OFF21 : Vincent Dussart par deux fois.
Le metteur en scène Vincent Dussart présente durant le OFF21, deux pièces de son cycle de création autour des Fantômes de l’Intime. Retour.
Vincent Dussart travaille par cycle, il en est ainsi. Après celui dédié au Travail, le metteur en scène creuse la question de la place des souvenirs dans nos vies et nos actes avec Les Fantômes de l’Intime. Durant ce OFF21, le public peut découvrir les deux premières pièces : Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas d’Alexandra Badea, présentée au 11·Avignon, et Ma forêt Fantôme de Denis Lachaud à la Présence Pasteur.
« Travailler par cycle me permet de creuser une question à partir de différents angles. Avec le cycle Les Fantômes de l’Intime, cela me permet cela me permet aussi bien d’interroger l’intime que le social » nous confie le metteur en scène que nous avons rencontré.
Il mettra en scène Autopsie d’une photo de famille en 2023, d’après Une Honte de Pierre Creton, qui viendra clore ce cycle.
Ma Forêt Fantôme, un requiem magnifié par Patrice Gallet
Nous l’attendions ce Forêt Fantôme après une mise en lecture à laquelle nous avions assisté durant le OFF19. Nous l’attendions et l’on peut confier ici que Vincent Dussart relève le défi avec maîtrise.
Au plateau, en son centre, un carré blanc dans lequel évolue Jean (Xavier Czapla) et Suzanne (magnifique Sylvie Debrun), frère et sœur. En périphérie, et s’invitant par moments à l’intérieur de ce carré, les êtres aimés disparus : Paul (Patrick Larzille), le mari de Suzanne et Nicolas (Guillaume Clausse), le compagnon de Jean.
Le guide de ce drame (magnifique Patrice Gallet) sera cet être perché sur des chaussures pailletées à talons hauts, celui qui relie le monde d’hier à celui d’aujourd’hui et qui finit par nous parler de l’avenir.
Le texte de Denis Lachaud parle donc des victimes innombrables que le SIDA a causé, et cause toujours, depuis son apparition. Mais le réduire à cela ne conviendrait pas. Les mots de l’auteur racontent également le traumatisme alors vécu par toute une génération ainsi que la difficulté par l’autre d’accepter la différence. Ils parlent également de la vieillesse ( « vieillir est une abomination » dira Suzanne à Paul) et également d’un autre mal qui atteint une grande partie de la population, la maladie d’Alzheimer. Mais par dessus tout, Ma Forêt Fantôme parle d’amour.
Si Suzanne et Jean se remémorent leurs vies passées avec leurs chers disparus, dont il est difficile de se rappeler la vie à deux à partir du moment où l’odeur de l’autre finit par s’évanouir, Vincent Dussart nous invite à nous tourner vers l’avenir.
Ma forêt fantôme, entre passé, présent et avenir
Le metteur en scène a demandé à Denis Lachaud d’ajouter deux scènes à son texte initial afin de lui donner une résonnance à notre ici et maintenant. Il est certain que les stigmates des pandémies vécues et à venir laissent des traces béantes dans les vies de chacun·e·s, appelant à la résilience pour continuer à vivre. Elles sont autant de cicatrices que l’âme humaine porte en elle et vers lesquelles nous nous retournons, parfois.
C’est par la présence de Patrice Gallet, genre de coryphée, qui s’immisce dans les vies d’hier, que l’on en viendra à parler d’avenir. Il intervient par touches musicales qui agissent telles des madeleines de Proust. Ses réorchestrations des tubes des années 80 (on pense à sa magnifique interprétation de Wonderful Life de Black, notamment) sont autant de pansements que l’on mettrait sur nos blessures. Le comédien-chanteur, perché sur talons hauts, nous renvoie l’image du queer. Il est le présent et sera le futur de Jean.
Le texte de Ma Forêt Fantôme résonne tel un requiem dédié à nos disparu·e·s d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Les fleurs qui ornent un lustre magistral, ou encore une chaise et une cape, renvoient aux noms des victimes qu’égrènent Paul, lesquelles seront présentes dans nos vies pour toujours.
Vincent Dussart signe une mise en scène parfaite pour Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas
Le texte d’Alexandra Badea, fruit d’une commande, questionne le parcours de trois personnages, deux femmes et un homme, trois sociologues qu’elle embarque pour un voyage d’études en Afrique de l’Ouest. Leur étude porte sur l’impact des programmes humanitaires. Voilà pour le prétexte.
À partir de ce point, les protagonistes vont devoir faire face à leurs souvenirs d’enfance et leurs vies passées, que chacun a passé à enfouir et qui va finir parles rattraper, laissant rejaillir les hontes vécues jusqu’alors. Le corps est le médium par lequel les émotions passent et se traduisent.
En travaillant avec la chorégraphe France Hervé, Vincent Dussart place au centre de sa mise en scène le mouvement, celui qui traduit le non verbal. Juliette Coulon, Xavier Czapla, et Laetitia Lalle Bi Bénie sont parfaits dans cette partition. Ils donnent vie aux mots de l’autrice avec justesse. Roman Bestion, dans la pénombre du plateau, joue sa musique et devient le parfait manipulateur de cette orchestration inspirée.
Avec ce texte, Vincent Dussard débutait son cycle sur les Fantômes de l’Intime. Il se saisit des mots d’Alexandra Badea et en livre une mise en scène parfaite matérialisée par un couloir à la lumière blanche, quasi-clinique, celle du paraître pour laisser éclore, de temps à autre, des couleurs chaudes, celles de l’intime enfoui.
Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas réveille alors les secrets les plus profonds, les plus intimes, jusqu’alors portés et le public regagne le dehors avec le sentiment d’être moins seul.
Laurent Bourbousson
Crédit photo : Corinne Marianne Pontoir
Générique
Je ne marcherai plus dans les traces de tes pas au 11·Avignon, à 16h45, jusqu’au 29 juillet (relâche le 26).
TEXTE Alexandra Badea – MISE EN SCÈNE Vincent Dussart – SCÉNOGRAPHIE ET LUMIÈRES Frédéric Cheli – CHORÉGRAPHIE France Hervé – MUSIQUE Roman Bestion – COSTUMES Lou Delville – AVEC Roman Bestion, Juliette Coulon, Xavier Czapla, et Laetitia Lalle Bi Bénie – RÉGIE GÉNÉRALE Quentin Régnier – RÉGIE SON Clément Janvier ou Simon Fouche
Ma Forêt Fantôme à la Présence Pasteur, à 21h25, jusqu’au 29 juillet (relâche le 26)
TEXTE Denis Lachaud – MISE EN SCÈNE Vincent Dussart – SCÉNOGRAPHIE, COSTUMES & LUMIÈRES Anthony Pastor & Rose-Marie Servenay – CHORÉGRAPHIE France Hervé – MUSIQUE Patrice Gallet – RÉGIE GÉNÉRALE Quentin Régnier – AVEC Guillaume Clausse, Xavier Czapla, Sylvie Debrun, Patrice Gallet, et Patrick Larzille