrait chorégraphique. Dans la notion de portrait, il y a cette dimension de dialogue, un regard porté sur quelqu’un dans un désir de non objectivité car il y a toujours une patte, un cadrage.
La notion du bi-portrait révèle ce qui est déjà dans la définition du portrait et elle s’accentue d’avantage avec l’aller-retour entre les deux. C’est beaucoup plus emmêlé et plus complexe que ça.


« Je vais sur des terrains que je ne connais pas. Cela me fait avancer en tant que personne »

Footballeuses

Tous tes portraits sont politiques. Je pense notamment à Ben & Luc que nous avons pu découvrir lors de l’édition 2018 du Festival d’Avignon. Peut-être que celui des Footballeuses (voir le retour de Daniele Carraz) l’est encore plus. 10 femmes sont présentes au plateau. Cela convoque l’aspect politique de la place de la femme dans ce sport collectif ultra-masculin.
Cela tend à changer, mais il y a encore un frein actuellement. Le foot ne m’intéresse pas particulièrement mais à l’origine du projet, il y a eu cette question. Une des interprètes, Brigitte Hiegel, qui est sur le plateau et qui a 59 ans, a été la première footballeuse que j’ai rencontrée. Je lui ai demandé si c’était simple aujourd’hui pour une femme de faire du foot en France. Elle m’a dit que c’était compliqué. Au début de sa pratique, elle a dû quitter le club dans lequel elle jouait car elle était confrontée à des difficultés qu’elle rattachait au fait que d’être une femme.
Quand on a commencé à travailler sur le projet, il y avait cette dimension que tu définis comme étant politique, mais il y a tout le rapport au plaisir de faire du foot, d’être un groupe, d’être entre amies et ne plus être mère ou femme de.
Elles sont 10 au plateau et sont différentes. D’un côté, il y a des femmes issues d’un club et de l’autre, des femmes d’une association francilienne LGBT qui défendent un sport politique. Il est vrai qu’au début je souhaitais avoir une équipe déjà constituée, mais avec le recul, cela aurait été une erreur. Elles sont devenues toutes amies. Cela a été une aventure artistique et humaine.
Footballeuses a une double dimension : politique, à travers la prise de paroles individuelles, du pourquoi elles font du foot et à quelles difficultés elles ont été confrontées, mais aussi celle de montrer le plaisir de pratiquer ce sport en groupe.

Mickaël Phelippeau et ART 21

Tu as évoqué ton projet de portrait de duo mère-fille. Lorsque tu en parles, il y a une émotion particulière dans ta voix. Peux-tu nous en dires un peu plus ?
Lorsque j’étais associé à L’Échangeur – CDCN des Hauts-de-France, Françoise et Alice Davazoglou m’ont invité à donner un atelier dans leur association ART 21. En sortant de celui-ci, j’ai dit à Françoise que c’était la première fois que je dirigeais un atelier entre personnes dites valides et personnes porteuses de handicap. Sa réponse fût celle-ci : c’est normal car ça existe peu en France. Sur toute une saison, j’ai mené le projet des bi-portraits et d’ateliers avec les danseurs de l’association.
Françoise m’a beaucoup parlé du fait d’avoir un enfant porteur de trisomie, ce que cela avait changé. Elle m’a raconté des choses toutes simples comme le fait d’aller prendre des cours de danse qui lui permettait de trouver du temps pour elle et de vivre sa passion. Alice, sa fille, a commencé à faire de la danse également, en parallèle de sa mère. Un jour, en faisant un atelier ensemble, Françoise s’est demandé pourquoi elle ne partagerait ces moments avec sa fille. Elles ont mené tout un travail énorme pour la création de l’association ART 21. Alice a obtenu, il y a plus d’un an, un agrément  pour donner des cours de danse, en présence de sa mère. Elle souhaite également devenir danseuse professionnelle.
Nous avons présenté une étape de travail de 45 minutes, au Lieu Unique à Nantes. C’est un projet qui est avancé. On poursuit le travail sur le rapport personne valide-personne porteuse de handicap. On ne fige pas uniquement le duo sur la relation mère-fille.

Quel sera le titre du duo ?
Le titre porte toujours question sur les créations. Juste Heddy est apparu très vite, Footballeuses également. On a mis un an et demi avant revenir à Ben & Luc. J’aime beaucoup que les prénoms soient fixés dans les portraits. Le titre du duo entre Françoise et Alice ne s’impose pas pour l’instant.

Lou au Off19 d’Avignon

En juillet prochain, pour le Festival Off d’Avignon, nous aurons la chance de découvrir Lou, à La Parenthèse. Ce portrait est une commande de Béatrice Massin. Comment l’as-tu travaillé ?
J’ai adoré ce processus. La commande de Béatrice était très simple : le solo devait faire 30 minutes maximum. Il fait partie du dytique 4-1, composé de Prétexte, un quatuor créé par Béatrice, et de Lou. Le deal de départ était simple : je suis auteur du solo, et je pouvais le diffuser sij’en avais envie.
Pour June Events (ndlr du 1er au 22 juin, à l’Atelier de Paris), je vais présenter Lou et Juste Heddy. Je suis très content que les deux soli soient présentés. Ils sont très différents et en même temps, il y a des points communs. Je suis excité à l’idée de ce diptyque.

Propos recueillis par Laurent Bourbousson
Photographies : Portrait et Footballeuses de Philippe Savoir – Juste Heddy de Mickaël Phelippeau

Générique et dates

Juste Heddy
Projet chorégraphique Mickaël Phelippeau | Interprétation Heddy Salem | Création lumière Abigail Fowler | Regard extérieur Marcela Santander Corvalan

Footballeuses
Projet chorégraphique Mickaël Phelippeau | Collaboration artistique Marcela Santander | Interprétation Hortense Belhôte, Bettina Blanc Penther, Lou Bory, Carolle Bosson, Mélanie Charreton, Valérie Gorlier, Brigitte Hiegel, Olivia Mazat, Vanessa Moustache, Coraline Perrier | Création lumière Séverine Rième | Création son Eric Yvelin | Création costumes Karelle Durand 

À voir au Merlan, Scène Nationale de Marseille, le jeudi 28 et le vendredi 29 mars. Renseignements ici.

Les dates de tournée des différents portraits chorégraphiques .

0 0 votes
Évaluation de l'article
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
Partager
0
Would love your thoughts, please comment.x