VIVANT ! Interview de Marie Molliens, metteuse en scène et directrice de la Compagnie Rasposo (1)

30 avril 2020 /// Les interviews - VIVANT !
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Les Rasposo font partie, depuis 30 ans, des compagnies qui dynamisent le cirque contemporain. Cette année Marie Molliens, sa directrice, devait présenter sa nouvelle création -quasi prophétique- Oraison au festival Villeneuve en scéne, dans le cadre du Off d’Avignon 2020. Elle se confie sur ce qui la préoccupe et l’anime durant cette période d’immobilité forcée.


Cet été le chapiteau de la compagnie Rasposo devait prendre place dans la pinéde du festival Villeneuve en scène (Off d’Avignon 2020), Marie Molliens y présentant sa nouvelle création Oraison. Un spectacle trés ancré dans les problématiques actuelles, plus encore depuis l’arrivée du Covid 19 dans nos vies.
Judicieuse et presque prophétique programmation de Brice Albernhe puisque Oraison est, pour Marie Molliens, « un dévoilement métaphorique et révolté autour de l’image du clown blanc comme sauveur dérisoire du chaos contemporain« . Marie, en piste, porte même un masque…
Elle sera, ainsi, déjà conforme aux nouvelles normes de distanciations, qu’en sera-t-il du rassemblement en chapiteau, de la proximité nécessaire au cirque ?
Avec son précédent spectacle La Dévorée, Marie Molliens s’intéressait déjà à l’actualité en abordant sa condition de femme de cirque autant dans le versant de l’intime que de la passion. Elle continue ici de nous parler avec ferveur de son métier qu’elle défend vigoureusement, de ce « cirque-théâtre » nomade qui la vue grandir et qu’elle perpétue (Pour mieux connaitre la compagnie Rasposo retrouvez l’interview de Marie Anezin pour le livre anniversaire Les 20 ans des élancées Scénes et Cinés).

Confinés dans la région bourguignonne sur le site de la compagnie, Marie Molliens et une partie de l’équipe des Rasposo continuent de mettre au point les derniers détails techniques de la prochaine-hypothétique-tournée d’Oraison . Ils répètent notamment sans chapiteau, impossible à monter vu les circonstances.
Le travail continu et la passion ne s’essouffle pas.

Dans cette première partie, nous abordons l’annulation du festival Villeneuve en scène mais aussi celles des divers lieux où cette nouvelle création devait se faire connaître : Espace des arts – Chalon sur Saône, cirqonflex festival Prise de CirQ’ Dijon, Scéne nationale de Bourg en Bresse, Printemps des comediens, Nexon Festival la Route du Sirque, Festival international de théâtre de rue d’Aurillac


Comment allez-vous ? Dans le Off d’Avignon 2020, votre compagnie Rasposo était programmée au Festival Villeneuve en scène. Comment vivez-vous cette situation après l’annonce de son annulation ?
Comme la plupart des compagnies, c’est assez catastrophique pour tout le monde. Nous perdons l’occasion du Off d’Avignon, qui comme on le sait, est une vitrine importante pour l’avenir d’un spectacle. D’autant plus, à Villeneuve en scène, la programmation défend la diversité et l’itinérance, ce que nous défendons aussi.

Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle création Oraison  que vous deviez jouer à Avignon cet été ?
Oraison est un cirque forain, intimiste, troublant et libérateur, sous chapiteau
C’est un dévoilement métaphorique et révolté autour de l’image du clown blanc comme sauveur dérisoire du chaos contemporain.
« Une Oraison est une prière, une ultime prise de parole. À travers ce spectacle, je cherche à éveiller une prise de conscience pour rallumer nos lumières intellectuelles et poétiques ainsi que nos sensibilités profondes. En allumer de nouvelles, plus spirituelles, plus viscérales, plus authentiques, vers lesquelles on peut s’élever, et que l’on peut suivre. La quête d’une vérité concrète, qui se trouve dans le concret des corps. Avec l’onde nerveuse que provoque le geste circassien, mon acte artistique a pour ambition d’être vécu physiquement par le spectateur, et de questionner quelque chose de mystique ou de surnaturel, ce que le cirque et la mort mettent en présence ensemble. »

Pour moi, le clown est le révélateur, qui porte la condition humaine à l’amère conscience d’elle-même… Il éveille le spectateur à la connaissance du rôle pitoyable que chacun joue à son insu dans la comédie du monde.

Votre spectacle, à la lumière de ce que nous vivons actuellement, n’est-il pas presque prophétique ?
Prophétique, peut être ! Il y a plusieurs lectures qui prennent toutes un sens d’Oraison, dont une pensée autour d’un monde perturbé voir pré-apocalyptique et un questionnement sur la fin de vie.
Ce que je veux dire dans ce spectacle, c’est que l’avenir paraît angoissant, tant par ce que nous prédisent les scientifiques sur le devenir de la planète que par ce que l’humanité est en train d’en faire.
Dans le spectacle, sur le fil, il y a une pluie de cendres, qui peut rappeler les grands incendies récents d’Amazonie ou d’Australie, mais qui est aussi décrite dans le Dies Irae (jour de colère) du Stabat Mater. On peut aussi y voir des particules fines de pollution, ou le début d’un chaos apocalyptique… Je porte un masque chirurgical ou anti-pollution, ou anti-virus !!! Encore une fois, on peut comprendre différentes lectures…

D’autre part, je poursuis ma démarche iconoclaste en faisant apparaître l’image du clown blanc.
Décrocher ces belles images de cirque, parce que c’est en les saluant pour toujours, et en leur faisant adieu à l’avance qu’elles pourront continuer à vivre en secret, et à leur insu.
J’utilise la puissance de cette image ancestrale du cirque, ancrée dans l’imaginaire collectif, pour en développer sa symbolique profonde mais aussi pour la transfigurer.
Ici, les clowns blancs symbolisent des présences fantomatiques ou l’échantillon d’une humanité blafarde ; on peut, aussi, y voir une équipe médicale au prise avec un dérèglement généralisé.
Pour moi, le clown est le révélateur, qui porte la condition humaine à l’amère conscience d’elle-même… Il éveille le spectateur à la connaissance du rôle pitoyable que chacun joue à son insu dans la comédie du monde. Le clown blanc, comme un sauveur dérisoire, qui malgré sa maladresse et ses sarcasmes, contribue au retour de l’harmonie dans un monde que le maléfice avait perturbé.

Comment cette annulation du festival Off et l’arrêt de toutes manifestations culturelles auxquelles vous deviez participer cet été impactent-elles votre compagnie ? Et votre avenir ?
Tout le monde est à l’arrêt et dans l’angoisse. Nous nous fabriquons artificiellement des espoirs de tournée que nous faisons et défaisons toutes les semaines, sans connaître vraiment quand les spectacles pourront reprendre.

Quelle réponse Villeneuve en Scène vous a-t-il apporté ? Serez-vous reprogrammés en 2021 ?
Brice a demandé à toutes les compagnies programmées ce qu’elles souhaitaient faire, reporter ou annuler. Toutes ont demandé le report pour Juillet 2021. Villeneuve en scène a seulement prévenue qu’il était engagé avec d’autres compagnies sur 2021, et qu’il ne pourrait pas reporter forcément tout le monde…

Pour l’instant, nous n’avons aucune solution de rechange si ce n’est le report des représentations. Mais effectivement en cas d’arrêt du système : festival/programmateur, nous envisageons d’aller chercher le public directement en faisant des autoproductions.

Qu’attendez-vous de la part des institutions qui vous accompagnent habituellement ?
Nous nous contentons d’espérer qu’ils comprendront les situations extrêmes dans lesquelles nous nous trouvons, vis-à-vis de nos employés artistiques, techniques et administratifs, et de notre possibilité de rebondir pour l’avenir.

Quelles solutions envisagez-vous pour palier à l’extraordinaire visibilité (public, programmateurs, institutions) qu’offre le Festival d’Avignon ou les festivals d’été dans lesquels vous deviez être présents ?
Pour l’instant, nous n’avons aucune solution de rechange si ce n’est le report des représentations. Mais effectivement en cas d’arrêt du système : festival/programmateur, nous envisageons d’aller chercher le public directement en faisant des autoproductions.

Propos recueillis par Marie Anezin
Visuel : ©Ryo Ichii

Le site de la Compagnie Rasposo.
Lire la seconde partie de l’interview.

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