[VU] Au festival Les Hivernales, sublimes radicalités

18 mars 2020 /// Les retours
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Un maître mot a émergé durant la 42ème édition du festival Les Hivernales – CDCN d’Avignon : radicalité. Retours.

Si certains ont pu rester circonspects face aux propositions programmées, d’autres y ont vu l’évolution réjouissante de la danse. Cet art se renouvelle et ses créatrices et créateurs en inventent de nouvelles formes. Nous avons aimé ce que cette édition a soulevé comme questionnement, nous avons aimé discuter après les spectacles et confronter nos points de vue divergents.

Anna Massoni – Notte

Pour sa première création, Anna Massoni explore, avec Notte, le rapport entre le geste et le corps. Comment attirer le regard et retenir l’attention, poser un cadre et construire une fiction à partir d’une main, d’un coude, d’une bouche ? Avec ses 4 études corporelles qui rythment la proposition, Anna Massoni captive le public. L’écoute est grande. Rares sont ces moments de communion avec ce qui se joue au plateau. Autant en profiter pleinement.

La chorégraphe offre donc 4 moments suspendus, où le toucher active le corps. Accompagnée par des airs fredonnés (on pense notamment à The sound of silence de Simon and Garfunkel) et des néons, venant soulever sa respiration à cour, l’interprète se danse. Les parties s’arrêtent de façon brutale, lorsque la recherche d’un état est usé. Ces moments de transition franche rendent captifs. Ils s’étendent jusqu’au moment où la chorégraphe se relance dans son jeu, entraînant l’acuité visuelle nécessaire pour ne pas perdre le moindre micro-mouvement.

Notte permet à Anne Massoni de signer son premier solo, celui d’un corps qui se fragmente au gré de ses études.

Pierre Pontvianne – Janet on the Roof

Janet on the roof fut une réelle déflagration pour nous à l’image de ces coups de feu ou encore des supplications entendues (le Oh my God ! d’un homme suppliant) dans une bande-son invitant au recueillement.

Sur un plateau nu, Marthe Krummenacher va développer durant une heure, une danse qui se conjugue à la perfection. Son corps se disloque jusqu’au point de rupture, celui où le corps doit se reconstruire.

Les séquences chorégraphiques sont de nouveaux dés lancés. Si les cut lumière mettent le public sous tension, chaque apparition de la danseuse est synonyme de renaissance jusqu’à ce qu’un nouveau cut vienne rappeler la fragilité de l’être devant l’indicible.

Depuis le lointain, un bloc avance telle une pelle qui ratisserait tout sur son passage. Seul cet élément de décor restera sur scène après le cut final. La danseuse disparue nous renverra à notre vulnérabilité. Une dernière danse aura été l’occasion de la voir esquisser un sourire, celui d’un repos mérité.

Janet on the roof est un travail radical qui vient souligner la vulnérabilité de l’être humain face à un environnement qu’il ne façonne plus à son image.

Mette Ingvarsten – Moving in Concert

Le CDCN Les Hivernales co-accueillait avec la Garance – scène nationale de Cavaillon, Mette Ingvarsten pour Moving in Concert, un bijou d’abstraction.

La chorégraphe interroge l’individuel et le collectif à travers une pièce qui tourne autour de la question des flux et de la plasticité, pour reprendre ses termes.
Cette proposition scotche littéralement le regard et c’est dans une chorégraphie faite d’atomes, de cellules et de corps bien dansants que le public se retrouve entraîné.

Avant d’entrer en salle

Neuf danseurs et danseuses viennent au contact du public à l’extérieur de la salle. Ils donnent une première matière à penser et à questionner avant l’entrée en salle. À travers des mots comme tenségrité (en architecture, la faculté d’une structure à se stabiliser par le jeu des forces de tension et de compression qui s’y répartissent et s’y équilibrent), et autres questionnements notamment sur la régénération des neurones, et ce même lorsque l’on est âgé, les interprètes donnent des clés de compréhension de ce qui va se jouer sur le plateau.

Sur le plateau

À jardin, une sorte de silo ou de réservoir à grains commence par se vider. De fines billes se déversent. Un corps vient se plonger sous cet écoulement. 8 danseur·se·s en justaucoprs orange et un en rose, 8 néons LED et un bâton de sourcier seront les éléments de cette chorégraphie à la rythmique parfaite.

Effet justaucorps ou non, on ne peut s’empêcher de penser aux Events de Cunningham. Avec cette forme vivante qui ne cesse le mouvement, Mette Ingvarsten questionne l’organique et le mécanique, ciments de nos sociétés (l’organique est la similitude des comportements des individus et des valeurs de la société, et le mécanique repose sur la complémentarité des activités et des fonctions des individus, selon E. Durkheim).

Le ballet devient hypnotique, la lumière se fait vivante. Sa densité accompagne les mouvements et elle devient spectrale. Sortes d’atomes, les interprètes transposent leurs mots et pensées en formes géométriques et cellules vivantes avançant vers un point.

Chorégraphie spatiale et structurant un espace infini, Moving in Concert questionne la condition technologique intrusive dans nos vies. L’être est ainsi fait, de chair et de technicité combinées. C’est beau et intrigant.

Laurent Bourbousson
Visuels : Notte d’Anna Massoni : ©Angela Massoni – Janet on the Roof de Pierre Pontvanne ©OLYMPUS DIGITAL CAMERA – Moving in Concert de Mette Ingvarsten ©Marc Domage

Spectacles donnés dans le cadre de la 42e édition du festival Les Hivernales.

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