[VU] Avec Le Château, le Collectif 8 invente un nouveau genre de théâtre

8 mars 2019 /// Les retours
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Le Collectif 8 a été précurseur et a fait de lui une référence en matière de théâtre et arts numériques. Avec leur adaptation du roman Le Château de Kafka, les membres poussent un peu plus loin leur expérience. Une réussite.

Si vous avez déjà vu des spectacles du Collectif 8, il vous reste en mémoire les images fabuleuses qui permettent au texte, que la compagnie défend, de prendre toute l’ampleur nécessaire afin d’en donner un écho contemporain. Tel était le cas pour La Religieuse, notamment, et pour leur Faust. Le Château marque une nouvelle étape dans leur processus de création, que l’on pourrait définir comme étant un théâtre-cinématographique immersif.

Une dystopie

C’est dans un véritable labyrinthe que le public se voit propulsé. Avec sa multitude de personnages, Le Château mêle l’étrange à la fantaisie, le réel au cauchemar. L’écriture de Kafka relève de la dystopie. Véritable critique de l’administration, l’auteur avait vu les dérives possibles en son temps. Roman publié en 1926, il est d’une véracité implacable aujourd’hui. Le personnage principal K. va croiser, durant son périple, toute une série de personnages plus aliénés les uns que les autres à Klamm, un haut fonctionnaire insaisissable, genre de dictateur des lois en vigueur.

Profondément contemporain

de g. à dte : Mélissa Prat, Paulo Correia et Damien Rémy

Tout décrit notre monde contemporain : les abus de pouvoir, les coups bas pour s’ériger en haut d’une pyramide qui peut s’écrouler à tout moment, les méandres angoissants de l’administration, les faux-semblants… Tout semble se dérober sous les pieds de K. (excellent Paulo Correia) qui croisera au fur et à mesure Barnabé, Momus, le secrétaire du village de Klamm, le Maire (Damien Remy jongle de personnage en personnage avec habileté et une certaine jouissance), ainsi que Frieda, Olga et Pepi (toutes incarnées par Mélissa Prat qui signe une partition juste). Si K. assiste à un jeu de massacre entre les habitants de cette contrée, il n’en demeure pas moins un pion, que l’on déplace d’un point à l’autre, dans une sorte de tourbillon révélant la folie sécuritaire d’un monde peut enclin à s’ouvrir à l’étranger, aux médiocres et aux laissés-pour-compte.

Un univers cinématographique

Paulo Correia est K. dans Le Château

Avec ce texte, Gaële Boghossian, que l’on retrouve à la mise en scène et à l’adaptation, s’est permise d’aller au-delà de leurs créations habituelles. Une ligne est franchie ici. La vidéo de Paulo Correia est omniprésente et son utilisation parfaitement maîtrisée. Elle fait corps avec les personnages (sublime vidéo de forêt avec un cerf dont on vous laisse rechercher la symbolique), sert de décors (l’Hôtel du Pont, le Château, l’auberge des Messieurs) et devient un personnage à part entière. Les adeptes du cinéma s’amuseront à retrouver les références cinématographiques nombreuses (on peut citer David Lynch, Martin Scorsese, ou encore David Cronenberg).
La musique de Benoît Berrou, également très cinématographique, vient renforcer l’univers troublant de cette dystopie. Les lumières de Samuèle Dumas caressent les corps et les font surgir des images, ce qui nous ramène à l’œuvre théâtrale.

Théâtre ou autre genre ?

Les interprètes incarnent les personnages de ce nouveau genre de théâtre avec encore plus de force. Ils ne sont pas virtuels, ce que l’on pourrait craindre, mais bien réels dans un flot d’images en mouvement.
Certains diront que tout ceci ce n’est pas du théâtre, et ils auront raison, puisque le genre théâtre-cinématographique est né et que nous le devons au Collectif 8.
Véritable prouesse technique, on ne peut qu’avoir hâte de découvrir leur prochaine création. Pour celle-ci, le collectif travaille sur l’adaptation de 1984 de George Orwell. Mais laissons au Château le temps de rencontrer son public.

Le Collectif 8 s’engage sur un théâtre plus politique que ce qu’il pouvait l’être et s’affranchit d’une certaine contrainte dont ils étaient prisonniers jusqu’ici, inconsciemment certainement. Une nouvelle vie s’ouvre à eux.

Laurent Bourbousson
Photographies : Meghann Stanley

Générique et dates

Le Château d’après Kafka | Adaptation et mise en scène Gaële Boghossian | Création vidéo Paulo Correia | Musiques Benoît Berrou | Lumières Samuèle Dumas | Scénographie Collectif 8
Interprétation Paulo Correia, Mélissa Prat, Damien Remy
Diffusion Vanessa Anheim Cristofari
Vu à l’Anthéa Antipolis, Théâtre d’Antibes. À découvrir au Théâtre Le Chêne Noir, le 4 et 5 avril 2020.
Le site du Collectif 8.

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